N° F 23-80.827 F-D
N° 00356
GM
19 MARS 2025
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 MARS 2025
M. [O] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2023, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un avec sursis et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [O] [T], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Direction régionale des finances publiques de Basse-Normandie et du département du Calvados, et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [O] [T], manager général du club de football du [2] de [Localité 1], a quitté ses fonctions dans le cadre d'une rupture conventionnelle. Il a perçu à ce titre une indemnité non imposable de 738 749 euros.
3. Après la conclusion d'un protocole transactionnel, il lui a été versé en supplément une somme de 430 873 euros bruts à titre d'indemnité transactionnelle.
4. L'administration fiscale a déposé plainte entre les mains du procureur de la République contre M. [T], lui reprochant d'avoir omis de déclarer la somme de 400 000 euros, correspondant à hauteur de 300 000 euros à l'indemnité transactionnelle, et d'avoir organisé son insolvabilité.
5. M. [T] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour s'être, en 2011, 2012 et 2013, frauduleusement soustrait au paiement des impôts sur le revenu, en organisant son insolvabilité et en mettant obstacle au recouvrement de l'impôt ainsi que pour s'être, sur la même période, frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2012, en minorant la déclaration d'ensemble des revenus souscrite.
6. Par jugement du 31 janvier 2017, le tribunal correctionnel l'a retenu dans les liens de la prévention, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont dix mois avec sursis et mise à l'épreuve et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
7. M. [T] a relevé appel de la décision, le ministère public et l'administration fiscale formant appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de fraude fiscale par minoration de la déclaration des revenus perçus au titre de l'année 2012, alors :
« 1°/ qu'en application des articles 80 duodecies 1° du code général des impôts et L. 1235-3 du code du travail, l'indemnité transactionnelle versée au salarié lorsque la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas imposable; qu'en l'absence de remise au salarié d'un exemplaire de la convention, la rupture conventionnelle a le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse; qu'en l'espèce, pour dire la fraude fiscale constituée, la cour d'appel se borne à énoncer que même en « supposant exact [cette règle] pour les besoins du raisonnement, il sera relevé d'une part que M. [T] n'a jamais saisi la juridiction prud'homale de cette question depuis plus de dix ans et a conservé les sommes issues de cette transaction qu'il a essayé de dissimuler aux yeux de l'administration fiscale sous la forme d'un prêt consenti par son employeur » et « n'a jamais fait la moindre démarche amiable ou judiciaire pour restituer ces sommes ou contester la validité de cette convention », sans rechercher si un exemplaire de la convention de rupture avait été remis à M. [T] ; que la cour d'appel s'est ainsi prononcée par des motifs inopérants à justifier du caractères imposable de l'indemnité litigieuse en sorte que l'arrêt est privé de toute base légale au regard du principe et des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale par minoration déclarative au titre de l'année 2012, l'arrêt attaqué énonce que, concernant le caractère imposable des sommes versées au titre du protocole transactionnel, M. [T] soutient qu'elles ne constituent pas une indemnité imposable en appliquant les dispositions combinées des articles L. 1235-3 du code du travail et 80 duodecies du code général des impôts et de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 septembre 2013 imposant au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction.
12. Les juges relèvent que le prévenu prétend que cette transaction serait nulle en l'absence de remise d'un exemplaire de la convention et d'un entretien préalable.
13. Ils observent que, sur ce dernier point, en le supposant exact pour les besoins du raisonnement, d'une part, M. [T] n'a jamais saisi la juridiction prud'homale de cette question depuis plus de dix ans, qu'il a conservé les sommes issues de cette transaction qu'il a essayé de dissimuler aux yeux de l'administration fiscale sous la forme d'un prêt consenti par son employeur et qu'il n'a jamais fait la moindre démarche amiable ou judiciaire pour restituer ces sommes ou contester la validité de cette convention.
14. Il retiennent que, d'autre part, les différentes juridictions administratives saisies de cette question et en dernier lieu le Conseil d'État dans sa décision du 21 juin 2021 ont rejeté cette argumentation.
15. Les juges concluent que l'élément matériel de l'infraction est constitué.
16. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
17. En effet, alors que le caractère imposable de l'indemnité transactionnelle est subordonné à la validité de la rupture conventionnelle, il lui incombait de déterminer, par tous moyens de preuve, si un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié.
18. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 25 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq.