LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 6 mai 2025
Rejet
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 451 F-D
Pourvois n°
V 23-21.891
W 23-21.892 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 janvier 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La Société Suez RV FM, (société par actions simplifiée (société à associé unique)), dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Suez RV Osis FM a formé les pourvois n° V 23-21.891 et W 23-21.892 contre deux arrêts rendus le 19 septembre 2023 par la cour d'appel de Nîmes (5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant respectivement :
1°/ à M. [X] [C], domicilié [Adresse 4],
2°/ à M. [T] [G], domicilié [Adresse 1],
3°/ à la société Méditerranéenne de Nettoiement, (société par actions simplifiée (société à associé unique)) dont le siège est [Adresse 3], ayant un établissement secondaire [Adresse 5],
4°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 6], devenu France travail.
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de chaque pourvoi, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Suez RV FM, de la SARL Corlay, avocat de la Société méditerranéenne de nettoiement, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [C], de la SARL Gury & Maitre, avocat de M. [G], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Brinet, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 23-21.891et W 23-21.892 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Nîmes, 19 septembre 2023), MM. [C] et [G] ont été engagés par la Société méditerranéenne de nettoiement (la société SMN), respectivement en qualité d'agent de centre de tri à compter du 1er août 2005 et d'agent d'entretien d'infrastructure/cariste à compter du 9 janvier 2013.
3. Le 1er octobre 2018, la société SMN a perdu le marché de la gestion globale des déchets du site Nestlé Waters Supply Sud - [Localité 7], auquel les salariés étaient affectés, au profit de la société Suez RV Osis FM (la société Suez).
4. Constatant l'absence de transfert de leur contrat de travail et la société SMN leur indiquant qu'ils ne faisaient plus partie de ses effectifs, les salariés ont saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale afin de faire constater l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ou, subsidiairement, la poursuite des contrats avec la société SMN.
5. Par arrêts du 24 septembre 2019, la cour d'appel, statuant en référé, a ordonné la poursuite des contrats de travail avec la société Suez.
6. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes portant sur l'exécution de leur contrat de travail et d'une demande de résiliation judiciaire de celui-ci.
7. Déclarés inaptes par la médecine du travail avec dispense de reclassement, les salariés ont été licenciés le 15 mars 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Examen des moyens
Sur les moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en des termes similaires
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les moyens, pris en leurs deux premières branches, rédigés en des termes similaires
Enoncé des moyens
9. La société Suez fait grief aux arrêts de dire que les contrats de travail lui ont été transférés le 1er octobre 2018, de prononcer la résiliation des contrats de travail à ses torts, de sorte que cette résiliation produisait les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, de la condamner à payer aux salariés diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, de rappel d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de la condamner à payer aux salariés les salaires courus du 1er octobre 2018 jusqu'au prononcé de la décision attaquée sauf à déduire les sommes qu'elle a été amenée à verser à ce même titre, d'ordonner la délivrance de documents rectificatifs et des documents de fin de contrat et de lui ordonner de rembourser aux organismes concernés tout ou partie des indemnités de chômage payées aux salariés licenciés du jour de leur licenciement au jour du prononcé de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et de la débouter de ses prétentions, alors :
« 1°/ que l'article L. 1224-1 du Code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/ 23/ CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; qu'il en résulte que le texte précité ne s'applique pas si, à l'occasion d'une perte de marché, l'activité exercée par le nouvel exploitant du marché n'est pas analogue à celle qui était mise en oeuvre par l'exploitant précédent ou si la nature ou l'objet de cette dernière activité a été modifié, auquel cas l'entité éventuellement transférée a, en tout état de cause, perdu son identité ; que pour dire que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail devaient s'appliquer, la cour d'appel a notamment retenu que le marché perdu et remporté était identique, que l'exposante avait poursuivi la même activité de gestion globale des déchets de la société Nestlé Waters Supply Sud à l'occasion de cette perte de marché ou tout au moins une activité de même nature, de sorte qu'il importait peu que les conditions d'intervention de la société Suez aient été étendues aux conseils dans l'ingénierie et la maintenance industrielle notamment pour l'analyse des flux et l'aménagement des zones de stockages ; qu'en se déterminant de la sorte, sans aucunement rechercher, de façon concrète, comme elle y était invitée par l'exposante, si ces nouvelles conditions d'intervention ne modifiaient pas l'activité exercée au point de faire perdre à l'entité économique transférée son identité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/ CE du 12 mars 2001 ;
2°/ que l'article L. 1224-1 du Code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/ CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; qu'au cas présent, l'exposante faisait valoir qu'elle avait dû, pour assurer des prestations sensiblement différentes, procéder à de lourds investissements en termes d'équipements et d'aménagements précisément décrits par l'exposante, pour une somme supérieure à 400 000 euros, le matériel exploité devant respecter les normes environnementales en vigueur et les références qualités définies par le donneur d'ordre, et qu'en conséquence, il n'y avait pas eu transfert d'éléments corporels significatifs par l'effet du changement de prestataire ; que pour dire que les conditions d'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies, la cour d'appel s'est bornée à retenir, d'une part, qu'il était établi que l'exploitant précédent du marché avait vendu à l'exposante le matériel nécessaire à l'exploitation pour un montant hors taxes de 113 700,28 euros, laquelle avait repris en outre ses contrats de location pour une durée de six mois (presse à coffre) ou jusqu'au 31 décembre 2018 (3 compacteurs), pour un montant hors taxes de 40 200 euros, d'autre part, que si l'exposante entendait relativiser ces rachats matériels et locations temporaires effectués auprès de l'exploitant précédent, au regard des importants investissements qu'elle avait été conduite à réaliser, il n'en demeurait pas moins qu'elle avait poursuivi la même activité de gestion globale des déchets de la société Nestlé Waters Supply Sud, ou tout au moins une activité de même nature, sur le même site et dans les mêmes locaux, à l'aide d'un ensemble organisé de personnes et de moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires et, enfin, qu'il importait peu que les standards de qualité et les exigences environnementales aient évolué engendrant des investissements pour les respecter ; qu'en se déterminant de la sorte, cependant qu'il lui incombait de rechercher, tout d'abord, si les nouveaux éléments d'exploitation acquis par l'exposante n'étaient pas nécessaires à l'exercice de l'activité correspondant au marché qui lui avait été attribué, compte tenu de l'évolution de ses conditions d'exécution, et, ensuite, si le rapport entre ces nouveaux éléments et ceux qui avaient été repris de l'exploitant précédent établissait que les seconds ne pouvaient pas être considérés comme significatifs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. Si la perte d'un marché n'entraîne pas, en elle-même, l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, il en va autrement lorsque l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau repreneur s'accompagne du transfert d'une entité économique autonome constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre, dont l'identité est maintenue.
11. D'abord, les arrêts retiennent, d'une part, que la comparaison entre le cahier des charges soumis dans le cadre de l'appel d'offres de 2014 et le cahier des charges soumis à l'appel d'offres de 2018 confirme que le marché est strictement identique, l'état des lieux établi lors de l'entrée en jouissance du marché est similaire, les conditions générales d'exécution du marché sont décrites en termes quasiment identiques puis, d'autre part, que la société Suez a poursuivi la même activité de gestion globale des déchets sur le même site, ou tout au moins une activité de même nature, et, enfin, qu'il importe peu que les conditions d'intervention de la société Suez soient étendues aux conseils dans l'ingénierie et la maintenance industrielle notamment pour l'analyse des flux et l'aménagement des zones de stockages.
12. Ensuite, les arrêts constatent que la société Suez a sollicité de la société SMN la cession des matériels nécessaires à l'exécution de ce marché et que les autres salariés affectés sur ce marché ont poursuivi leur prestation, avec des conditions de travail identiques et avec le matériel cédé par la société SMN à la société Suez. Ils relèvent également que la société SMN a vendu à la société Suez le matériel nécessaire à l'exploitation pour un montant hors taxes de 113 700 euros, qu'elle lui a cédé ses contrats de location pour une durée de six mois pour un montant hors taxes de 40 200 euros et qu'elle avait également laissé sur place du matériel, certes en fin de vie et sans valeur marchande mais nécessaire au bon fonctionnement de l'activité et encore utilisable. Ils retiennent enfin qu'il importe peu que les standards de qualité et les exigences environnementales aient évolué, engendrant des investissements importants pour les respecter de la part de la société Suez.
13. De ces énonciations et constatations, après avoir en outre retenu que le service de gestion des déchets de ce site était géré de manière autonome,
la cour d'appel a pu déduire le transfert d'une entité économique autonome constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels significatifs permettant le maintien de l'exercice de l'activité de gestion des déchets sur le site de Vergèze, de sorte que les contrats de travail des salariés affectés à cette activité s'étaient poursuivis de plein droit avec la société Suez.
14. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Suez RV FM aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Suez RV FM et la condamne à payer, d'une part, à MM. [C] et [G] la somme globale de 3 000 euros et, d'autre part à la Société méditerranéenne et de nettoiement la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.