CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 124 F-D
Pourvoi n° S 23-18.093
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MARS 2025
La société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 23-18.093 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2023 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Enval distribution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ à la société Brunerie et Irissou, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la SMAC, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
5°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 5], prise en sa qualité d'assureur de la société Couverture et Bardage C et E, de la société Bureau Veritas et de la société SMAC,
6°/ à la société Bureau Veritas construction, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Bureau Veritas,
7°/ à la société Areas dommages, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
La société SMAC et la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, prise en sa qualité d'assureur des sociétés Couverture et Bardage C et E, Bureau Veritas et SMAC, ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.
La société Bureau Veritas construction a également formé un pourvoi incident.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Gan assurances, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Bureau Veritas construction, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Brunerie et Irissou et de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la SMAC et de la SMABTP, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Enval distribution, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Gan assurances du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Areas dommages.
2. Il est également donné acte à la société Gan assurances du désistement de son premier moyen.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 2 mai 2023), la société Enval distribution a confié à la société Brunerie et Irissou, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de travaux d'extension d'un bâtiment à usage d'hypermarché.
4. L'exécution des travaux a notamment été confiée à la société C et E et à la société SMAC, assurées auprès de la SMABTP.
5. La société C et E a sous-traité une partie de ses travaux à M. [V].
6. La société Bureau Veritas, à laquelle s'est substituée la société Bureau Veritas construction, a reçu une mission de contrôle technique.
7. Un contrat d'assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Gan assurances.
8. A la suite d'infiltrations, le maître de l'ouvrage a assigné les constructeurs et assureurs en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les troisième et cinquième moyens du pourvoi principal de la société Gan assurances, sur le moyen du pourvoi incident de la SMAC et de la SMABTP et sur le moyen du pourvoi incident de la société Bureau Veritas construction
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société Gan assurances
Enoncé du moyen
10. La société Gan assurances fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Brunerie et Irissou et son assureur, la MAF, les sociétés SMAC et Bureau Veritas construction, et la SMABTP, en sa qualité d'assureur de ces deux sociétés et de la société C et E, à payer à la société Enval distribution la somme de 170 599,51 euros HT au titre des travaux complémentaires, avec indexation, alors « que l'indemnité due par l'assureur dommages-ouvrage ne correspond qu'aux travaux de réparation de l'ouvrage de nature à mettre fin efficacement aux seuls dommages matériels garantis, et ne peut donc inclure le coût de prestations annexes, tels que les frais de gardiennage, qui n'ont pas pour objet de réparer l'ouvrage et ne constituent que des dommages immatériels non couverts par la garantie obligatoire ; qu'en l'espèce, la société Gan assurances a fait valoir, pour contester la demande de la société Enval distribution en paiement d'une somme de 170 599,51 euros au titre des travaux complémentaires, correspondant notamment à des frais d'agence de sécurité, qu'il ne s'agissait pas de travaux réparatoires couverts par l'assurance dommages-ouvrage ; qu'en décidant néanmoins que les frais de gardiennage relevaient de cette garantie obligatoire, pour accueillir la demande de la société Enval distribution à ce titre, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1, dans sa version issue de la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008, applicable en la cause, et A. 243-1, annexe II, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 9 novembre 2009, et antérieure à celle issue de l'arrêté du 27 mars 2018, applicable en la cause, du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 242-1 et l'annexe II de l'article A. 243-1 du code des assurances :
11. Il résulte de ces textes que le contrat d'assurance dommages-ouvrage ne garantit, au-delà du paiement des travaux de réparation des dommages, que le paiement des travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires.
12. Pour condamner l'assureur dommages-ouvrage à payer une certaine somme comprenant des prestations supplémentaires d'agents de sécurité pendant la durée du chantier de reprise, l'arrêt retient que ces frais, nécessaires, sont indissociables des travaux de reprise.
13. En statuant ainsi, alors que ces frais ne font pas partie de ceux garantis de manière obligatoire par le contrat d'assurance dommages-ouvrage, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société Gan assurances
Enoncé du moyen
14. La société Gan assurances fait grief à l'arrêt de fixer la part des coresponsables, de les condamner réciproquement à se garantir à hauteur de la part qui leur a été attribuée, de dire que la part de responsabilité incombant à M. [V] (15 %) doit être définitivement avancée et supportée par la société Gan assurances et de rappeler, en tant que de besoin, que la part définitive de responsabilité incombant à M. [V] à hauteur de 15 % de l'ensemble des condamnations pécuniaires prononcées sera intégralement avancée par la société Gan assurances, en qualité d'assureur de dommages-ouvrage, alors « que l'obligation contractée solidairement envers le créancier, comme l'obligation in solidum, se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion ; que la dette ne se divise toutefois qu'entre les coobligés qui ont été poursuivis et condamnés, nonobstant l'existence d'autres coresponsables insolvables, défaillants, ou non parties à l'instance, dont la part doit alors se répartir, par contribution, entre les seuls coresponsables condamnés, au prorata de leur part respective de responsabilité ; qu'en l'espèce, après avoir fixé le partage de responsabilité entre les différents intervenants, à hauteur de 45 % pour la société Brunerie & Irissou, 25 % pour la société C & E, 15 % pour M. [C] [V], 10 % pour la société SMAC, et 5 % pour la société Bureau Veritas construction, la cour d'appel a constaté que M. [V] n'avait pas été mis en cause dans la procédure, et qu'il ne pouvait donc faire l'objet d'aucune condamnation ; qu'il résultait de ces constatations que la dette de responsabilité ne pouvait se diviser qu'entre les seules parties à l'instance, à l'exclusion de M. [V], et que la quote-part de 15 % de celui-ci devait se répartir, par contribution, entre les seuls coresponsables condamnés, au prorata de leur part respective de responsabilité ; qu'en refusant néanmoins de répartir la quote-part de responsabilité de M. [V], tiers à l'instance, entre les coresponsables condamnés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles 1213 et 1214 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause, ensemble les principes régissant l'obligation in solidum. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1213 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
15. Aux termes de ce texte, l'obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion.
16. Pour laisser à la charge de l'assureur dommages-ouvrage, dans ses rapports avec ses coobligés in solidum, une part de la dette commune, l'arrêt retient que le fait que les 15 % de responsabilité imputés à M. [V] ne donnent lieu à aucune condamnation pécuniaire à l'encontre de ce dernier, non attrait à la procédure, ou de ses deux assureurs, mis hors de cause, ne constitue pas une difficulté dans la mesure où cette situation n'augmente pas la part de responsabilité des autres responsables dans leurs rapports définitifs entre eux et où cette part de condamnation pécuniaire sera en tout état de cause assumée et avancée par la société Gan assurances.
17. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de répartir entre les coobligés fautifs, attraits à l'instance, leur contribution à la totalité de la dette, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation de la condamnation de l'assureur dommages-ouvrage au paiement de frais et travaux complémentaires ne s'étend pas à la condamnation des constructeurs et des autres assureurs prononcée au même titre, qui ne s'y rattache pas par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
19. La cassation du chef de dispositif condamnant l'assureur dommages-ouvrage au paiement de frais et travaux complémentaires et des chefs de dispositif relatifs à la répartition de la dette n'emporte pas celle des chefs de dispositif statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Mise hors de cause
20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Enval distribution, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE les pourvois incidents ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- condamne la société Gan assurances, en qualité d'assureur dommages-ouvrage, à payer à la société Enval distribution la somme de 170 599,51 euros HT au titre des frais et travaux complémentaires des travaux de reprise ;
- fixe dans les conditions suivantes la part définitive de responsabilité de chacun des intervenants susnommés dans l'acte de construction susmentionnée : 45 % à la charge de la société Brunerie et Irissou, 25 % à la charge de la société C et E, 15 % à la charge de M. [V], 10 % à la charge de la société SMAC, 5 % à la charge de la société Bureau Veritas construction ;
- condamne en conséquence in solidum :
- la société SMAC et son assureur, la SMABTP, à garantir la société Brunerie et Irissou, la Mutuelle des architectes français, les sociétés Bureau Veritas construction et Gan assurances à hauteur de 10 % des condamnations pécuniaires susmentionnées,
- la société Bureau Veritas construction et son assureur, la SMABTP, à garantir la société Brunerie et Irissou, la Mutuelle des architectes français, les sociétés SMAC et Gan assurances à hauteur de 5 % des condamnations pécuniaires susmentionnées, sauf en ce qui concerne la condamnation pécuniaire de 21 000,00 euros au titre du trouble de jouissance dont la part de 5 % restera à la seule charge de la société Bureau Veritas construction,
- la société Brunerie et Irissou et son assureur, la Mutuelle des architectes français, à garantir les sociétés SMAC, Bureau Veritas construction et la SMABTP (en qualité d'assureur des sociétés SMAC, Brunerie et Irissou, et C et E) ainsi que la société Gan assurances à hauteur de 45 % des condamnations pécuniaires susmentionnées,
- la SMABTP (en qualité d'assureur de la société C et E) à garantir la société Brunerie et Irissou, la Mutuelle des architectes français (en qualité d'assureur de la société Brunerie et Irissou), les sociétés SMAC, Brunerie et Irissou, et Gan assurances à hauteur de 25 % des condamnations pécuniaires susmentionnées ;
- dit que seront appliqués aux condamnations aux dépens les mêmes partages définitifs de responsabilité entre les sociétés Brunerie et Irissou (45 %), C et E (25 %), SMAC (10 %) et Bureau Veritas construction (5 %) ainsi que M. [V] (15 %), la part de responsabilité incombant à M. [V] (15 %) devant en conséquence être avancée et définitivement supportée par la société Gan assurances ;
- rappelle en tant que de besoin que la part définitive de responsabilité incombant à M. [V] à hauteur de 15 % de l'ensemble des condamnations pécuniaires prononcées sera intégralement avancée par la société Gan assurances, en qualité d'assureur de dommages-ouvrage ;
l'arrêt rendu le 2 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Met hors de cause la société Enval distribution ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne la société Brunerie et Irissou, la Mutuelle des architectes français, la société SMAC, la société Bureau Veritas construction et la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-cinq.