LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 424 F-D
Pourvoi n° F 23-21.832
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
M. [S] [V], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 23-21.832 contre l'arrêt rendu le 27 février 2023 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Nestlé France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations écrites de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de M. [V], de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Nestlé France, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Brinet, conseiller, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 27 février 2023), M. [V] a été engagé en qualité de responsable de secteur, le 11 octobre 1993, par la société Nestlé France (la société). Au dernier état de la relation de travail, il exerçait les fonctions de responsable régional des ventes Antilles-Guyane.
2. Il a été licencié pour faute grave le 23 juin 2016.
3. Contestant le bien-fondé de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de diverses sommes en lien avec l'exécution et la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire qu'il était lié à la société Nestlé par un forfait annuel en jours et de le débouter en conséquence de ses demandes de condamnation à lui verser diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'aux termes de l'article L. 3121-39, devenu L. 3121-63, du code du travail, l'application à un salarié d'une clause de forfait annuel en jours est subordonnée à l'existence de dispositions conventionnelles l'autorisant ; que ces dispositions nécessairement préalables à la signature de la clause contractuelle doivent respecter les impératifs de protection de la santé, de la sécurité et du droit au repos et permettre notamment d'assurer un suivi réel et régulier de la charge de travail du salarié ; qu'en l'espèce, la société Nestlé avait, par un avenant du 19 avril 2013 adapté et révisé l'accord collectif du 21 décembre 1999 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail au vu des récentes évolutions jurisprudentielles ; qu'en concluant, au regard des dispositions de cet avenant, que la convention de forfait de M. [V] était régulière, quand il ressortait de ses propres constatations que la clause avait été prévue contractuellement avant la signature dudit avenant de sorte que sa régularité ne pouvait être appréciée au regard de dispositions conventionnelles postérieures, la cour d'appel a d'ores et déjà violé l'article susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
6. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
7. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
8. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
9. A défaut de soumettre au salarié une nouvelle convention de forfait en jours postérieurement à la date de l'entrée en vigueur de l'avenant à un accord collectif, l'employeur ne peut se prévaloir des dispositions de ce texte postérieurement à cette date, en sorte que la convention de forfait en jours du salarié, fondée sur les dispositions conventionnelles antérieures à cet avenant, est nulle.
10. Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt relève, d'une part, que le salarié était soumis à une convention individuelle de forfait en jours, signée le 20 mars 2013, en sus d'un accord collectif conclu en 1999, d'autre part, que cet accord collectif a été révisé par un avenant du 19 avril 2013 qui respecte toutes les dispositions légales édictées par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
11. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que la convention de forfait en jours invoquée était antérieure à la date de l'accord collectif applicable dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que le licenciement est fondé sur une faute grave et déboute le salarié des demandes formulées à ce titre, l'arrêt rendu le 27 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne la société Nestlé France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Nestlé France et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.