LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 avril 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 235 F-D
Pourvoi n° N 23-21.102
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 AVRIL 2025
La société Grenoble 22 Edouard Rey notaires associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, venant aux droits de la société Didier Leclercq, Henry Benoist, Olivier Marce, Julien Dauvergne, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 23-21.102 contre l'arrêt rendu le 30 mai 2023 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [Z] [Y], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Grenoble 22 Edouard Rey notaires associés, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Y], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 30 mai 2023), par lettre du 3 mars 2016, M. [Y], notaire associé, a notifié à la société civile professionnelle Didier Leclerq, Henry Benoist, Olivier Marce, Julien Dauvergne, aux droits de laquelle se trouve la société d'exercice libéral Grenoble 22 Edouard Rey notaires associés (la société), sa volonté de se retirer de l'étude le 31 mars 2016, demandant l'établissement d'un bilan intermédiaire à cette date et le remboursement de ses droits sociaux à hauteur de 515 000 euros, dans les conditions d'un protocole à régulariser.
2.Le 9 mars 2016, a été conclu un protocole de réduction de capital, complété d'un avenant du 6 décembre 2016, autorisant le retrayant à quitter définitivement l'étude à la date du 31 mars 2016 et prévoyant, outre les modalités de paiement, d'une part, l'annulation de ses parts sociales, sous les conditions suspensives de l'approbation du retrait par arrêté du garde des sceaux et de la réitération de la réduction de capital par acte authentique, d'autre part, l'établissement d'un bilan intermédiaire au 31 mars 2016.
3. M. [Y] a définitivement quitté l'étude le 31 mars 2016 et son retrait a été prononcé par un arrêté publié le 27 décembre suivant.
4. Le 17 février 2017, la société a réglé à M. [Y] au titre de ses parts sociales la somme de 372 433 euros après déduction de dépenses personnelles prises en charge par la société pour le compte du retrayant à compter du 1er avril 2016.
5. Le 7 décembre 2017, M. [Y] a assigné la société en paiement de diverses sommes au titre de sa quote-part dans les bénéfices réalisés en 2016 et 2017 jusqu'au remboursement de ses parts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [Y] la somme de 216 042 ¿ au titre de la quote-part du retrayant dans le bénéfice pour l'exercice clos le 31 décembre 2016 et de le dire fondé dans le principe à réclamer sa quote-part dans les bénéfices de la SCP du 1er janvier 2017 jusqu'au 17 février 2017, alors :
« 1°/ que l'article 4 du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 précise que "les procédures engagées avant la date d'entrée en vigueur du présent décret et relatives aux conditions d'accès aux professions, aux nominations d'officiers publics et ministériels, aux créations, transferts et suppressions d'office, aux cessions d'actions ou de parts sociales, aux augmentations de capital et aux ouvertures et fermetures de bureaux annexes restent régies par les dispositions antérieurement applicables" ; que cette disposition distingue expressément la procédure, dont la date d'engagement détermine le droit applicable, de l'opération sur laquelle porte cette procédure (nomination, création, transfert, suppression d'office, cessions d'action ou parts) et que le terme "procédures" s'entend nécessairement des procédures contentieuses introduites par une assignation en justice et non de l'opération elle-même ; qu'il importe peu que l'opération sur laquelle porte la contestation ait été initiée avant l'entrée en vigueur du décret, seule la date d'engagement de la procédure contentieuse étant à prendre en considération ; que l'assignation de M. [Y] ayant été délivrée le 7 décembre 2017, soit postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 9 novembre 2016, seules les nouvelles dispositions étaient applicables ; qu'en retenant, pour dire non applicables les nouvelles dispositions du décret du 9 novembre 2016, que "la procédure (dans son acception générale rejoignant la notion de processus et pas uniquement au sens de procédure judiciaire) avait été engagée avant son entrée en application (11 novembre 2016) ainsi qu'en atteste le protocole d'accord signé le 9 mars 2016", la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 du code civil et 4 du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 ;
2°/ que quand bien même la notion de procédure visée par le décret concernerait-elle non la procédure contentieuse mais l'opération convenue entre les parties, les nouvelles dispositions du décret étaient applicables ; que l'article 4 du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 précise que "les procédures engagées avant la date d'entrée en vigueur du présent décret et relatives aux conditions d'accès aux professions, aux nominations d'officiers publics et ministériels, aux créations, transferts et suppressions d'office, aux cessions d'actions ou de parts sociales, aux augmentations de capital et aux ouvertures et fermetures de bureaux annexes restent régies par les dispositions antérieurement applicables" ; qu'il résulte de cette disposition que les dispositions antérieures s'appliquent lorsque la procédure a été engagée avant son entrée en application uniquement pour les hypothèses précisément énumérées, soit les procédures relatives aux conditions d'accès aux professions, aux nominations d'officiers publics et ministériels, aux créations, transferts et suppressions d'office, aux cessions d'actions ou de parts sociales, aux augmentations de capital, et aux ouvertures et fermetures de bureaux ; que les nouvelles dispositions issues du décret s'appliquent donc aux opérations de retrait ¿ annulation de parts emportant diminution du capital sans cession, non mentionnées à l'article 4 ; qu'en retenant, pour dire l'ancien article 31 applicable, que la procédure a été engagée avant l'entrée en application du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016, ainsi qu'en atteste le protocole d'accord signé le 9 mars 2016, quand la procédure était relative à un retrait sans cession, opération non visée par l'article 4 du décret, la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 du code civil, ensemble l'article 4 du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 ;
3°/ que le décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 étant applicable, il prévoit en son article 31 que "I. - Lorsqu'un associé demande son retrait de la société en cédant la totalité de ses parts sociales, il est procédé conformément aux dispositions des articles 27 et 28. - Lorsqu'un associé entend demander à la société de satisfaire à l'obligation à laquelle elle est tenue en application de l'article 21 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 susvisée, il notifie sa demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à ses associés ainsi qu'à la société, qui remplit son obligation dans un délai de douze mois à compter de cette notification, sous condition suspensive de l'acceptation du retrait par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.- L'associé titulaire de parts d'intérêt qui entend demander son retrait au garde des sceaux, ministre de la justice, en informe la société et ses associés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. En application du dernier alinéa de l'article 14, la société annule les parts d'intérêt de l'associé qui entend demander son retrait dans un délai de six mois à compter de la notification prévue au précédent alinéa, sous condition suspensive de l'acceptation du retrait par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice" ; qu'il résulte du nouvel article 31 qu'en cas de retrait volontaire de l'associé, les parts sont annulées, sous condition suspensive de l'acceptation du retrait et le retrayant n'a donc plus droit à rémunération de ses apports ni a fortiori aux bénéfices à compter de l'annulation des parts ; qu'en jugeant cependant que le nouvel article 31 n'édicte aucune règle dérogeant au principe résultant des dispositions des articles 1869 du code civil et 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relatives aux sociétés civiles professionnelles selon lequel l'associé retrayant conserve ses droits patrimoniaux tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de ses parts sociales, sauf accord contraire des parties dérogeant à cette règle et organisant les conditions et modalités financières découlant du retrait et que l'associé retrayant a donc droit, tant qu'il détient ses parts sociales, à la rétribution de ses apports en capital et, partant, à sa quote-part dans les bénéfices distribués, la répartition des bénéfices étant fondée sur sa participation au capital social, la cour d'appel a violé l'article 31 issu du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016, entré en vigueur le 11 novembre 2016 ;
4°/ que, à supposer applicable l'ancien article 31 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, cette disposition prévoit qu'à compter de la publication de l'arrêté de la chancellerie, le retrayant perd sa qualité d'associé et ne peut plus prétendre à une quote-part des bénéfices à compter de cette date, le retrayant ayant seulement droit à la rémunérations de ses droits au titre du capital social jusqu'au remboursement de la valeur de ses parts ; qu'en retenant que M. [Y] avait droit à la rétribution de ses apports en capital et, partant, à sa quote-part dans les bénéfices distribués jusqu'à la date de remboursement de ses parts sociales, la cour d'appel a violé l'article 31 du décret, dans sa rédaction antérieure à celle du décret du 9 novembre 2016 ;
5°/ que le retrayant peut renoncer à sa créance au titre des bénéfices pour la période postérieure à la cessation effective d'activité jusqu'au paiement de ses parts ; que l'accomplissement d'un acte clairement incompatible avec l'exercice d'un droit implique que son auteur a renoncé à celui-ci ; que la cour d'appel a constaté que M. [Y] avait définitivement quitté la SCP le 31 mars 2016, qu'un bilan avait été édité pour la période du 1er janvier au 31 mars 2016, que le protocole d'accord prévoyait ce bilan intermédiaire pour la répartition des résultats "compris entre le 1er janvier de l'année et cette date-là" ; qu'en écartant toute renonciation à une quote-part des bénéfices générés par la SCP pour la période postérieure la date de son départ, soit le 31 mars 2016, cependant qu'il résultait de ses propres constatations la volonté de M. [Y] de fixer son droit aux bénéfices à la date de son départ effectif, soit le 31 mars 2016, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil ;
6°/ que les juges ne peuvent dénaturer les éléments de la cause qui leur sont soumis ; qu'en énonçant que "la pièce 12 de la SCP relative à l'assemblée générale du 20 janvier 2017 prévoit d'ailleurs le principe d'une répartition des bénéfices au profit de M. [Y] jusqu'à la date de publication de l'arrêt du garde des sceaux, soit jusqu'au 27 décembre 2016", quand cette pièce n'énonçait rien de tel, stipulant au contraire que la quote-part de M [Y] dans les bénéfices était calculée conformément au protocole d'accord du 9 mars 2016 et son avenant du 6 décembre 2016, le seul droit reconnu à M. [Y] jusqu'à la date de la publication de l'arrêté du garde des sceaux étant sa rémunération de ses droits au titre du capital (soit une somme de 1 006,44 ¿), la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal de l'assemblée générale du 20 janvier 2017 en méconnaissance du principe susvisé ;
7°/ que l'associé retrayant peut renoncer à la perception de bénéfices, les parties étant libres d'arrêter les conditions financières de l'associé retrayant ; que le protocole d'accord du 9 mars 2016 et son avenant du 6 décembre 2016 ne privait pas M. [Y] de tout bénéfice, les parties ayant simplement convenu que son droit à une quote-part de bénéfices, lié à l'exercice d'une activité effective au sein de la SCP, cessait à la date de sa cessation d'activité, intervenue le 31 mars 2016 ; qu'en retenant, pour dire que M. [Y] avait droit à demander le paiement de sa quote-part dans les bénéfices de la SCP jusqu'au 17 février 2017, que "toute clause de renonciation à la rémunération des apports en capital de M. [Y] avant le transfert de propriété de ses parts par leur paiement et la perte de sa qualité d'associé (..) est nulle en l'absence de contrepartie qui ne soit ni illusoire ni dérisoire, car privée de cause au sens de l'article 1131 ancien du code civil (applicable à la cause)", la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1131 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Ayant exactement énoncé que l'article 31 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, dans sa rédaction issue du décret n° 87-172 du 13 mars 1987, était applicable au litige, la procédure de retrait ayant été engagée par M. [Y] antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 modifiant cette disposition et qu'en tout état de cause, ce texte réglementaire n'avait pas pour effet de déroger aux dispositions législatives des articles 1869 du code civil et 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, la cour d'appel a, à bon droit, retenu que le notaire, qui exerce sa faculté de retrait, conserve ses droits patrimoniaux tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales et a donc droit à la rétribution de ses apports en capital et à sa quote-part des bénéfices distribués tant qu'il demeure titulaire de ses parts.
8. Sans dénaturation ni contradiction, la cour d'appel a, ensuite, souverainement retenu que, si M. [Y] avait définitivement quitté l'étude le 31 mars 2016, avec l'accord des autres associés, avant la publication de l'arrêté approuvant son retrait et si un bilan intermédiaire avait été établi à cette date, ces circonstances n'établissaient pas qu'il avait renoncé à percevoir sa quote-part dans les bénéfices réalisés au cours de la période postérieure jusqu'au remboursement de l'intégralité de ses parts, et a, en outre, relevé, en se fondant sur le procès-verbal d'assemblée générale du 20 janvier 2017, que les associés avaient admis que M. [Y] conservait son droit à percevoir la rémunération de ses apports en capital après le 31 mars 2016.
9. Inopérant en sa dernière branche qui critique un motif surabondant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Grenoble 22 Edouard Rey notaires associés aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Grenoble 22 Edouard Rey notaires associés et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille vingt-cinq.