CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 201 F-D
Pourvoi n° R 23-21.473
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
La société Garage de Châtel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-21.473 contre l'arrêt rendu le 27 juillet 2023 par la cour d'appel de Metz (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Foncière PVS, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Oppelt, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Garage de Châtel, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société civile immobilière Foncière PVS, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Oppelt, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 27 juillet 2023), le 16 mars 2006, la société Garage de Châtel (la locataire) a pris à bail commercial, pour neuf années, des locaux appartenant à M. [R], aux droits duquel vient la société civile immobilière Foncière PVS (la bailleresse), pour une activité d'achat, vente et exposition de véhicules neufs et d'occasion.
2. En 2017, la bailleresse a notifié à la locataire son refus d'accéder à sa demande d'exercer une activité de réparation de véhicules d'occasion et vente de pièces détachées de véhicules à moteur.
3. Le 16 novembre 2018, elle lui a délivré, en visant la clause résolutoire, un commandement d'avoir à respecter l'article 4 du bail relatif à la destination des locaux loués ainsi qu'un autre commandement de payer diverses sommes, visant aussi la clause résolutoire.
4. La locataire a assigné la bailleresse en annulation de ces commandements. La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, que soit constatée la résiliation du bail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La locataire fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, d'ordonner son expulsion, de la condamner à payer diverses sommes, et de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que « le bail comporte à l'article 4 - Destination - une clause précisant que les locaux seront utilisés par le preneur à usage commercial et industriel, et qui ajoute "il pourra y exercer une activité d'achat, vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur (
)" » ; qu'était ainsi simplement conférée au preneur une faculté d'exercer dans les lieux l'activité ainsi décrite, et non une obligation ; que dès lors, en considérant que le bailleur était en droit de se prévaloir, à l'encontre du preneur, la Sarl Garage de Châtel, de la clause résolutoire insérée dans le bail pour ne pas avoir respecté son obligation d'exercer, dans les lieux loués, une activité « d'achat, vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur » quand une telle obligation n'était pas imposée par le bail, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il résulte des termes clairs et précis de la clause de « destination » insérée dans le bail commercial (article 4) du 16 mars 2006, que « les locaux (
) seront utilisés par le preneur à usage commercial et industriel. Il pourra y exercer une activité d'achat, vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur (
) » ; qu'était ainsi simplement conférée au preneur une faculté d'exercer dans les lieux loués l'activité ainsi décrite, et non une obligation ; que dès lors, en énonçant, pour rejeter la demande en nullité du commandement visant la clause résolutoire pour inexécution de l'article 4 (« clause destination »), que celui-ci mentionnait l'infraction reprochée, à savoir « l'obligation d'exercer une activité "d'achat, vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur" », la cour d'appel, qui a dénaturé l'article 4 du bail commercial du 16 mars 2006, a violé le principe susvisé ;
3°/ que les juges du fond, qui doivent en toutes circonstances faire observer et observer eux-mêmes le principe du contradictoire, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen qu'ils ont relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en se fondant, pour refuser de tenir compte de l'attestation de mise à disposition des locaux du 23 mars 2011, sur la circonstance que celle-ci ne constituait pas « un avenant au bail, en ce qu'elle n'est pas signée par les deux parties » quand aucune des parties au litige n'invoquait la nécessité de recourir à un avenant au bail signé des deux parties pour préciser les activités pouvant être exercées par le preneur dans les locaux pris à bail, la cour d'appel, qui n'a pas préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en refusant de tenir compte de l'attestation de mise à disposition des locaux rédigée par M. [M] en qualité de gérant de la SCI Foncière PVS, selon laquelle les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3] sont mis à disposition de la société Sarl Garage de Châtel « pour y établir le siège social de son exploitation et y exercer toutes activités conformément à son objet », au motif inopérant qu'elle « ne constitue pas un avenant au bail, en ce qu'elle n'est pas signée par les deux parties, et en ce qu'elle ne fait aucune référence à une clause quelconque du bail et à sa modification éventuelle d'un commun accord entre les parties » et en exigeant que la modification de l'article 4 du bail intervienne d'un commun accord entre les parties au bail quand l'attestation en cause ne procédait en réalité à aucune modification de la clause « destination » insérée dans le bail, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
5°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en refusant de tenir compte de l'attestation de mise à disposition des locaux rédigée par M. [M] en qualité de gérant de la SCI Foncière PVS, selon laquelle les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3] sont mis à disposition de la société Sarl Garage de Châtel « pour y établir le siège social de son exploitation et y exercer toutes activités conformément à son objet », au motif inopérant qu'il n'est pas démontré que M. [M] avait eu connaissance du contenu des premiers statuts de la Sarl Garage, ni qu'il avait conscience de la signification juridique de l'expression « son objet », ni encore de l'interprétation et de la portée que la locataire donnerait à la fin de cette phrase et qu'il ne pouvait donc s'en déduire « un accord clair et non équivoque de la bailleresse pour l'exercice des activités de réparation de véhicule et vente de pièces détachées » quand l'article 4 du bail litigieux n'exigeait l'accord du bailleur qu'en cas de changement d'activité du preneur, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
6°/ que la renonciation à un droit résulte d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que renonce à se prévaloir des effets d'une clause résolutoire au titre de l'activité exercée par le preneur dans les lieux loués, le bailleur qui a connaissance des activités exercées dans les lieux loués sans réagir durant plusieurs années ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a, d'abord, constaté, d'une part, que l'article 4 du bail, intitulé « destination » des lieux loués, indiquait que le preneur « pourra y exercer une activité d'achat, de vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur » et que « tout changement même temporaire dans la destination des lieux ou la nature du commerce exploité, ainsi que toutes activités annexes ou complémentaires devront recevoir l'accord exprès préalable et écrit du bailleur sous peine de résiliation du présent bail », d'autre part, que, dans une lettre du 30 septembre 2017, le gérant de la locataire indiquait exercer dans les locaux loués l'activité d'achat, vente, exposition de tous véhicules prévue par l'article 4, et informait la bailleresse de son « intention d'exercer une autre activité (...) consistant dans la réparation de véhicules d'occasion et la vente de pièces détachées », qu'il qualifiait de « nouvelle activité ».
7. Elle a, ensuite, retenu, sans dénaturation, que cette clause de destination n'autorisait que l'activité d'achat, vente et exposition de tous véhicules, et non celle de réparation et de vente de pièces détachées, qui constituait une activité distincte, et, interprétant souverainement l'attestation de mise à disposition des locaux dont se prévalait la locataire, que la bailleresse n'avait pas donné un accord clair et non équivoque à l'exercice de cette nouvelle activité.
8. Elle a, enfin, pu déduire du simple silence pendant plusieurs années de la bailleresse, malgré sa connaissance des activités réellement exercées par la locataire, l'absence de renonciation claire et non équivoque à se prévaloir de l'article 4 du bail.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du commandement visant la clause résolutoire du bail en infraction à son article 4, de constater que la clause résolutoire est acquise au 16 décembre 2018, d'ordonner son expulsion et de la condamner à payer à la bailleresse une somme à titre d'indemnité d'occupation, alors :
« 1°/ qu'une clause résolutoire n'est pas acquise si elle a été mise en uvre de mauvaise foi par le créancier ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt d'une part, que le bailleur a fait délivrer un commandement visant la clause résolutoire pour manquement à l'article 4 du bail relatif à la destination des lieux sur la base d'une lecture dénaturante de ladite clause qui ne faisait nullement obligation au preneur d'exercer dans les lieux exclusivement une activité « d'achat, vente, exposition de tous véhicules neufs et d'occasion à moteur », et, d'autre part, que le bailleur avait connaissance des activités du preneur dans les lieux loués et qu'il est resté sans réagir pendant plusieurs années ; qu'en refusant néanmoins de retenir la mauvaise foi du bailleur dans la mise en uvre de la clause résolutoire insérée au bail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134, alinéa 3 ancien devenu 1104 du code civil ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que la société Garage de Châtel faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la demande de despécialisation du 30 septembre 2017 dont se prévalait le bailleur était due à l'attitude de celui-ci, qui l'avait induite en erreur et qu'il ne pouvait donc la lui opposer pour prétendre qu'elle avait adjoint à son activité initiale une nouvelle activité sans autorisation préalable du bailleur ; qu'en écartant la mauvaise foi du bailleur dans la mise en uvre de la clause résolutoire pour manquement à la clause « destination » insérée dans le bail sans répondre à ces conclusions de nature à caractériser la mauvaise foi du bailleur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que la société Garage de Châtel faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que le commandement visant la clause résolutoire était une réaction à un différend opposant les parties à propos de travaux de mise aux normes du système électrique des locaux exploités par la société Garage de Châtel, le bailleur cherchant par tous moyens à se débarrasser de son preneur ; qu'en écartant la mauvaise foi du bailleur dans la mise en uvre de la clause résolutoire pour manquement à la clause « destination » insérée dans le bail sans répondre à ces conclusions de nature à caractériser la mauvaise foi du bailleur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a, d'abord, constaté que le bail conclu par les parties comportait à l'article 13 une clause résolutoire.
12. Ayant relevé que la demande de la locataire du 30 septembre 2017 de despécialiser partiellement son activité contredisait l'existence d'un accord antérieur de la bailleresse pour l'exercice d'une activité de réparation de véhicules et vente de pièces détachées et que la réponse négative de cette dernière était intervenue dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 145-47 du code de commerce, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement retenu que le commandement n'avait pas été délivré de mauvaise foi par la bailleresse.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter comme sans objet sa demande d'annulation du commandement de payer visant la clause résolutoire et de la condamner à payer à la bailleresse une certaine somme au titre des intérêts de retard conventionnellement prévus dans le bail, alors « que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé ; qu'aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, la société Garage de Châtel demandait, outre l'annulation du commandement du 16 novembre 2018 visant la clause résolutoire pour violation de la clause de destination prévue à l'article 4 du bail, l'annulation du commandement de payer du même jour au titre d'un arriéré de loyers relatif au jeu de la clause d'indexation, s'élevant à 17 255,66 euros, ce montant incluant une somme de 3 155,95 euros au titre des pénalités de retard prévues au contrat de bail ; qu'ayant constaté la résiliation du bail en vertu du commandement visant l'article 4 et la clause résolutoire du bail, la cour d'appel a dit n'y avoir lieu « d'examiner la demande d'annulation du commandement de payer visant la clause résolutoire du bail, devenue sans objet » ; qu'en s'abstenant ainsi d'examiner la demande d'annulation du commandement de payer qui seul pouvait faire courir les pénalités conventionnelles, la cour d'appel, qui a manqué à son office, a violé l'article 5 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
15. Ayant constaté, par motifs adoptés, que l'article 9 du bail précisait qu'en cas de non-paiement à son échéance du loyer par le preneur, ou de toute autre somme due en vertu du bail, le bailleur percevrait des pénalités de retard, calculées au taux mensuel de 1 %, sans qu'il soit nécessaire d'adresser une mise en demeure quelconque, puis retenu que le bail était résilié de plein droit par l'effet de la clause résolutoire visée dans le commandement du 16 novembre 2018 fondé sur une violation de la clause de destination, et, enfin, relevé que la locataire était redevable de loyers, charges et rappels d'indexation impayés, la cour d'appel a pu en déduire que la demande d'annulation du commandement de payer du 16 novembre 2018 visant la clause résolutoire était devenue sans objet et condamner la locataire à payer des pénalités de retard.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Garage de Châtel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Garage de Châtel et la condamne à payer à la société civile immobilière Foncière PVS la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.