N° C 24-84.094 F-D
N° 00340
SL2
18 MARS 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MARS 2025
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 6 juin 2024, qui, pour infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et contravention de blessures involontaires, l'a condamnée à deux amendes de 30 000 euros et 5 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [K], travailleur intérimaire mis à disposition de la société [1] pour une mission d'agent de tri, s'est blessé après avoir chuté d'une pelle hydraulique sur laquelle il était monté pour en remplir le réservoir de carburant.
3. La société [1] a été poursuivie des chefs d'emploi de travailleur temporaire sans organisation d'une information et formation pratique et appropriée en matière de sécurité, mise à disposition de travailleur d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité et contravention de blessures involontaires.
4. Le tribunal correctionnel a déclaré la prévenue coupable de ces chefs, l'a condamnée à trois amendes et a prononcé sur les intérêts civils.
5. La société [1] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable de mise à disposition de travailleur d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, alors :
« 3°/ que les personnes morales à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 du même code, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que pour déclarer la société prévenue coupable de mise à disposition de travailleur d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, l'arrêt énonce qu'il « n'est pas établi que [S] [F], directeur du site, ait enseigné la règle des trois points d'appui à [Y] [K] » et que « [C] [W], sous la responsabilité duquel a ensuite été placé [Y] [K] a demandé à un salarié intérimaire de remplir un réservoir situé en hauteur sur la plate-forme de la pelle, sans lui expliquer le mode opératoire habituellement retenu » ; que les juges ajoutent « qu'agissant au nom et pour le compte de la société [1], ils ont engagé la responsabilité de cette dernière en qualité d'employeur » (arrêt p. 17 § 7) ; qu'en se déterminant ainsi, sur le fondement d'une absence de preuve du respect de l'obligation de formation imputable au directeur du site titulaire d'une délégation de pouvoirs, contredite par ses propres énonciations et par les pièces produites aux débats, en tout état de cause insusceptible de justifier le présent délit dont la matérialité n'est pas la même que le manquement à l'obligation de formation, et sans avoir constaté l'existence d'une délégation de pouvoirs ni s'être expliquée sur le statut et les attributions de M. [W], propres à en faire un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal, seuls susceptibles de permettre l'imputation du manquement qui lui est reproché à la personne morale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation des articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
8. Selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
9. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour déclarer la société [1] coupable du délit de mise à disposition d'équipements de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs, l'arrêt attaqué énonce que la conception de la pelle hydraulique ne permet pas aux travailleurs d'accéder à son réservoir, situé à une hauteur de 1,70 mètre, avec le tuyau de remplissage en main en respectant la règle de sécurité des trois points d'appui.
11. Les juges relèvent, par motifs propres et adoptés, que si le mode opératoire consistant à coincer le pistolet entre l'arceau et le bâti de la machine avant de monter les marches avec les mains libres pouvait sembler évident à un professionnel chevronné, cela n'était pas le cas pour M. [K], travailleur intérimaire en mission dans la société depuis quelques semaines, qui réalisait cette opération pour la première fois.
12. Les juges retiennent qu'il n'est pas établi que M. [S] [F], directeur du site et titulaire d'une délégation de pouvoir, ait enseigné la règle des trois points d'appui à M. [K].
13. Ils ajoutent que M. [C] [W], sous la responsabilité duquel M. [K] était placé, lui a confié une mission technique à laquelle il n'était pas formé de manière appropriée.
14. Ils en déduisent que tous deux ont, agissant pour le compte de la société [1], engagé la responsabilité pénale de celle-ci.
15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a imputé aux deux préposés retenus comme représentants ou organes de la personne morale prévenue des manquements sans lien avec le délit de mise à disposition d'équipements de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs, n'a pas justifié sa décision.
16. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant déclaré la société [1] coupable de mise à disposition d'équipements de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs et l'ayant condamnée à 30 000 euros d'amende pour les délits. Les autres dispositions, en ce compris celles relatives aux autres déclarations de culpabilité, à la peine contraventionnelle et aux intérêts civils, seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 6 juin 2024, mais en ses seules dispositions ayant déclaré la société [1] coupable de mise à disposition d'équipements de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs et l'ayant condamnée à 30 000 euros d'amende pour les délits, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt-cinq.