CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 avril 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 180 F-D
Pourvoi n° E 23-14.448
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025
1°/ la société HPA Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Groupe Garrigae,
2°/ la société JSB, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], anciennement dénommée Les Jardins de Saint-Benoît, en liquidation judiciaire,
3°/ la société [C] Yang-Ting, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], en la personne de Mme [R] [C], agissant en sa qualité de liquidateur de la société JSB,
ont formé le pourvoi n° E 23-14.448 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023, par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [N] [V],
2°/ à Mme [S] [E], épouse [V],
tous deux domiciliés [Adresse 3] (Irlande),
3°/ à la société Crédit immobilier de France développement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits du Crédit immobilier de France Rhône-Alpes Auvergne,
4°/ à la société Stéphane Grosjean et Frédéric Schuller, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], anciennement société Benedetti Grosjean Gally Dariscon,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pety, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés HPA Holding et [C] Yang-Ting, ès qualités, de Me Haas, avocat de M. et Mme [V], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pety, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société [C] Yang-Ting, prise en la personne de Mme [C], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société JSB, anciennement dénommée Les Jardins de Saint-Benoît, de sa reprise d'instance.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société HPA Holding, anciennement dénommée Groupe Garrigae, et à la société [C] Yang-Ting, ès qualités, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile professionnelle Stéphane Grosjean et Frédéric Schuller, anciennement dénommée Benedetti Grosjean Gally Dariscon.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 février 2023), M. et Mme [V] (les acquéreurs) ont conclu avec la société Les Jardins de Saint-Benoît, devenue la société JSB (le vendeur), un contrat de réservation d'une maison meublée dans une résidence de tourisme, acte comportant une promesse de bail commercial au profit de la société Garrigae Hotels And Resorts (le preneur).
4. Par acte authentique du 30 mai 2008, les parties ont signé la vente en l'état futur d'achèvement de ce bien réservé au prix de 255 000 euros, toutes taxes comprises, somme partiellement financée par un prêt souscrit auprès du Crédit immobilier de France développement, venant aux droits du Crédit immobilier de France Rhône Alpes Auvergne (la banque).
5. Par acte du 24 janvier 2012, un avenant au bail a été conclu, mentionnant une substitution de preneur, une réduction des loyers et un abandon de certains d'entre eux.
6. Dénonçant une rentabilité décevante de l'opération, les acquéreurs ont assigné le vendeur, la société HPA Holding, auteur de la plaquette commerciale, et la banque en annulation de la vente pour dol et en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et cinquième moyens
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et deuxième moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le cinquième moyen qui est irrecevable.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la banque la somme de 243 984 euros, alors « que l'interdépendance entre deux ou plusieurs contrats n'a pas pour effet de rendre indivisibles les obligations de restitution consécutives à leur anéantissement ; qu'en condamnant, après avoir prononcé la nullité du contrat de vente pour dol et la résolution consécutive du contrat de prêt souscrit pour financer l'acquisition, le vendeur et son prétendu mandataire à restituer le capital emprunté au prêteur, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. En application de ce texte, l'obligation de restitution du capital au prêteur, ensuite de l'anéantissement d'un contrat de crédit affecté, consécutif à la nullité ou à la résolution du contrat principal, pèse sur l'emprunteur, partie au contrat de prêt, et non sur le vendeur, même si les fonds ont été directement versés à celui-ci à la demande de l'emprunteur et nonobstant la sûreté dont dispose le prêteur pour le paiement de l'obligation, qui, reportée de plein droit sur l'obligation de restituer, subsiste jusqu'à l'extinction de celle-ci.
10. Pour condamner in solidum le vendeur et la société HPA Holding à payer à la banque la somme de 243 984 euros, l'arrêt énonce que l'annulation de plein droit du contrat de prêt, ensuite de l'annulation du contrat de vente, entraîne la restitution par le vendeur de cette somme, qu'il a perçue au titre de la vente immobilière, à la banque, qui dispose d'un privilège.
11. En statuant ainsi, alors que l'obligation de restitution du capital emprunté
incombait, après annulation du prêt affecté, aux seuls emprunteurs, acquéreurs de l'immeuble, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer aux acquéreurs la somme de 22 336 euros au titre de leur apport personnel, alors « que seul le vendeur peut être condamné à restituer le prix de vente consécutivement à l'annulation du contrat de vente ; qu'en condamnant la société HPA Holding, anciennement dénommée Groupe Garrigae, in solidum avec la société Les Jardins de Saint-Benoît, devenue JSB, qui avait seule conclu le contrat de vente annulé, à restituer une certaine somme correspondant au montant du prix de vente, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Il résulte de ce texte que la nullité emporte anéantissement rétroactif du contrat et la remise des parties dans l'état antérieur à la conclusion de celui-ci, ce qui donne lieu à des restitutions réciproques entre elles.
14. Pour condamner la société HPA Holding, in solidum avec le vendeur, à payer aux acquéreurs la somme de 22 336 euros avec intérêts au taux légal, l'arrêt énonce que l'annulation de la vente entraîne la restitution par les deux sociétés à ces derniers de leur apport personnel.
15. En statuant ainsi, alors que la société HPA Holding n'avait pas la qualité de vendeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer aux acquéreurs la somme de 31 762 euros au titre des frais exposés dans le cadre de la vente et du prêt, avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2015, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions réciproques des parties, telles qu'elles ressortent de leurs conclusions ; que, dans leurs conclusions, M. et Mme [V] sollicitaient la condamnation in solidum de la société Les Jardins de Saint-Benoît, devenue JSB, et de la société HPA Holding, anciennement dénommée Groupe Garrigae, à leur payer la somme de 31 762 euros à titre de dommages-intérêts incluant 19 000 euros « au titre du mobilier », dont la société Les Jardins de Saint-Benoît, devenue JSB, et la société HPA Holding rappelaient dans leurs conclusions que M. et Mme [V] étaient toujours propriétaires ; qu'en condamnant in solidum ces deux sociétés à régler à M. et Mme [V] la somme de 31 762 euros en précisant qu'elle correspondait à la restitution « des frais exposés dans le cadre de la vente et du prêt », la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4, alinéa 1er , du code de procédure civile :
17. Aux termes de ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
18. L'arrêt condamne le vendeur et la société HPA Holding à payer aux acquéreurs la somme de 31 762 euros au titre de la restitution des frais de vente et du prêt, ensuite de l'annulation des conventions.
19. En statuant ainsi, alors que les acquéreurs sollicitaient cette somme au titre de l'indemnisation d'un préjudice et non au titre des restitutions, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
20. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la banque la somme de 58 862,64 euros, avec intérêts conventionnels au 10 août 2009, à titre de dommages-intérêts, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions réciproques des parties, telles qu'elles ressortent de leurs conclusions ; que, dans le dispositif de ses conclusions, la société Crédit immobilier de France développement sollicitait la condamnation de la partie jugée responsable du dol entraînant l'annulation de la vente à lui payer la somme de 58 862,64 euros « au titre des intérêts conventionnels échus au 10 août 2019 » en réparation de son préjudice ; qu'en condamnant les sociétés exposantes à régler à la société Crédit immobilier de France cette somme « avec intérêts conventionnels au 10 août 2009 », la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4, alinéa 1er, du code de procédure civile :
21. Aux termes de ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
22. Pour condamner le vendeur et la société HPA Holding à verser à titre de dommages-intérêts au prêteur la somme de 58 862,64 euros, avec intérêts conventionnels au 10 août 2009, l'arrêt retient que les manoeuvres dolosives de ces deux sociétés ont causé à la banque un préjudice personnel de ce montant correspondant aux intérêts conventionnels échus à cette date.
23. En statuant ainsi, alors que la banque sollicitait la condamnation de la partie jugée responsable du dol à lui payer cette somme au titre des intérêts conventionnels échus au 10 août 2019, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé.
Mises hors de cause
24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la banque ni les acquéreurs, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Les Jardins de Saint-Benoît, devenue la société JSB, et HPA Holding à payer au Crédit immobilier de France développement les sommes de 243 984 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2015 et de 58 862,64 euros avec intérêts conventionnels à compter du 10 août 2009, en ce qu'il condamne la société HPA Holding, in solidum avec la société Les Jardins de Saint-Benoît, à payer à M. et Mme [V] la somme de 22 336 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2015 au titre de leur apport personnel, et en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Les Jardins de Saint-Benoît et HPA Holding à payer à M. et Mme [V] la somme de 31 762 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2015 au titre des frais exposés dans le cadre de la vente et du prêt, l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause le Crédit immobilier de France développement ni M. et Mme [V] ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. et Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-cinq.