N° 24-82.613 F-D
N° 00520
SB4
29 AVRIL 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 AVRIL 2025
M. [L] [E] [V], partie civile, et le [1], partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2024, qui, dans la procédure suivie contre M. [M] [Y] du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, et Goulet, avocat de M. [L] [E] [V], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du [1], représentant de la société [2], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [M] [Y] coupable notamment de blessures involontaires par conducteur de véhicule terrestre à moteur sur la personne de M. [L] [E] [V].
3. Le tribunal correctionnel a déclaré recevables notamment les constitutions de partie civile de M. [E] [V], de son ancienne conjointe et de leur fils, du [1] ([1]), représentant de la société d'assurance de droit suisse [2], assureur de M. [Y], a déclaré ce dernier responsable du préjudice des parties civiles, et a renvoyé l'affaire sur intérêts civils.
4. Statuant ultérieurement sur intérêts civils, le tribunal correctionnel a condamné M. [Y] à indemniser les parties civiles au titre de leurs préjudices et a déclaré le jugement commun et opposable au [1].
5. L'ensemble des parties a relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, proposés pour le [1]
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen proposé pour M. [E] [V] et le second moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour le [1]
Enoncé des moyens
7. Le moyen proposé pour M. [L] [E] [V], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Y] à lui verser la seule somme de 139 036,57 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que le juge est tenu de réparer le préjudice sans qu'il en résulte pour la victime ni perte, ni profit ; que la perte de chance subie par la victime d'occuper à nouveau un emploi correspondant à ses qualifications et de percevoir les revenus y afférents se détermine par la soustraction entre les revenus auxquels la victime aurait pu prétendre si cette chance s'était réalisée et les revenus qu'elle percevait effectivement au moment de l'accident, multipliée par le nombre de mois perdus et/ou l'euro de rente viagère applicable à sa situation, le résultat ainsi obtenu devant se voir appliquer le coefficient de perte de chance retenu par le juge ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'accident, dont M. [E] [V] a été victime le 30 décembre 2016, lui a fait perdre « une chance d'occuper à nouveau un emploi de directeur d'agence et donc de percevoir un revenu de 3.000 € par mois tenant compte d'une nécessaire revalorisation, chance que la cour évalue en fonction des pièces produites et des explications des parties à 75%» (arrêt, p. 11 § 2) ; qu'en décidant, pour évaluer le préjudice de [L] [E] [V] au titre de l'incidence professionnelle, d'appliquer le coefficient de 75% qu'elle avait retenu au titre de la perte de chance, aux revenus auxquels celui-ci aurait pu prétendre et non au résultat obtenu par la soustraction entre lesdits revenus et ceux qu'il percevait au moment de l'accident, multiplié par le nombre de mois perdus et/ou l'euro de rente viagère applicable à sa situation, la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
8. Le moyen proposé pour le [1] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Y] à verser à M. [E] [V], la somme de 139 036,57 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors :
« 2°/ que si les juges du fond doivent procéder, si elle est demandée, à l'actualisation au jour de leur décision de l'indemnité allouée à la victime, en fonction de la dépréciation monétaire, cette actualisation ne peut viser que des préjudices patrimoniaux, les préjudices extrapatrimoniaux étant nécessairement liquidés à la date de la décision ; qu'en actualisant la totalité de l'indemnité due à M. [E] [V] au titre de son incidence professionnelle, majorée de 130 000 euros à 139 036,57 euros, cependant que ce chef de préjudice incluait la « nécessité de se réorienter et d'occuper un travail de moindre intérêt », « une plus grande pénibilité dans le travail et une dévalorisation professionnelle » (arrêt, p. 10, in fine et p. 11, in limine), chefs de préjudices extrapatrimoniaux qui avaient nécessairement été évalués à la date de la décision et ne pouvaient donner lieu à aucune actualisation, faute d'être atteints par une quelconque érosion monétaire, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
9. Pour indemniser la partie civile au titre de l'incidence professionnelle du dommage causé par les blessures involontaires qu'elle a subies, l'arrêt attaqué énonce qu'en tenant compte de ses diplômes, de son expérience professionnelle en tant que responsable d'agence d'intérim pendant plus de dix ans, et de ses recherches actives d'emploi avant l'accident, il y a lieu de considérer que la partie civile a perdu une chance d'occuper à nouveau un tel poste.
10. Le juge ajoute qu'en retenant un salaire de référence de 3 000 euros pour les fonctions de responsable d'agence et en évaluant la perte de chance d'obtenir un tel salaire à 75 %, compte tenu des revenus qu'elle percevait, la partie civile doit être indemnisée à hauteur de 64 465,94 euros.
11. Il considère que, compte-tenu de ses séquelles cognitives et orthopédiques, la partie civile occupe un poste de moindre intérêt et subit une plus grande pénibilité dans le travail et une dévalorisation professionnelle.
12. Il en déduit que son préjudice actualisé s'élève à 139 036,57 euros.
13. En l'état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
14. En effet, d'une part, l'indemnité allouée est inférieure à l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée, dès lors que la cour d'appel, appréciant le bien-fondé des demandes de la partie civile, a déterminé, par une appréciation souveraine, la fraction du préjudice correspondant à la perte de chance de l'éviter.
15. D'autre part, le préjudice économique subi par la partie civile doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date et les juges du fond doivent procéder, si elle est demandée, à l'actualisation, au jour de leur décision, de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq.