COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Cassation sans renvoi
M. PONSOT, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 139 F-B
Pourvoi n° U 23-12.253
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 MARS 2025
1°/ M. [Z] [J],
2°/ Mme [K] [V], épouse [J],
tous deux domiciliés [Adresse 1] (Israel),
ont formé le pourvoi n° U 23-12.253 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié [Adresse 2], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [J], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2022), à la suite d'une plainte de l'administration fiscale, à laquelle le procureur de la République de Nice avait transmis, en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, des informations laissant supposer que M. [J] était titulaire de comptes ouverts dans les livres de la banque HSBC établie en Suisse, celui-ci et son épouse ont été renvoyés devant un tribunal correctionnel notamment du chef de fraude fiscale par minoration de leurs déclarations d'impôts sur le revenu et omission et minorations de leurs déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), lequel les a relaxés par un jugement du 9 mai 2017 devenu définitif.
2. Parallèlement, l'administration fiscale a adressé à M. et Mme [J], le 23 juillet 2015, une proposition de rectification relative aux années 2009, 2010, 2012 et 2013 au titre de rappels d'ISF, et le 12 octobre 2015, une proposition de rectification au titre de l'ISF dû pour les années 2008 et 2011, réintégrant à leur actif le montant des avoirs détenus sur les comptes ouverts dans les livres de la banque HSBC en Suisse, en appliquant aux droits recalculés une majoration de 80 % pour manuvres frauduleuses en application de l'article 1729 du code général des impôts.
3. Les droits résultant de ces notifications ont fait l'objet de trois avis de mise en recouvrement (AMR) du 27 mai 2016 d'un montant total de 196 141 euros au titre de l'ISF dû pour les années 2008 à 2013.
4. L'administration fiscale ayant rejeté leurs réclamations le 12 avril 2018, M. et Mme [J] l'ont assignée en décharge de ces droits.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et sur le troisième moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [J] font grief à l'arrêt de déclarer la procédure régulière et de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que la commission départementale de conciliation est compétente pour donner son avis sur l'évaluation des biens ayant servi de base à l'établissement de l'impôt sur la fortune ; qu'à peine d'irrégularité de la procédure, la saisine de cette commission doit être proposée au contribuable qui, au stade de la procédure de redressement, a contesté l'évaluation par l'administration d'un bien servant de base à l'établissement de l'imposition, quand bien même le redressement serait fondé sur l'absence de déclaration de ce bien ; que pour juger que la commission départementale de conciliation n'était pas compétente en l'espèce et que l'administration fiscale n'avait pas entaché la procédure d'irrégularité en ne proposant pas aux époux [J] la faculté de saisir cette commission, la cour d'appel a énoncé que la commission départementale de conciliation ne peut être saisie que des insuffisances de prix ou évaluations ayant servi de base à la perception de l'impôt et non des dissimulations ; qu'en statuant de la sorte, quand les époux [J] avaient, dans leurs observations en réponse aux propositions de rectification qui leur avaient été notifiées, contesté l'évaluation faite par le service du montant des avoirs objet des redressements qui leur avaient été infligés, de sorte que l'administration était tenue de leur proposer de saisir la commission départementale de conciliation, la cour d'appel a violé les articles 151 et 667 du code général des impôts, ensemble les articles L. 59 et L. 59 B du livre des procédures fiscales ;
2°/ que l'article 151 du code général des impôts, qui prévoit que l'impôt sur les revenus des avoirs à l'étranger est établi sur le produit du montant de ces avoirs par la moyenne annuelle des taux de rendement brut à l'émission des obligations des sociétés privées, n'est pas applicable de droit à l'établissement de l'impôt sur la fortune ; qu'en retenant, pour juger que la commission départementale de conciliation n'était pas compétente en l'espèce et que l'administration fiscale n'avait pas entaché la procédure d'irrégularité en ne proposant pas aux époux [J] la faculté de saisir cette commission, que "l'administration a choisi de déterminer le montant des avoirs litigieux selon la méthode prévue par l'article 151 du code général des impôts", de sorte que "la commission départementale de conciliation n'éta[it] pas compétente en l'espèce", quand la mise en uvre des modalités de calcul des avoirs détenus à l'étranger prévues par l'article 151 du code général des impôts relevait d'un choix de l'administration pouvant être contesté par le contribuable, la cour d'appel a violé les articles 151 et 667 du code général des impôts, ensemble les articles L. 59 et L. 59 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 59 B du livre des procédures fiscales, la commission départementale de conciliation intervient en cas d'insuffisance des prix ou évaluations ayant servi de base aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière dans les cas mentionnés au 2 de l'article 667 du code général des impôts ainsi qu'à l'impôt de solidarité sur la fortune.
8. Selon l'article 667, 2, 1°, du code général des impôts, la commission départementale de conciliation peut être saisie pour tous les actes ou déclarations constatant la transmission ou l'énonciation de la propriété de biens meubles notamment.
9. Il en résulte que si la commission départementale de conciliation peut être saisie, pour tous les actes ou déclarations constatant la transmission ou l'énonciation de la propriété d'un bien meuble, des insuffisances de prix ou évaluations ayant servi de base à la perception de l'impôt dès lors qu'il existe un désaccord entre l'administration et le redevable portant sur la valeur du bien meuble, tel n'est pas le cas lorsque celui-ci a été selon l'administration fiscale dissimulé.
10. Le moyen, qui, en sa première branche, postule le contraire et qui, en sa seconde, critique un motif surabondant, n'est pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. et Mme [J] font grief à l'arrêt infirmatif de ce chef, de rejeter leurs demandes, alors « que la décision définitive de relaxe prononcée par le juge pénal est revêtue de l'autorité de chose jugée à l'égard de tous et fût-elle fondée sur le bénéfice du doute, exclut que le prévenu en ayant bénéficié puisse faire l'objet d'une condamnation par le juge de l'impôt au titre des mêmes faits que ceux examinés par le juge répressif ; qu'en l'espèce, par jugement devenu définitif du 9 mai 2017, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé les époux [J] des faits de fraude fiscale et de blanchiment de ce délit, après avoir retenu que "l'enquête n'a[vait] permis d'établir aucune certitude concernant le véritable titulaire des comptes bancaires suisses litigieux" et que "la titularité des comptes bancaires suisses litigieux ne pouvant être imputée avec certitude à M. [J], l'infraction de fraude fiscale par non-déclaration de ces comptes ne peut être retenue à l'encontre du couple, pas plus que l'infraction de blanchiment en résultant" ; que, pour juger que l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement ne faisait pas obstacle aux redressements infligés aux époux [J] au titre de l'impôt sur la fortune, pour ne pas avoir déclaré les avoirs financiers qu'ils détiendraient dans la banque suisse HSBC, la cour d'appel a relevé que la relaxe avait été prononcée au bénéfice du doute, ce doute portant sur la titularité des comptes bancaires suisses litigieux, "or, la Cour de cassation a rappelé à maintes reprises l'authenticité de la preuve constituée par les fichiers HSBC", et a considéré qu'en l'occurrence, l'administration fiscale démontrait que M. [J] était titulaire des avoirs figurant sur les comptes ouverts au sein de la banque HSBC ; qu'en statuant de la sorte, quand l'autorité de chose jugée attachée au jugement de relaxe, fût-ce au bénéfice du doute, s'imposait au juge judiciaire de l'impôt et excluait que ce dernier puisse retenir l'existence d'un fait écarté comme non-établi par le juge pénal, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble l'article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à cette Convention. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil :
12. L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qui s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé, interdit au juge civil de retenir comme établi le fait qui ne l'a pas été par le juge pénal.
13. Pour rejeter la demande de décharge de M. et Mme [J], l'arrêt, après avoir relevé qu'il ressort des motifs et du dispositif du jugement devenu définitif du tribunal correctionnel sur lequel s'appuient M. et Mme [J], d'une part, que le juge pénal les a relaxés au bénéfice du doute, en indiquant que la titularité des comptes bancaires suisses litigieux ne pouvait être imputée avec certitude à M. [J], d'autre part, que le doute portait sur la titularité des comptes bancaires suisses litigieux, le tribunal correctionnel ayant considéré que le fichier ne saurait constituer à lui seul une preuve suffisante, retient qu'il ressort du travail de rapprochement et de synthèse individuelle réalisé par l'administration fiscale à partir des données provenant des fichiers de la banque HSBC saisis, que M. [J] détenait soit directement depuis 1994 en tant que titulaire désigné sous le profil « 5039DL » clôturé le 28 juillet 2005, soit en tant que mandataire depuis le 7 juin 2005 par l'intermédiaire de la société « Pacific Ace Group Inc » située au Panama, les avoirs non déclarés en cause permettant de le désigner comme le véritable bénéficiaire des comptes taxés. Il en déduit que l'administration fiscale rapporte la preuve de la détention par M. et Mme [J] d'avoirs à l'étranger, et que les rappels d'impôt de solidarité sur la fortune sont bien fondés.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la procédure de redressement avait pour origine des faits identiques à ceux ayant donné lieu à un jugement définitif de relaxe devenu irrévocable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. La procédure de redressement ayant pour origine des faits identiques à ceux ayant donné lieu au jugement définitif de relaxe du 9 mai 2017 du tribunal correctionnel, il y a lieu de confirmer le jugement rendu le 28 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris ayant prononcé la décharge de l'imposition et de ses accessoires.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris et le condamne à payer à M. et Mme [J] la somme globale de 3 000 euros ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.