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09/04/2025 | FRANCE | N°23-24.018

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na, 09 avril 2025, 23-24.018


COMM.

MB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 avril 2025




Rejet


M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 207 F-D

Pourvoi n° H 23-24.018




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 AVRIL 2025

La sociÃ

©té Ciam, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-24.018 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2023 par la cour d'appel de Pari...

COMM.

MB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 avril 2025




Rejet


M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 207 F-D

Pourvoi n° H 23-24.018




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 AVRIL 2025

La société Ciam, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-24.018 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Wansquare, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Ciam, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Wansquare, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2023), le 24 novembre 2020, la société de gestion financière Ciam a assigné la société de presse Wansquare en responsabilité pour dénigrement de ses produits et services, à la suite de la publication de deux articles critiquant les performances de cette société de gestion.

Examen du moyen

2. La société Ciam fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, alors :

« 1°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'au cas présent, la cour d'appel s'est bornée à affirmer, pour dire que les propos en cause se rapportaient à un sujet d'intérêt général, qu'ils s'incri[vaient] dans le débat général relatif à la moralisation des affaires, dans lequel la société Ciam s'inscrit", et qu'il s'agissait d'articles publiés sur un site de presse économique s'adressant à un public spécialisé et connaisseur" ; qu'en statuant de la sorte cependant que les propos litigieux, dont la cour d'appel rappelait la teneur, portaient exclusivement sur la performance des produits financiers proposés par la société Ciam et ne comportaient aucun développement relatif à la moralisation des affaires, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

2°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'en déduisant que les informations divulguées se rapportent dès lors à un sujet d'intérêt général" de la circonstance que l'article était rédigé par un journaliste et publié sur un site de presse économique s'adressant à un public spécialisé et connaisseur", quand la détermination de la nature d'intérêt général d'un sujet ne dépend ni de la qualité de son auteur, ni du véhicule d'information, ni du public visé par ce dernier, la cour d'appel a statué à l'aide d'une considération inopérante et privé son arrêt de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

3°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la société Wansquare avait, par deux articles publiés sur les sites internet wansquare.com et lalettredelexpansion.com, tenu des propos de nature à jeter le discrédit sur les produits de la société Ciam et susceptibles de constituer des propos dénigrants non protégés par la liberté d'expression ; qu'elle a relevé, pour dire que lesdits propos relevaient de la liberté d'expression même en ce qu'ils comportaient des propos critiques sur les produits de la société Ciam, qu'ils étaient argumentés" et reposaient sur des faits précis", peu important, selon la cour d'appel, que la pertinence des comparaisons effectuées avec les autres produits du CAC 40 soit contestée par la société Ciam" ; qu'en statuant de la sorte et en refusant d'examiner, ainsi qu'elle en était requise, si les comparaisons effectuées dans les articles litigieux présentaient un minimum de pertinence, sans mieux faire ressortir que les propos litigieux reposaient sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

4°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'en se bornant à affirmer que la base factuelle suffisante était établie par l'existence de faits précis énoncés dans les articles, sans même s'assurer qu'ils résultaient de sources vérifiables, et par le fait que l'auteur des articles incriminés était journaliste, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

5°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'ayant constaté que les propos (qui reprennent ceux du premier extrait reproché) se faisaient seulement l'écho des rumeurs et renvoyant aux informations publiées sur le site de Wansquare", ce dont il résultait l'absence de base factuelle suffisante des propos incriminés par l'article publié sur le site www.lalettredelexpansion.com, la cour d'appel, en retenant le caractère non fautif de ces propos au regard de la liberté d'expression, n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

6°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; que la cour d'appel a constaté, en l'espèce, que la société Wansquare avait, par l'intermédiaire des sites internet wansquare.com et lalettredelexpansion.com, tenu des propos de nature à jeter le discrédit sur les produits de la société Ciam et susceptibles de constituer des propos dénigrants non protégés par la liberté d'expression, et notamment les propos suivants : Cela ferait de Ciam l'un des plus mauvais gestionnaires d'actifs du moment avec une division par trois de leurs encours en l'espace de seulement dix-huit mois", Une performance catastrophique depuis le début 2020", contre-performances historiques", ‘BELLE' performance pour un fonds qui donnait des leçons à Scor sur sa capacité à créer de la valeur !", La déconfiture financière de Ciam sur le dossier Europcar est totale. Un autre exemple qui atteste de manière éclatante de l'incompétence financière et stratégique de ce fonds !" (wansquare.com, 9 novembre 2020) et Des rumeurs insistantes font état d'un effondrement des actifs sous gestion, compte tenu des très mauvaises performances financières de Ciam" (lalettredelexpansion.com, 16 novembre 2020) ; qu'elle a notamment considéré, pour débouter la société Ciam de sa demande, que les propos tenus ne dépassaient pas les limites des expressions pouvant être utilisées dans de telles circonstances" ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que les propos litigieux étaient outranciers et, en tous cas, exprimés sans mesure, en violation de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

7°/ que, même en l'absence d'une situation de concurrence entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'en se bornant à affirmer que les propos visés ne dépassaient pas les limites des expressions pouvant être utilisées dans de telles circonstances", sans plus de précision sur lesdites circonstances", et après avoir constaté que les propos sont indiscutablement de nature à jeter le discrédit sur les produits de la société Ciam", la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1240 du code civil ;

8°/ qu'il s'infère nécessairement un préjudice, serait-il seulement moral, d'un acte de dénigrement ; d'où il suit qu'en statuant comme elle le fait sur la demande formée par la société Ciam au titre du préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Après avoir rappelé les termes de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), dont il résulte que l'exercice de la liberté d'expression peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui doivent constituer des mesures nécessaires dans une société démocratique, pour atteindre des buts légitimes, dont la protection des droits d'autrui, l'arrêt énonce que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit ou un service constitue un acte de dénigrement pouvant donner lieu à réparation, et ce, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre l'auteur des propos et la personne visée par le dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général, repose sur une base factuelle suffisante et que l'auteur de l'information ait fait preuve de mesure dans ses propos.

4. En premier lieu, s'agissant de l'article intitulé « Le Fonds activiste CIAM serait en sortie de route », publié le 9 novembre 2020 sur le site www.wansquare.com, après avoir cité dans leur intégralité les extraits incriminés et les avoir réintroduits dans le propos général de l'article, portant sur les contre-performances de produits et valeurs dans lesquelles la société Ciam avait investi et la baisse globale de ses actifs sous gestion, alléguées par des sources extérieures, l'arrêt retient que ces sujets et propos poursuivent un but légitime d'information des lecteurs du site Wansquare et s'inscrivent dans un débat d'intérêt général relatif à la moralisation des affaires, dans lequel la société Ciam entendait se placer en prétendant gérer plusieurs fonds d'investissement dits de « conviction » et militer pour l'amélioration de la « démocratie actionnariale ». Il ajoute que l'article a été rédigé par un journaliste et publié sur un site de presse économique s'adressant à un public spécialisé de connaisseurs.

5. S'agissant de l'article intitulé « Déroute : Les secrets inavouables du fonds activiste CIAM qui fait la morale au CAC 40 », publié le 16 novembre 2020 sur le site www.lalettredelexpansion.com, l'arrêt relève que les propos contenus dans cet article, qui émanent de la même société de presse et du même journaliste, reprennent ceux de l'un des extraits incriminés du premier article et retient que ces propos se rapportent donc également à un sujet d'intérêt général.

6. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que les propos tenus et les informations communiquées l'ont été par un journaliste dans un média de presse et visent à débattre des pratiques commerciales d'une sociétés de gestion financière ainsi qu'à informer un public intéressé quant aux performances de cette société, la cour d'appel a, par des motifs propres à justifier sa décision, retenu à bon droit que ces propos et informations, dont l'objet n'est pas strictement commercial mais vise principalement l'information d'un public intéressé, s'inscrivent dans un débat d'intérêt général.

7. En deuxième lieu, s'agissant, d'une part, de l'article publié sur le site www.wansquare.com, l'arrêt retient que les propos tenus sont accompagnés d'arguments et reposent sur des faits précis, tirés des performances des produits financiers commercialisés par la société Ciam en comparaison de celles d'autres valeurs. Il ajoute que la société Wansquare n'est pas tenue de prouver la pertinence des comparaisons ainsi faites.

8. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'absence de caractère manifestement erroné des informations communiquées, sur la base desquelles les critiques en cause ont été émises, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer les recherches invoquées par les troisième et quatrième branches, que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision quant au constat qu'elle a fait de l'existence d'une base factuelle suffisante.

9. D'autre part, s'agissant de l'article publié sur le site www.lalettredelexpansion.com, ayant retenu que les propos tenus se font l'écho de rumeurs corroborées par des informations publiées sur le site de Wansquare, auxquelles il est renvoyé, la cour d'appel a pu retenir qu'ils reposent sur une base factuelle suffisante.

10. En troisième lieu, ayant retenu que les propos visés dans le premier extrait du premier article, auquel renvoie le second article, sont accompagnés de réserves quant à la véracité des chiffres allégués et utilisent le conditionnel quant aux conclusions qui ont été tirées sur les performances de la société Ciam, et que, pour le surplus, ces critiques ne dépassent pas les limites des expressions pouvant être utilisées dans de telles circonstances, la cour d'appel, qui a pu retenir le caractère suffisamment mesuré des propos tenus, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Ciam aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ciam et la condamne à payer à la société Wansquare la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-24.018
Date de la décision : 09/04/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris I2


Publications
Proposition de citation : Cass. Com. financière et économique - formation restreinte hors rnsm/na, 09 avr. 2025, pourvoi n°23-24.018


Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.24.018
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