COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 avril 2025
Cassation partielle
Mme SCHMIDT,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 220 F-D
Pourvoi n° W 24-14.030
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AVRIL 2025
M. [J] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 24-14.030 contre l'arrêt rendu le 13 février 2024 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général place du Parlement de Bretagne, 35064 Rennes cedex,
2°/ à la société GOPMJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de Mme [R] [Y], pris en qualité de liquidateur de la société SDK construction,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guillou, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 février 2024), la société SDK Construction (la société) a eu pour gérants M. [U] [N], puis M. [J] [N] (M. [N]).
2. Les 11 septembre et 6 novembre 2019, cette société a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société GOPMJ étant désignée mandataire puis liquidateur judiciaires.
3. Le ministère public a saisi le tribunal aux fins de prononcer la faillite personnelle de M. [N].
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [N] fait grief à l'arrêt de prononcer sa faillite personnelle pendant quinze ans, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; que la cour d'appel qui, bien qu'il ne résulte pas du jugement, ni des pièces et des écritures recevables des parties que M. [N] aurait été nommé gérant de la société SDK construction à la fin de l'année 2018 et qu'il aurait assumé de telles fonctions dès avant le 2 avril 2019, a néanmoins retenu, pour le dire responsable de ses agissements comme gérant du 1er janvier au 15 juillet 2019, qu'il avait été nommé gérant par décision d'assemblée générale du 31 décembre 2018, a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat et a ainsi violé l'article 7 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7 code de procédure civile :
5. Aux termes de ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.
6. Pour retenir que M. [N] était responsable en qualité de gérant de la société du 1er janvier 2019 au 15 juillet 2019, la cour relève qu'il a été nommé gérant par assemblée générale du 31 décembre 2018.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat pour ne figurer que dans les conclusions de la société GOPMJ qu'elle déclarait irrecevables, a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le dirigeant d'une personne morale ne peut être sanctionné d'une mesure de faillite personnelle pour avoir poursuivi abusivement une activité déficitaire que lorsqu'il y a procédé dans un intérêt personnel et que l'exploitation déficitaire ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ; qu'en se bornant à relever, pour retenir ce grief à l'encontre de M. [N], pris en sa qualité de gérant de la société SDK construction, et prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle, qu'il aurait poursuivi une activité déficitaire qui ne pouvait mener qu'à la cessation des paiements, sans constater qu'il aurait ainsi procédé dans un intérêt personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 653-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 653-4 , 4° du code de commerce :
9. Aux termes de ce texte, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, ayant poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.
10. Pour prononcer la faillite personnelle de M. [N], l'arrêt retient que ce dernier a poursuivi abusivement une exploitation déficitaire dans des circonstances ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements et son aggravation.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si M. [N] avait abusivement poursuivi une telle exploitation dans son intérêt personnel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
12. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en tout état de cause, la faillite personnelle pour détournement d'actif peut être prononcée à l'encontre du dirigeant d'une personne morale si celui-ci a détourné tout ou partie de l'actif de cette personne morale, antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective de cette dernière ; qu'en relevant, pour statuer comme elle l'a fait, que M. [N] aurait reconnu devant les enquêteurs avoir encaissé sur son compte personnel deux chèques de 3 370 euros et 1 270 euros qu'il n'aurait pas été en mesure de justifier, la cour d'appel, qui a ainsi statué par des motifs impropres à établir que M. [N] aurait, lorsqu'il était gérant, détourné ces sommes de la société SDK construction, avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de celle-ci, a violé l'article L. 653-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce :
13. Il résulte de ce texte que la faillite personnelle du dirigeant d'une personne morale ne peut être prononcée que pour des faits commis antérieurement au jugement d'ouverture.
14. Pour statuer encore comme il fait, l'arrêt relève que M. [N] a reconnu devant les enquêteurs avoir encaissé sur son compte personnel deux chèques de 3 370 euros et 1 270 euros qu'il n'a pas été en mesure de justifier.
15. En se déterminant ainsi, sans vérifier, comme il lui incombait, à quelle date les détournements reprochés avaient été commis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen, pris en ses première et seconde branches
Enoncé du moyen
16. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1/ qu'en affirmant qu'il y avait lieu de prononcer à l'encontre de M. [N] une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans "au vu de ses antécédents de gestion", sans s'expliquer, fût-ce sommairement, sur ce que seraient ces antécédents, ni mentionner les éléments de preuve qui auraient été de nature à étayer cette affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
2/ qu'en tout état de cause, le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [N] une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans, sans motiver sa décision au regard de la gravité des faits qu'elle retenait, la cour d'appel a violé l'article L. 653-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 653-2 du code de commerce et l'article 455 du code de procédure civile :
17. Il résulte de ces textes que le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé.
18. Pour prononcer contre M. [N] une faillite personnelle d'une durée de quinze ans, l'arrêt se borne à retenir qu'au regard des antécédents de gestion du dirigeant, des circonstances de la fin de son mandat de gérant et de sa situation personnelle, il y a lieu de le condamner à une telle mesure.
19. En statuant ainsi, par voie de simple affirmation et sans aucune analyse, même succincte, des pièces soumises à son appréciation susceptibles de justifier ces antécédents de gestion, et sans motiver sa décision au regard de la gravité des faits retenus, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisées.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les conclusions et pièces déposées le 4 décembre 2023 par la société GOPMJ, en qualité de liquidateur de la société SDK, l'arrêt rendu le 13 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société GOPMJ, en qualité de liquidateur de la société SDK Construction, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [N] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille vingt-cinq.