La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/2025 | FRANCE | N°12500237

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 09 avril 2025, 12500237


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


MY1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 9 avril 2025








Cassation partielle




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 237 F-D


Pourvoi n° P 23-23.679






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 AVRIL 2025


1°/ M. [Y] [E], domicilié [Adresse 2],


2°/ la société MMA IARD, société anonyme,


3°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'as...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 avril 2025

Cassation partielle

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 237 F-D

Pourvoi n° P 23-23.679

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 AVRIL 2025

1°/ M. [Y] [E], domicilié [Adresse 2],

2°/ la société MMA IARD, société anonyme,

3°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° P 23-23.679 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2023 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [O] [K], épouse [D],

2°/ à M. [H] [D],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E], des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. et Mme [D], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 17 octobre 2023) et les productions, ayant acquis, le 9 mars 2012, de la société l'Arrayade (la société) un appartement en l'état futur d'achèvement, M. et Mme [D] ont, à la réception du bien le 5 août 2013, exprimé des réserves constatées dans un procès-verbal établi par huissier de justice et consigné la somme de 24 487,78 euros correspondant au solde du prix entre les mains du notaire chargé de la vente.

2. Le 9 août 2016, après une expertise ordonnée en référé, M. et Mme [D], représentés par M. [F], avocat, ont assigné la société en indemnisation de divers désordres et préjudices et la société a demandé reconventionnellement le paiement du solde du prix. En mai 2017, M. [E], avocat, a succédé à M. [F] dans la défense des intérêts des acquéreurs. Par un jugement du 19 décembre 2018, devenu irrévocable, la demande indemnitaire formée par M. et Mme [D] a été jugée forclose et ils ont été condamnés au paiement du solde du prix.

3. Les 23 et 27 juillet 2020, M. et Mme [D] ont engagé une action en responsabilité contre M. [F] et son assureur. Par un jugement irrévocable du 5 avril 2022, M. [F] et son assureur ont été condamnés à leur payer la somme de 59 211,86 euros HT au titre d'une perte de chance d'obtenir la réparation des désordres à hauteur de 80 % en l'absence de forclusion de leur action en réparation.

4. Le 30 octobre 2020, M. et Mme [D] ont assigné M. [E] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA) en responsabilité et indemnisation, reprochant à l'avocat de ne pas avoir invoqué la prescription de la demande du vendeur en paiement du solde du prix.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. M. [E] et les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à M. et Mme [D] la somme de 21 550 euros en réparation de leur préjudice matériel, alors :

« 1°/ que la consignation opérée, en application de l'article R 261-14 du code de la construction et de l'habitation, en raison des désordres et non-conformités affectant un bien acquis en l'état futur d'achèvement, vaut paiement de sorte que l'action du constructeur visant à voir trancher à son profit la contestation qui l'a justifiée et à se voir attribuer les sommes consignées n'est pas une action en paiement d'un professionnel à l'égard d'un consommateur, soumise au délai biennal du code de la consommation ; qu'en retenant, pour imputer à faute à M. [Y] [E] de n'avoir pas soulevé la prescription biennale de la demande reconventionnelle de la SCI l'Arrayade, que « la libération du séquestre » ne pouvait intervenir, à défaut d'accord entre les parties, qu'après l'exercice d'une action judiciaire, de sorte qu'une telle action devait « être considérée comme une action en paiement de la part d'un professionnel à l'égard d'un consommateur » (arrêt page 7, al. 3 et 4), quand la consignation valant paiement, comme elle l'avait elle-même relevé (arrêt page 7, al. 1er), la demande de la SCI l'Arrayade qui tendait uniquement à se voir attribuer les sommes qui avaient fait l'objet d'une consignation, après que la contestation qui l'avait justifiée ait été tranchée, n'était pas soumise au délai biennal du code de la consommation, mais au délai de droit commun de sorte qu'il ne pouvait être reproché à M. [Y] [E] de ne pas avoir soulevé cette fin de non recevoir, qui ne présentait aucune chance d'être retenue, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil, ensemble l'article R. 261-14 du code de la construction et de l'habitation ;

2°/ que le dépositaire chargé du séquestre ne peut être déchargé avant la contestation terminée, que du consentement de toutes les parties intéressées ou pour une cause jugée légitime de sorte que le délai de prescription d'une action tendant à se voir attribuer les sommes consignées ne peut commencer à courir avant que la contestation ayant justifié la mesure ait été tranchée ; qu'en retenant, pour imputer à faute à M. [Y] [E] de n'avoir pas opposé la prescription biennale à la demande reconventionnelle de la SCI l'Arrayade tendant à se voir attribuer les sommes consignées en raison des désordres affectant le bien livré aux époux [D], que le point de départ de cette prescription devait être fixée au « 5 août 2013, date de la livraison de l'immeuble et de la consignation du solde du marché » (arrêt page 5, al. 7), sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, à quelle date la contestation qui avait justifié la consignation avait été définitivement tranchée et si, partant, la prescription que les maîtres de l'ouvrage reprochaient à l'exposant de ne pas avoir opposée à la demande de la SCI l'Arrayade n'était pas encourue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil, ensemble l'article 1960 du même code ;

3°/ qu'un avocat ne peut voir sa responsabilité engagée pour n'avoir pas soulevé un moyen voué à l'échec, en l'état du droit positif existant à l'époque de son intervention ; qu'en reprochant à M. [Y] [E] de ne pas avoir opposé la prescription biennale à la demande reconventionnelle formée par la SCI l'Arrayade, et en se bornant à retenir un aléa quant au prononcé de la prescription « du fait de l'intervention éventuelle d'une cause d'interruption ou de suspension de la prescription » (arrêt page 7, pénultième al.), sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions page 8, al. 4 à 6), si, au regard des solutions alors retenues par la Cour de cassation, la prescription n'avait pas été interrompue par la demande reconventionnelle aux fins d'expertise, formulée par les époux [D], puis suspendue à l'égard de toutes les parties, dont la SCI l'Arrayade, jusqu'au dépôt du rapport, en août 2015, de sorte que M. [Y] [E] ne pouvait être tenu pour fautif de ne pas avoir opposé une fin de non-recevoir qui, compte tenu de la jurisprudence constante, applicable à l'époque de son intervention, ne présentait aucune chance d'être retenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil ;

Réponse de la Cour

6. Ayant relevé que la demande du vendeur avait pour objet le paiement du solde du prix sans se rapporter à la libération du séquestre, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a, d'abord, exactement retenu que cette demande, qui devait être considérée comme une action en paiement engagée par un professionnel contre des consommateurs, était soumise à la prescription biennale prévue à l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation dont le délai avait couru à compter du 5 août 2013, date de la réception du bien avec réserves.

7. Procédant ensuite à la recherche qui lui était demandée, elle a retenu, d'une part, qu'il n'existait aucune cause d'interruption en application de l'article 2243 du code civil puisque la procédure de référé engagée le 7 novembre 2013 par la société en paiement d'une provision à valoir sur le solde du marché n'avait pas d'effet interruptif, étant non avenue du fait du rejet de cette demande par ordonnance du 17 décembre 2013, d'autre part, que, si un arrêt du 31 janvier 2019 (2e Civ., pourvoi n° 18-10.011), avait, pour la première fois, énoncé que la suspension de la prescription en application de l'article 2239 du code civil, liée à l'accueil d'une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité la mesure durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit, M. [E] aurait dû néanmoins s'interroger sur l'existence d'une cause de suspension de la prescription, dès lors que les chances de succès d'un moyen de défense en ce sens étaient, avant cette jurisprudence, soumises à un aléa sans être nulles et qu'il avait donc engagé sa responsabilité.

8. Le moyen, en ses trois premières branches, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

9. M. [E] et les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors :

« 4°/ que le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en retenant, pour condamner M. [E] à indemniser les époux [D] d'une perte de chance de ne pas verser la somme de 24 487,47 ¿ et la somme supplémentaire de 2 458,76 ¿, que la somme de 24 487,47 ¿ "n'a[vait] pas été indemnisée dans le cadre de l'action en responsabilité exercée contre Me [F] leur premier avocat, puisque le tribunal judiciaire de Tarbes dans son jugement devenu définitif du 5 avril 2022 a[vait] déclaré que les époux [D] avaient droit à l'indemnisation de leur entier préjudice résultant des malfaçons non réparées du fait de la forclusion de leur action, sans que puisse être déduit le solde du prix de vente dont ils ne sont plus redevables dès lors que cette somme a été libérée en exécution de la décision judiciaire" et que l'indemnisation mise à la charge de "Me [F] ayant traité uniquement le préjudice lié à la forclusion de l'action en réparation des malfaçons" (arrêt page 8, al. 5), quand il s'évince de ses propres constatations que l'indemnité préalablement mise à la charge de M. [F] et accordée aux époux [D] avait été fixée en tenant compte de leur obligation de libérer l'intégralité des sommes consignées, au profit du constructeur, et avait compensé cette obligation, la cour d'appel, a indemnisé deux fois le même préjudice et violé l'article 1231-1 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

5°/ que le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en indemnisant les époux [D] de leur perte de chance d'être dispensés de payer le solde du prix de vente quand ils avaient reçu l'indemnisation de leur perte de chance d'obtenir la réparation des désordres, dont le montant tenait déjà compte de leur obligation de payer le solde du prix, la cour d'appel, qui a ainsi replacé les époux [D] dans une situation dans laquelle ils n'auraient pu se trouver, en l'absence des fautes commises par les deux avocats, a violé l'article 1231-1 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1231-1 du code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

10. Il résulte de ce texte et de ce principe que le même préjudice ne peut être indemnisé deux fois.

11. Pour condamner M. [E] et les sociétés MMA au paiement d'une somme de 21 550 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à 80 % du solde du prix de vente consigné, l'arrêt retient, d'abord, que le manquement de l'avocat qui n'a pas opposé, à la demande en paiement formée par le vendeur professionnel, la prescription biennale de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, a fait perdre à M. et Mme [D] une chance de faire juger irrecevable cette demande et retient, ensuite, que l'indemnisation de cette perte de chance n'est pas de nature à entraîner un double indemnisation, celle mise à la charge de M. [F], par jugement du 5 avril 2022, ne couvrant que le préjudice lié à la forclusion de l'action en réparation des malfaçons sans déduction du solde du prix dont les acquéreurs s'étaient acquittés en exécution du jugement du 19 décembre 2018, de sorte que le préjudice imputable à la faute de M. [E] n'a pas été indemnisé à l'issue de l'action en responsabilité engagée contre l'avocat auquel il a succédé.

12. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter une double indemnisation par l'effet d'un cumul des indemnités mises à la charge des avocats qui se sont succédé réparant à la fois les désordres subis par M. et Mme [D] et le versement au vendeur du solde du prix de vente consigné en raison des désordres, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, seulement en ce qu'il fixe à la somme de 21 550 euros le préjudice matériel subi par M. et Mme [D] et condamne M. [E] et les sociétés MMA à leur payer cette somme, l'arrêt rendu le 17 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne M. et Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500237
Date de la décision : 09/04/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 17 octobre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 09 avr. 2025, pourvoi n°12500237


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500237
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award