CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 210 FS-B
Pourvoi n° R 23-23.382
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
La société [G], société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-23.382 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [O] [S], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [G], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [S], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Choquet, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 octobre 2023), par acte du 20 décembre 1990, [F] [K], aux droits de laquelle est venu M. [S], a donné à bail rural des parcelles à M. [G] et Mme [U], membres associés du groupement agricole d'exploitation en commun du Vallon, devenu la société civile d'exploitation agricole [G] (la SCEA).
2. Le bail s'est renouvelé la dernière fois le 20 décembre 2017 pour une durée de neuf ans.
3. Un jugement définitif du 8 avril 2021 a constaté que la SCEA était titulaire du bail conclu initialement le 20 décembre 1990.
4. Par courrier du 1er juin 2021, M. [S] a proposé à la SCEA l'insertion d'une clause de reprise sexennale dans le bail, puis a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux à cette fin par requête du 7 septembre 2021.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La SCEA fait grief à l'arrêt d'ordonner l'insertion d'une clause de reprise sexennale dans le bail conclu le 20 décembre 1990, au titre du renouvellement du bail en date du 20 décembre 2017, alors :
« 1°/ que si, au moment du renouvellement du bail, le preneur ne peut refuser l'introduction d'une clause de reprise sexennale à la fin de la sixième
année suivant ce renouvellement, il peut s'opposer à cette demande lorsqu'elle est formée plusieurs années après le renouvellement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le bail s'était renouvelé pour la dernière fois le 20 décembre 2017 et que M. [S] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande d'insertion au bail d'une clause de reprise sexennale par requête du 07 septembre 2021, soit près de quatre ans après le renouvellement du bail ; qu'en jugeant néanmoins que la Scea [G] ne pouvait s'opposer à une telle demande, l'insertion d'une clause de reprise sexennale étant de droit, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, a violé l'article L. 411-6 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que la faculté pour le bailleur de modifier unilatéralement le contrat en sollicitant l'insertion d'une clause de reprise sexennale dans le bail est une faveur accordée au bailleur de bonne foi ; qu'en l'espèce, la Scea [G] faisait valoir que depuis 2012, M. [S] avait multiplié les congés - pas moins de cinq entre 2012 et 2019 - troublant ainsi sa jouissance, ayant dû saisir à trois reprises le tribunal paritaire afin de faire valoir ses droits, et que M. [S] avait attendu la quatrième année du dernier renouvellement pour solliciter du tribunal l'insertion d'une clause de reprise sexennale et aussitôt après, avant toute décision, délivré un congé pour reprise expressément fondé sur une telle clause, caractérisant ainsi sa mauvaise foi qui le privait du droit de solliciter l'insertion d'une clause de reprise sexennale dans le bail ; qu'en jugeant, pour accueillir la demande de M. [S], que la Scea [G] ajoute à la loi une condition qui n'existe pas en affirmant que la bonne foi du bailleur doit être appréciée avant d'ordonner l'insertion d'une telle clause, la cour d'appel a violé l'article L. 411-6 du code rural et de la pêche maritime ensemble l'article 1104 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'il ressort de l'article L. 411-6 du code rural et de la pêche maritime, d'une part, que l'insertion d'une clause de reprise sexennale pouvait être demandée à tout moment par le bailleur, après un premier renouvellement du bail, et non nécessairement à une date proche du renouvellement, d'autre part, qu'elle n'était pas soumise à une condition tenant à la bonne foi du bailleur.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La SCEA fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une clause de reprise sexennale ne peut être insérée dans le bail renouvelé en cours au jour de la demande d'insertion du bailleur que si celle-ci a été formée au moment du renouvellement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le bail s'était renouvelé pour la dernière fois le 20 décembre 2017 et que M. [S] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande d'insertion au bail d'une clause de reprise sexennale par requête du 7 septembre 2021, soit près de quatre ans après le renouvellement du bail ; qu'en jugeant néanmoins que, dès lors que M. [S] a saisi le 7 septembre 2021 la juridiction paritaire d'une demande d'insertion d'une clause de reprise sexennale, laquelle peut être faite à tout moment – passé le premier renouvellement – et pas forcément à une date proche du renouvellement, celle-ci s'inscrit dans le cadre du renouvellement du 20 décembre 2017, la cour d'appel a violé l'article L. 411-6 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article L. 411-6 du code rural et de la pêche maritime que le bailleur peut demander à tout moment, au cours d'un bail renouvelé, l'insertion dans ce bail d'une clause de reprise sexennale.
10. La cour d'appel, qui a constaté que M. [S] avait demandé au preneur l'insertion d'une clause de reprise sexennale au cours du bail renouvelé entre les parties le 20 décembre 2017, en a exactement déduit que celle-ci devait être introduite dans ce bail.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile d'exploitation agricole [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile d'exploitation agricole [G] et la condamne à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.