CIV. 3
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 150 F-D
Pourvoi n° F 22-22.886
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
1°/ M. [I] [B], domicilié [Adresse 4] (Suisse),
2°/ Mme [N] dite [H] [Y], épouse [B], domiciliée [Adresse 5] (Suisse),
ont formé le pourvoi n° F 22-22.886 contre l'arrêt rendu le 12 juillet 2022 par la cour d'appel de Metz (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à Mme [X]-[R] [K], domiciliée [Adresse 6] (Allemagne),
3°/ à M. [O] [T], domicilié [Adresse 7] (Allemagne), pris en sa qualité de liquidateur de Mme [X]-[R] [K],
4°/ à M. [P] [D], domicilié [Adresse 1],
5°/ à la société Mutuelles du Mans assurances IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [B] et de Mme [Y], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [D] et de la société Mutuelles du Mans assurances IARD, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 12 juillet 2022), par acte authentique du 8 juillet 2009 dressé par M. [D], notaire, Mme [K] a vendu à Mme [Y], épouse de M. [G] [B], et à M. [I] [B] (les consorts [B]), des lots de copropriété et une parcelle au prix de 350 000 euros.
2. Cette acquisition a été réalisée au moyen d'un prêt authentique du 8 juillet 2009 consenti aux acquéreurs par la Banque populaire d'Alsace, devenue la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la BPALC).
3. Par actes des 15 janvier et 4 février 2013, les consorts [B] ont assigné Mme [K] et M. [D] en annulation de la vente pour dol, restitution du prix de vente et des frais, et subsidiairement en paiement de dommages-intérêts.
4. Par actes des 4 octobre 2013 et 8 septembre 2015, ils ont attrait à la procédure la société Mutuelles du Mans assurances IARD (la société MMA), en sa qualité d'assureur de M. [D], et la BPALC en annulation du contrat de prêt, paiement de diverses sommes et, subsidiairement, condamnation solidaire au paiement de dommages-intérêts.
5. Le 9 décembre 2015, une procédure d'insolvabilité a été ouverte par un tribunal allemand à l'encontre de Mme [K] et M. [T] a été désigné en qualité de mandataire judiciaire. Cette procédure a été clôturée le 20 février 2017, pour insuffisance d'actifs.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Les consorts [B] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes à l'égard de Mme [K], en tant qu'elles tendent à l'annulation de la vente immobilière, et de déclarer, en conséquence, également irrecevables leurs prétentions à l'égard de M. [D], de la société MMA et de la BPALC concernant la nullité de la vente conclue le 8 juillet 2009, alors « que l'ouverture d'une procédure collective n'interrompt ou n'interdit que les actions en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, ce dont il s'infère que l'action en nullité d'une vente pour vice du consentement n'est pas soumise à la règle de l'interruption des poursuites individuelles, l'instance n'étant en ce cas interrompue qu'en ce qui concerne les demandes en restitution des sommes versées en exécution du contrat nul ou en paiement de dommages et intérêts ; qu'en déclarant néanmoins irrecevables toutes les demandes formées par M. [B] et Mme [Y] à l'encontre de Mme [X] [K], y compris leur demande principale tendant à voir prononcer la nullité pour dol du contrat de vente immobilière conclu le 8 juillet 2009 qui, considérée en elle-même, ne tendait pas au paiement d'une somme d'argent, la cour d'appel a violé l'article L. 622 21, I, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-21, I, du code de commerce :
8. Selon ce texte, le jugement d'ouverture interrompt toute action en justice de la part des créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
9. Il est jugé, en application de ce texte, que la demande tendant à l'annulation ou à la résolution d'une vente pour un motif autre que le non- paiement d'une somme d'argent, tel que le vice du consentement, n'est pas soumise à la règle de l'interruption des poursuites (3e Civ., 21 juillet 1999, pourvoi n° 96-11.634, Bull. n° 185 ; 3e Civ., 21 mai 2014, pourvoi n° 13-11.785), et que la demande tendant au paiement de dommages-intérêts est divisible de celle tendant à la résolution du contrat (Com., 16 octobre 2007, pourvoi n° 06-16.713).
10. Pour déclarer irrecevables les demandes des consorts [B] formées contre Mme [K] tendant à l'annulation de la vente pour dol et contre M. [D], la société MMA et la BPALC, tendant à obtenir leur garantie ou condamnation au paiement de sommes consécutives à cette annulation, l'arrêt retient que la clôture, le 20 février 2017, de la procédure allemande ouverte contre Mme [K] ne permet pas de purger les irrégularités résultant de l'absence d'admission de leurs créances à la masse de la liquidation et que les demandes formées contre les autres parties sont indissociables de celles concernant Mme [K].
11. En statuant ainsi, alors que la demande tendant à l'annulation de la vente pour dol, dirigée contre Mme [K], n'était pas soumise à la règle de l'interruption de l'instance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif déclarant irrecevables les demandes formées par les consorts [B] contre Mme [K] tendant à la nullité de la vente et leurs demandes, formées à titre principal, contre M. [D], la société MMA et la BPALC entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif qui, statuant sur leur demande subsidiaire contre M. [D] et la société MMA, la rejette, et du chef de dispositif condamnant les consorts [B] à payer la somme de 3 000 euros à M. [D] au titre de la procédure abusive, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
13. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi.
14. En application du même texte, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes formées par les consorts [B] tendant à la nullité de la vente, entraîne également la cassation du chef de dispositif déclarant irrecevable leur demande en résolution du prêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il :
- déclare recevables les conclusions des consorts [Y]-[B] déposées le 22 avril 2022 et les conclusions de M. [D] et de la société MMA IARD assurances déposées le 25 avril 2022,
- déclare irrecevables les pièces 58 à 61, 9, 21, 22, 23, 24, 36B, 46, 55 et 57 de M. [I] [B] et de Mme [N] dite [H] [Y] épouse [B] ,
- rejette la demande de M. [D] en dommages-intérêts au titre de l'appel abusif,
l'arrêt rendu le 12 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. [D], la société Mutuelles du Mans assurances IARD et la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [D], la société Mutuelles du Mans assurances IARD et la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne et les condamne à payer à M. [I] [B] et Mme [N] dite [H] [Y] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq.