LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 avril 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme SCHMIDT, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 218 F-D
Pourvoi n° G 24-11.879
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AVRIL 2025
1°/ Mme [X] [Y], domiciliée [Adresse 1], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Etablissements André Laboulet,
2°/ la société Établissements André Laboulet, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ la société Rouvroy Declercq, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Etablissements André Laboulet,
ont formé le pourvoi n° G 24-11.879 contre l'arrêt rendu le 21 décembre 2023 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige les opposant à la société Villa-Florek, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [D] [P] lui-même pris en qualité de liquidateur de la société Phycomat, défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gouarin, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [Y] et des sociétés Établissements André Laboulet, et Rouvroy Declercq, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Villa-Florek, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gouarin, conseiller rapporteur, Mme Guillou, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 décembre 2023) et les productions, le 21 février 2012, la société Etablissements André Laboulet (le débiteur) a été mise en redressement judiciaire, Mme [Y] désignée mandataire judiciaire et la société Rouvroy-Declercq administrateur puis commissaire à l'exécution du plan de redressement.
2. Le 19 mars 2012, la société Phycomat a déclaré au passif de la procédure collective une créance de 831 162,46 euros, qui a été contestée par le débiteur.
3. Le 17 septembre 2015, la cour d'appel d'Amiens a sursis à statuer sur l'admission de cette créance et invité la partie y ayant intérêt à saisir l'instance arbitrale.
4. Le 23 novembre 2018, le tribunal arbitral a fixé le montant de la créance de la société Phycomat à la somme de 831 162,46 euros outre les intérêts de droit courant à compter de la date d'exigibilité de la créance.
5. Le 18 mai 2021, la cour d'appel de Paris a rejeté le recours en annulation de la sentence sur ce point.
6. Le débiteur ayant été mis en liquidation judiciaire, la société Villa-Florek, désignée liquidateur, a repris l'instance pendante devant la cour d'appel d'Amiens et a demandé l'admission de la créance de la société Phycomat.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le débiteur, le liquidateur et le commissaire à l'exécution du plan font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les fins de non-recevoir opposées par la société Laboulet et la demande de compensation et d'admettre la créance de la société Phycomat à hauteur de 831 162,46 euros plus les intérêts de droit courant à compter de la date d'exigibilité de la créance, alors :
« 1° / que le juge-commissaire a seul compétence pour rejeter ou admettre une créance au passif du redressement judiciaire d'un débiteur et pour en fixer le montant ; qu'en l'espèce, la société Laboulet faisait valoir que la société Phycomat était irrecevable en sa demande d'admission à son passif d'une créance assortie d'intérêts dès lors que la déclaration de créance qu'elle avait effectuée le 19 mars 2012 mentionnait exclusivement une somme de 831 162,46 euros sans mention d'aucun intérêt ; qu'en jugeant, pour déclarer irrecevables les fins de non-recevoir opposées par la société Etablissements Laboulet et admettre à son passif une créance à hauteur de 831 162,46 euros plus les intérêts, que l'autorité de chose jugée de la sentence arbitrale du 28 novembre 2018 intervenue entre ces deux sociétés, fixait le montant de la créance de la société Phycomat "à 831 162,46 euros plus les intérêts de droit courant à compter de la date d'exigibilité de la créance", et "exclut tout nouveau débat portant sur le contenu de la déclaration et sur les dispositions applicables en cette matière pour discuter son montant", la cour d'appel, qui a méconnu qu'elle statuait avec les pouvoirs du juge-commissaire, a violé les articles L. 624-2, L.622-25 et R. 622-23 du code de commerce, ensemble, l'article 1484 du code de procédure civile ;
3°/ que la déclaration de créance, qui équivaut à une demande en justice, délimite la saisine du juge de la vérification des créances ; qu'en l'espèce, la déclaration de créance de la société Phycomat au passif de la société Laboulet vise une créance de 831 162,46 euros sans mention d'intérêts ; qu'en admettant au passif de la société Laboulet une créance à hauteur de 831 162,46 euros plus les intérêts de droit courant à compter de la date d'exigibilité de la créance, la cour d'appel a violé les articles L. 624-2, L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce.
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La société Villa-Florek, ès qualités, conteste la recevabilité du moyen pris en ses première et troisième branches. Elle soutient que ces griefs sont nouveaux et mélangés de fait et de droit.
10. Cependant, il résulte des conclusions d'appel de la société Etablissements André Laboulet et de ses mandataires de justice que le débiteur demandait l'admission de la créance de la société Phycomat pour un montant limité au principal en faisant valoir que la déclaration de créance ne mentionnait aucun intérêt.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 624-2, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce :
12. Il résulte du premier de ces textes que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées.
13. Il résulte des suivants que la déclaration de créance doit exprimer par elle-même, de façon non équivoque, la volonté du créancier de réclamer les intérêts.
14. Pour déclarer irrecevable la contestation du débiteur relative aux intérêts et les admettre, l'arrêt retient que l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale exclut tout nouveau débat portant sur le contenu de la déclaration.
15. En statuant ainsi, alors que la déclaration de créance de la société Phycomat, qui ne portait que sur le principal de la créance à l'exclusion de tout intérêt, ne pouvait valoir déclaration des intérêts dont le cours n'était pas arrêté, la cour d'appel, qui a excédé les limites de sa saisine, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, après avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Etablissements André Laboulet la créance de la société Phycomat à la somme de 831 162,46 euros en principal, il ajoute l'admission des intérêts de droit courant à compter de la date d'exigibilité de la créance, l'arrêt rendu le 21 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande d'admission des intérêts ;
Condamne la société Villa-Florek, en qualité de liquidateur de la société Phycomat, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel d'Amiens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille vingt-cinq.