LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 avril 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 225 F-D
Pourvoi n° P 23-18.895
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 AVRIL 2025
La société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-18.895 contre l'arrêt rendu le 4 mai 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [U] [E], domiciliée [Adresse 3], assistée de M. [C] [F], pris en qualité de curateur, domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [D] [K], domicilié [Adresse 4], membre de la société [K] et associés, anciennement dénommée la société [M]-[K], pris en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [U] [E],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [E], assistée de son curateur et de M. [K], ès qualités, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 mai 2023), par acte notarié du 6 février 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à Mme [E] (l'emprunteuse) un prêt immobilier souscrit en francs suisses, à taux révisable, stipulant que la monnaie de compte est le franc suisse et que la monnaie de paiement est l'euro.
2. Par des jugements d'un tribunal de grande instance des 18 septembre 2014 et 20 juillet 2020, l'emprunteuse a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, la société [K] et associés étant désignée en qualité de liquidateur.
3. Le 13 novembre 2015, l'emprunteuse a assigné la banque en responsabilité et indemnisation au titre de manquements de la banque à ses devoirs d'information et de mise en garde, ainsi qu'en constatation du caractère abusif des stipulations du contrat relatives aux opérations de change et au taux d'intérêt.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur les deuxième et troisième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, dès lors que la septième branche du deuxième moyen est manifestement irrecevable et que les autres griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
7. Pour condamner la banque à payer à l'emprunteuse une certaine somme à titre de dommages et intérêts, la cour d'appel retient que le préjudice né du manquement de la banque à son devoir d'information est la perte de chance de ne pas contracter le prêt et qu'elle dispose des éléments suffisants pour l'évaluer.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait réputé non écrites les clauses du contrat de prêt relatives aux opérations de change et au taux d'intérêt et, en conséquence, statué sur les restitutions afin de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, ce dont il résultait qu'aucun préjudice de perte de chance de ne pas conclure ce contrat ne pouvait avoir été subi par l'emprunteuse, la cour d'appel a, par fausse application, violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. Le préjudice de perte de chance de ne pas subir les pertes financières liées à l'exécution du contrat, invoqué par l'emprunteuse et son liquidateur judiciaire ès qualités, n'étant pas caractérisé dès lors que la cour d'appel a déclaré non écrites les clauses relatives aux opérations de change et au taux d'intérêt et, en conséquence, fixé la créance de la banque au passif de la procédure collective de l'emprunteuse au montant du capital prêté, avec intérêt au taux légal, sous déduction des sommes déjà perçues, la demande d'indemnisation du préjudice matériel résultant du manquement de la banque à son devoir d'information sera rejetée.
12. La cassation des chefs de dispositif qui condamnent la société BNP Paribas Personal Finance à payer Mme [E] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement au devoir d'information et disent que cette somme devra être versée à la société [K] et Associés, prise en la personne de M. [K], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [E], n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la banque aux dépens ainsi qu'au paiement de sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société BNP Paribas Personal Finance à payer Mme [E] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement au devoir d'information et dit que cette somme devra être versée à la société [K] et associés, prise en la personne de M. [K], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [E], l'arrêt rendu le 4 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande d'indemnisation du préjudice matériel, au titre d'une perte de chance, résultant du manquement de la banque à son devoir d'information formée par Mme [E], assistée de son curateur, et par la société [K] et associés, prise en la personne de M. [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire de Mme [E], à l'encontre de la société BNP Paribas Personal Finance ;
Condamne Mme [E], assistée de son curateur, et la société [K] et associés, ès qualités, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.