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25/02/2025 | FRANCE | N°23-84.606

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na, 25 février 2025, 23-84.606


N° P 23-84.606 F-B

N° 00195


LR
25 FÉVRIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 FÉVRIER 2025



M. [Y] [R], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 29 juin 2023, qui l'a débouté de se

s demandes après relaxe, pour Mme [F] [O], épouse [T], du chef de diffamation publique envers un particulier, et pour M. [G] [E], du chef de complicité de ce déli...

N° P 23-84.606 F-B

N° 00195


LR
25 FÉVRIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 FÉVRIER 2025



M. [Y] [R], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 29 juin 2023, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe, pour Mme [F] [O], épouse [T], du chef de diffamation publique envers un particulier, et pour M. [G] [E], du chef de complicité de ce délit.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SARL Gury et Maitre, avocat de M. [Y] [R], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [G] [E] et Mme [F] [O], épouse [T], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 17 juin 2021, Mme [F] [T] et M. [G] [E] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de M. [Y] [R], à raison des passages suivants de l'ouvrage « La nuit de [D] [P] », éditions [3], publié le 6 novembre 2019 : page 70 : « Autour d'eux, toute une bande se lie, des parigots qui connaissent bien la banlieue, des banlieusards qui ont étendu leur territoire à la capitale. » ; « Tous, ou presque, sont de vieux clients du [Adresse 4], le [Adresse 4] légende personnelle, comme celle de la police judiciaire. Après [S] et [H], ils ont monté les 148 marches du fameux escalier. Ils se prennent pour des seigneurs parce qu'ils connaissent l'élite de la PJ. [N], [W] et [U], mais aussi [K], [I], [V], [J], [A] et [Y]. » ; page 86 : « Tous des amis, tous des professionnels du crime » ; page 127 : « [Y], patron du bar de la [Adresse 5] et délinquant reconnu ».

3. Les juges du premier degré ont relaxé les prévenus.

4. M. [R] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes en raison de la relaxe prononcée, a dit qu'aucune faute civile fondée sur une diffamation publique envers un particulier n'est caractérisée, l'a débouté de sa demande de condamnation solidaire de M. [E] et de Mme [T] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, l'a débouté de sa demande de publication pendant une durée d'un mois en page d'accueil du site Internet des éditions [2] à l'adresse URL https:///www.[01].fr/, dans les quinze jours de l'arrêt, d'un communiqué qui devra apparaître en dehors de toute publicité, en caractères gras, noirs sur fond blanc, de 0,5 cm de hauteur, dans un encadré et sous le titre « CONDAMNATION JUDICIAIRE », lui-même en caractères de 0,9 cm : « COMMUNIQUÉ JUDICIAIRE Par arrêt du XXX, la cour d'appel de Paris a condamné pour diffamation publique envers un particulier M. [G] [E] et Mme [F] [T], respectivement éditeur et auteur du livre "La nuit de [D] [P]", au préjudice de M. [Y] [R], auquel il avait été imputé la commission de crimes qu'il n'a jamais commis. », alors :

« 1°/ que constitue une diffamation l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime sous la forme d'une articulation suffisamment précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que tel est le cas du fait de qualifier une personne de délinquant et a fortiori de criminel, même sans préciser pour quels faits ; qu'en qualifiant de simple jugement de valeur potentiellement injurieux les imputations de « professionnel du crime », « client du [Adresse 4] » et « délinquant reconnu », la cour d'appel a violé l'article 29, alinéas 1 et dernier, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

2°/ que constitue une diffamation l'allégation ou l'imputation d'un fait précis qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ; qu'un tel fait est suffisamment précis, même lorsqu'il est formulé sous une forme déguisée, dubitative ou d'insinuation, dès lors qu'à leur seule évocation, il est possible, sans difficulté, d'identifier objectivement les éléments qui mettent en cause la personne diffamée ; que tel est le cas, pour l'auteur d'un écrit diffamatoire, de qualifier la personne diffamée de délinquant associé au grand banditisme et habitué des poursuites pénales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que les imputations de « professionnel du crime », « client du [Adresse 4] » et « délinquant reconnu » à l'encontre de M. [R] dans l'ouvrage intitulé « La Nuit de [D] [P] » constituaient un simple jugement de valeur, éventuellement susceptible d'être qualifié d'injure ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que l'ouvrage imputait des faits précis à M. [R] sur un prétendu passé de délinquant d'habitude plusieurs fois condamnés par la justice, la cour d'appel a violé l'article 29, alinéas 1 et dernier, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

4°/ enfin qu'en retenant que les propos litigieux ne comportaient aucun fait précis, sans rechercher si ces derniers ne se déduisaient pas des éléments fournis par les prévenus au titre de leur offre de preuve de la vérité de leurs imputations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

6. La Cour de cassation juge que le prévenu qui a offert de prouver la vérité des faits diffamatoires conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse reste recevable à soutenir, lors des débats au fond, que les propos poursuivis ne renferment pas l'imputation ou l'allégation d'un fait précis, susceptible de faire l'objet d'un débat sur la preuve de sa vérité (Crim., 26 mai 2021, pourvoi n° 20-80.884, publié au Bulletin).

7. Il s'en déduit que la partie civile ne saurait se fonder, pour justifier du caractère diffamatoire des propos, sur les éléments fournis par le prévenu au titre de l'offre de preuve.

8. Le grief doit donc être écarté.

Mais sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Vu l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

9. Selon ce texte, d'une part, toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation, d'autre part, il appartient aux juges du fond d'apprécier le sens et la portée des propos poursuivis au regard de l'ensemble des déclarations et de leur contexte et ce, sous le contrôle de la Cour de cassation qui peut se reporter à l'écrit lui-même afin de vérifier s'il contient les éléments de l'infraction.

10. Pour rejeter l'existence d'une faute civile, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, après avoir retenu que la publicité des propos était caractérisée et que la partie civile était aisément identifiable, que lesdits propos devaient être analysés d'un seul tenant car, bien que situés dans des chapitres distincts de l'ouvrage, ils qualifient l'intéressé, désigné sous le diminutif « [Y] », de délinquant ou de criminel d'habitude, en recourant aux expressions « professionnel du crime », « habitué du [Adresse 4] », « délinquant reconnu ».

11. Les juges ajoutent que ces termes se rapportent à la personnalité de l'intéressé au regard d'un parcours de délinquant qui lui est prêté.

12. Ils en concluent qu'à défaut de contenir des éléments venant préciser les faits inclus dans ce parcours et alors que le contexte dans lequel ils s'inscrivent ne peut pallier cette absence, ces propos sont l'expression d'un jugement de valeur ne relevant pas de la diffamation.

13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

14. En effet, les termes « professionnel du crime », « habitué du [Adresse 4] » et « délinquant reconnu », pris dans leur ensemble et qui impliquent par eux-mêmes que la partie civile a été l'objet de condamnations pénales, contiennent l'allégation d'un fait précis et déterminé de nature de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de celui auquel il est imputé.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième grief proposé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 29 juin 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-84.606
Date de la décision : 25/02/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation restreinte hors rnsm/na, 25 fév. 2025, pourvoi n°23-84.606, Bull. civ.Publié au
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.84.606
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