CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 117 FS-D
Pourvoi n° J 23-16.269
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MARS 2025
La société Delaunay, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 14], a formé le pourvoi n° J 23-16.269 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Apave nord-ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11], venant aux droits du Centre technique de l'Apave nord-ouest,
2°/ à la société Lloyd's insurance company, société anonyme, dont le siège est [Adresse 18], venant aux droits des souscripteurs du Lloyd's de Londres,
3°/ à la société Serba Rezé, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], prise en sa qualité d'assureur en responsabilité des sociétés Serba Rezé et Alain Coutant,
5°/ à la société Alain Coutant Vendée, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Alain Coutant,
6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
7°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 4], et prises en leur qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur responsabilité civile décennale de la société Tradi plâtre et plaques,
8°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 17], prise en sa qualité d'assureur des sociétés Maudet, PMS, Cogne, Entreprise Usureau, Etablissements Georges Baudon, Maçonnerie Soulard et Delaunay,
9°/ à la société Cogne, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 16],
10°/ à la société Entreprise Usureau, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],
11°/ à la société Etablissements Georges Baudon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 12],
12°/ à la société Dolley Collet, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 13], prise en sa qualité de liquidateur de la société Parent métallerie service,
13°/ à la société [E] [X], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [E] [X], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tradi plâtre et plaques,
14°/ à la société 2M et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], en la personne de Mme [I] [C], prise en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Tradi plâtre et plaques,
15°/ à l'association [K] [Y], dont le siège est [Adresse 19],
16°/ à la société Gaëlle Peneau architectes associés (GPAA), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
17°/ à la Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 5], prise en sa qualité d'assureur de la société GPAA,
18°/ à la société Gousset ingénierie et coordination, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], anciennement dénommée société Cabinet Pierre Gousset,
19°/ à la société Maudet, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 20],
20°/ à la société Apave infrastructures et construction France, société par actions simplifiée,
21°/ à la société Apave exploitation France, société par actions simplifiée,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 15], et venant aux droits de la société Apave nord-ouest,
défenderesses à la cassation.
La société Maudet a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Delaunay, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société GPAA et de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Serba Rezé et Axa France IARD, ès qualités, de la SARL Corlay, avocat de la société Maudet, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, ès qualités, et des sociétés Cogne, Entreprise Usureau et Etablissements Georges Baudon, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de l'association [K] [Y], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat des sociétés Apave nord-ouest, Lloyd's insurance company, Apave infrastructures et construction France et Apave exploitation France, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Delaunay du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Alain Coutant Vendée, venant aux droits de la société Alain Coutant, la société Dolley Collet, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Parent métallerie service, la société [E] [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tradi plâtre et plaques, la société 2M et associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Tradi plâtre et plaques, et la société Gousset ingénierie et coordination.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 28 mars 2023), l'association [K] [Y] (le maître de l'ouvrage) a entrepris la réalisation de travaux de rénovation et d'extension d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qu'elle exploite.
3. Est notamment intervenue à l'opération de construction la société Maudet, qui a sous-traité le ravalement et la réalisation des enduits à la société Delaunay.
4. Se plaignant de l'apparition de fissures, le maître de l'ouvrage a assigné les intervenants à l'opération de construction en référé-expertise.
5. Par décision du 24 novembre 2010, le juge des référés a ordonné une mesure d'expertise aux fins de déterminer la nature et la cause des désordres et d'établir les comptes entre les parties et rejeté la demande de provision de la société Delaunay.
6. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, le 23 octobre 2015, le maître de l'ouvrage a assigné au fond l'assureur dommages-ouvrage, les intervenants à l'opération de construction et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.
7. Les sociétés Maudet et Delaunay ont sollicité reconventionnellement le paiement de leurs factures. Une fin de non-recevoir tirée de la prescription leur a été opposée.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens des pourvois principal et incident
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Delaunay fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en paiement de la facture établie le 23 juillet 2009, alors « que la suspension de la prescription résultant de la décision du juge qui, avant tout procès, a accueilli une demande de mesure d'instruction, profite à celui qui a sollicité cette mesure d'instruction ; qu'il s'ensuit que lorsque, sur demande reconventionnelle en paiement d'une provision au titre du solde des travaux, l'expert s'est vu confier la mission de faire les comptes entre les parties, l'effet suspensif de prescription s'applique également à la demande, au fond, en paiement du solde des travaux ; qu'en jugeant le contraire pour dire prescrite la demande de la société Delaunay en paiement de sa facture établie le 23 juillet 2009 pour un montant de 59 599,36 euros, la cour d'appel a violé l'article 2239 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. La Cour de cassation juge que la suspension de la prescription, prévue à l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié ; 3e Civ.,19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459, publié).
11. Le moyen, qui postule que l'effet suspensif de prescription peut profiter au défendeur à la mesure d'expertise selon les chefs de mission confiés à l'expert, n'est pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. La société Maudet fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande en paiement au titre du solde du chantier, alors :
« 1°/ que la suspension bénéficie uniquement à la partie qui a sollicité la mesure d'instruction, sauf à ce que la mesure ordonnée porte en définitive sur les prétentions réciproques des deux parties ; qu'il s'ensuit que lorsque, sur demande reconventionnelle en paiement d'une provision au titre du solde des travaux, l'expert s'est vu confier la mission de faire les comptes entre les parties, l'effet suspensif de prescription s'applique également à la demande, au fond, en paiement du solde des travaux ; qu'en l'espèce, si le maître de l'ouvrage a demandé une mesure d'instruction, la société Maudet a demandé, dans le cadre de l'expertise chargée des comptes entre les parties, le paiement de sa facture établie le 23 juillet 2009 pour un montant de 132 603, 26 euros ; que l'action en paiement était donc suspendue jusqu'à ce que soit rendu le rapport, le 23 octobre 2015 ; qu'en considérant que « le seul fait que le juge des référés a inclus dans la mission de l'expert la réalisation des comptes entre les parties est sans aucun effet interruptif de la prescription de l'action en paiement des factures litigieuses », la cour d'appel a violé l'article 2239 du code civil ;
2°/ que l'action fondée sur un contrat a pour effet de suspendre toute demande reconventionnelle fondée sur les prestations réciproques des mêmes parties ; que dès lors que le paiement demandé est la contrepartie des travaux dont il est demandé réparation, la demande en indemnisation interrompt nécessairement la demande corrélative en paiement ; en l'espèce, il est constant que les travaux dont il a été considéré qu'ils étaient mal exécutés avaient pour contrepartie le paiement du prix ; qu'en considérant que la demande en indemnisation du maître de l'ouvrage n'avait pas eu pour effet d'interrompre le délai de demande reconventionnelle en paiement du constructeur, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil ;
3°/ que la reconnaissance de l'existence d'une créance interrompt la prescription ; qu'en l'espèce, dans le cadre des dires à expert, l'association [K] [Y] a reconnu avoir opéré une retenue du solde du prix, par exception d'inexécution ; qu'en considérant que ceci ne valait pas reconnaissance de la créance qui n'était contestée que par exception d'inexécution, et alors que l'exécution par compensation de la prestation était par ailleurs réclamée, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 2240 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. Ayant rappelé, à bon droit, que la suspension de la prescription ne pouvait bénéficier qu'à la partie ayant sollicité l'expertise en référé, la cour d'appel a relevé que la mission de l'expert portant sur l'établissement des comptes entre les parties ne résultait que de la demande d'expertise du maître de l'ouvrage.
14. Elle a également retenu que le fait d'inclure l'apurement des comptes entre les parties dans la mission de l'expert était sans effet interruptif de prescription et que, le maître de l'ouvrage n'ayant cessé de contester sa dette, les dires que celui-ci avait adressés à l'expert n'étaient pas de nature à caractériser une reconnaissance de droit interruptive de prescription.
15. Ayant ainsi retenu que la société Maudet, qui invoquait une date d'exigibilité de sa créance au 30 novembre 2009, ne justifiait pas d'un acte suspensif ou interruptif de prescription avant l'expiration du délai quinquennal, elle en a exactement déduit que la demande en paiement formée par cette société le 23 août 2017 était prescrite.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Delaunay et Maudet aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-cinq.