LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2025
Cassation
Mme SCHMIDT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 174 F-D
Pourvoi n° B 24-10.148
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 MARS 2025
1°/ M. [K] [R], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de gérant de la société [Localité 3] motoculture,
2°/ la société [Localité 3] motoculture, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° B 24-10.148 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2023 par la cour d'appel de Bourges (chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société JSA, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [L] [B], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société [Localité 3] motoculture, défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gouarin, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [R] et de la société [Localité 3] motoculture, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société JSA, ès qualités, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gouarin, conseiller rapporteur, Mme Guillou, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 9 novembre 2023), le 5 juillet 2021, la société [Localité 3] motoculture a été mise en liquidation judiciaire, la société JSA désignée liquidateur et la date de cessation des paiements fixée au 24 juin 2021.
2. Le liquidateur a assigné la société [Localité 3] motoculture et son dirigeant, M. [R], en report de la date de cessation des paiements au 6 février 2020.
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société [Localité 3] motoculture et M. [R] font grief à l'arrêt de reporter la date de cessation des paiements au 6 février 2020, alors « que la date de cessation des paiements ne peut être reportée qu'au jour où le débiteur était déjà dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, si bien que le juge saisi d'une demande de report est tenu, pour apprécier cette situation, de se placer, non au jour où il statue, mais à celui auquel est envisagé le report de la date de cessation des paiements ; qu'ayant admis que l'arriéré de TVA mis à jour par le premier redressement, portant sur la période du 1er mars 2014 au 28 février 2017, sur lequel le premier juge s'était fondé pour reporter au 6 février 2020 la date de cessation des paiements, ne pouvait être comptabilisé au titre du passif exigible en raison de la conclusion d'un moratoire entre la société débitrice et la direction générale des finances publiques, la cour d'appel ne pouvait maintenir néanmoins le report à cette date de l'état de cessation des paiements, motif pris d'une nouvelle proposition de redressement visant la période du 1er mars 2017 au 31 décembre 2020 qui, pour avoir été notifiée après l'ouverture de la procédure collective, n'avait pu par hypothèse donner lieu à une mise en recouvrement dès la date du 6 février 2020 ; qu'en fondant néanmoins son arrêt sur cette proposition de redressement, la cour d'appel a statué par un motif impropre à établir l'état de cessation des paiements à la date qu'elle retenait, privant son arrêt de toute base légale au regard des articles L. 631-1, L. 631-8 et L. 641-1, IV, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Le liquidateur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit en ce que les demandeurs au pourvoi n'ont pas contesté en appel l'exigibilité au 6 février 2020 de la dette fiscale ayant fait l'objet d'un redressement en 2021.
5. Cependant, dans leurs écritures d'appel, la société [Localité 3] motoculture et son dirigeant soutenaient que le second contrôle de TVA invoqué par le liquidateur au soutien de sa demande de report de la date de cessation des paiements ne pouvait être pris en compte dès lors qu'il n'avait pas abouti à un redressement, la société ayant été mise en liquidation judiciaire avant la réunion de clôture du contrôle et d'une mise en recouvrement, et contestaient ainsi que cette dette de TVA puisse être comprise dans le passif exigible à la date du 6 février 2020.
6. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 631-1, alinéa 1er, L. 631-8, alinéa 2 et L. 641-1, IV du code de commerce :
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que la date de cessation des paiements ne peut être reportée qu'au jour où le débiteur était déjà dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le juge saisi d'une demande de report doit donc, pour apprécier cette situation, se placer, non au jour où il statue, mais à celui auquel est envisagé le report de la date de cessation des paiements.
8. Pour fixer la date de cessation des paiements au 6 février 2020, l'arrêt retient que le passif exigible est composé du passif fiscal né de la proposition de redressement d'une somme de 450 767 euros pour des défauts de remboursement de TVA concernant la période du 1er mars 2017 au 31 décembre 2020. Il ajoute que la proposition de redressement, qui s'appuie sur l'exercice clos au 29 février 2020, n'a pas été contestée dans le délai de trente jours et que la créance de TVA est immédiatement exigible et en déduit que la société [Localité 3] motoculture se trouvait dans l'incapacité de régler avec ses actifs disponibles le passif exigible au 6 février 2020.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que la proposition de rectification de l'administration fiscale portait sur la période du 1er mars 2017 au 31 décembre 2020, ce dont il résultait qu'elle avait nécessairement été notifiée postérieurement à la date de la cessation des paiements qu'elle retenait, de sorte que la dette fiscale visée par cette proposition de rectification ne pouvait être incluse dans le passif exigible à cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [Localité 3] motoculture, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.