LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Annulation
Mme DURIN-KARSENTY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 372 F-D
Pourvoi n° C 23-20.909
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
La société ICTS Marseille Provence, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-20.909 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à M. [Z] [H], domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société ICTS Marseille Provence, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [H], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présentes Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juillet 2023), par déclaration d'appel du 15 juillet 2019, la société ICTS Marseille Provence (l'employeur) a relevé appel d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à M. [H] (le salarié).
2. Par une ordonnance du 10 février 2023, un conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance déférée ayant constaté la péremption de l'instance, alors « que le délai de péremption ne court pas lorsque la direction de la procédure échappe aux parties ; qu'il résulte des articles 908 et 909 du code de procédure civile qu'il appartient à l'appelant, à peine de caducité de l'appel, de remettre ses conclusions au greffe dans un délai de trois mois à compter de sa déclaration d'appel, puis à l'intimé, à peine d'irrecevabilité, de remettre ses conclusions au greffe dans un délai de trois mois; que l'article 912 du code de procédure civile fait peser sur le conseiller de la mise en état l'obligation d'examiner l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration de ces délais et de fixer la date de la clôture et celle des plaidoiries, à moins qu'il ne fixe un calendrier, après avoir recueilli l'avis des avocats, lorsque l'affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions; qu'il en résulte qu'une fois intervenus les échanges des conclusions visées par les articles 908 et 909 du code de procédure civile, il appartient au conseiller de la mise en état, et non plus aux parties, de faire progresser l'affaire, de sorte que la péremption ne saurait être opposée à l'appelant lorsque le conseiller de la mise en état n'a pas rempli son office dans un délai de deux ans, à peine de priver les parties d'un procès équitable; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société ICTS [Localité 2] Provence a déposé ses conclusions au greffe le 11 octobre 2019 et M. [H] le 14 janvier 2020, et qu'à la suite de cet échange, aucune date de clôture de l'instruction, ni aucun calendrier de procédure n'avaient été fixés par le conseiller de la mise en état; qu'en jugeant que la péremption était acquise le 14 janvier 2022 faute pour les parties d'avoir accompli des diligences pour faire progresser l'affaire, lorsqu'une fois les conclusions échangées par elle, il appartenait à la juridiction de faire progresser la procédure dont la direction lui revenait, la cour d'appel a violé les articles 386, 912 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :
4. Aux termes du troisième de ces textes, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
5. Aux termes du deuxième, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.
6. Selon le quatrième de ces textes, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe. Selon le cinquième, l'intimé dispose d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
7. Selon le sixième, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
8. Selon le dernier de ces textes, le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l'affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, sans préjudice de l'article 910-4, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l'avis des avocats.
9. Depuis un arrêt du 7 mars 2024, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais qu'il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.475, publié).
10. Pour confirmer l'ordonnance déférée ayant constaté la péremption de l'instance, l'arrêt relève que l'employeur n'a accompli aucune diligence dans les deux ans qui ont suivi la communication des conclusions et pièces du salarié par voie électronique le 14 janvier 2020. Il énonce que la mention « à fixer » portée par le greffe dans le dossier électronique de l'affaire atteste seulement du dépôt des écritures des parties dans les délais d'échanges initiaux prévus par les articles 908 et suivants du code de procédure civile et qu'il incombe non au greffe mais au conseiller de la mise en état ou à défaut au président de la chambre de fixer l'affaire. Il relève que le conseiller de la mise en état, au terme des échanges de conclusions visés ci-dessus, n'a, en application de l'article 912 du même code, ni fixé les dates de clôture de l'instruction et des plaidoiries ni établi un calendrier des échanges. Il retient que les parties qui, en application de l'article 2 du même code, conduisent l'instance, doivent accomplir des diligences pour faire avancer l'affaire ou obtenir une fixation de la date des débats et que cette exigence n'est pas remise en cause par l'encombrement éventuel du rôle qui n'a pas en soi pour effet de paralyser toute diligence des parties pour obtenir l'avancement de la procédure.
11. Si c'est conformément à l'état du droit antérieur à l'arrêt du 7 mars 2024 que la cour d'appel en a déduit que la péremption était acquise, il y a lieu à annulation de l'arrêt attaqué en application de ce revirement de jurisprudence.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.