COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 février 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 75 F-D
Pourvoi n° G 23-13.899
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 FÉVRIER 2025
M. [G] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-13.899 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [Y], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 juillet 2022), par un acte des 8 et 14 novembre 2013, la Société générale (la banque) a consenti à la société Discinnet Labs (la société) un prêt d'un montant de 80 000 euros.
2. Par un acte du 5 novembre 2013, M. [Y] s'est rendu caution solidaire des engagements de la société au titre de ce prêt à hauteur de 31 200 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de sept ans.
3. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution en exécution de ses engagements.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts formée contre la Société générale fondée sur la violation de son obligation de mise en garde au titre du contrat de cautionnement souscrit par lui, alors :
« 1°/ que l'établissement de crédit est tenu d'une obligation de mise en garde à l'égard de la caution non avertie, au regard de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti ; que si cette obligation de mise en garde suppose qu'il existe une inadaptation de l'engagement aux capacités financières de la caution, c'est à la banque, qui demande le cautionnement et doit s'informer de la capacité de la caution à y faire, de démontrer qu'au jour de la conclusion du contrat, il n'existait pas de risque d'endettement de la caution à raison de l'octroi du prêt cautionné ; qu'en retenant que "c'est à la caution qui se prévaut d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde de rapporter la preuve de l'inadaptation de son engagement à ses capacités financières ou de l'existence d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt", et ce, avant même de caractériser la qualité avertie de la caution, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil ;
2°/ que le créancier professionnel est tenu de mettre en garde toute caution personne physique lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier, de sorte qu'il n'y a pas lieu de distinguer selon qu'elle est avertie ou profane ; qu'en disant que M. [Y] était une caution avertie, de sorte que la banque serait délivrée de toute obligation de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction alors applicable ;
3°/ que, pour se voir reconnaître la qualité de caution avertie, la caution doit être en mesure de discerner et de mesurer le risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, compte tenu de ses qualités subjectives et de la complexité de l'opération ; qu'en retenant la qualité de caution avertie de M. [Y] aux seuls motifs que "la caution était ingénieur scientifique et enseignant, associé de la société Discinnet, président de la société Richeact, elle-même présidente de la première à plusieurs reprises", sans examiner les qualités subjectives de M. [Y], la cour d'appel, qui a statué sur des motifs impropres à établir que la caution avait des connaissances en matière financière et une expérience des mécanismes d'endettement permettant de lui conférer cette qualité, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction alors applicable ;
4°/ que le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de la conclusion du cautionnement, l'engagement de la caution n'est pas adapté à ses capacités financières ou lorsqu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti ; qu'en se bornant à relever que "la caution était ingénieur scientifique et enseignant, associé de la société Discinnet, président de la société Richeact, elle-même présidente de la première à plusieurs reprises", sans se placer à la date du jour de conclusion du contrat de cautionnement pour examiner les compétences de M. [Y], pour retenir qu'il était une caution avertie et que, par conséquent, la Société générale n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au litige ;
5°/ que nul ne peut être contraint de rapporter la preuve impossible d'un fait négatif ; qu'en mettant à la charge de M. [Y] la preuve l'inadaptation de son engagement à ses capacités financières ou de l'existence d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, la cour d'appel a mis à la charge de la caution la preuve d'un fait négatif impossible à rapporter pour la caution, violant l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
6. Ayant relevé que M. [Y] était ingénieur scientifique et enseignant, associé de la société Discinnet, président de la société Richeact, elle-même présidente de la première à plusieurs reprises, et dès lors que ce dernier ne contestait pas avoir présenté ces qualités ou occupé, en tout ou partie, ces fonctions lors de la souscription de son engagement, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, en a souverainement déduit qu'il devait être considéré comme une caution avertie, de sorte que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.
7. Par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
8. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts formée contre la Société générale fondée sur la violation de son obligation précontractuelle au titre du contrat de cautionnement souscrit par lui, alors :
« 1°/ que l'établissement bancaire, qui octroie un crédit à une entreprise, est tenu d'une obligation d'information à l'égard de la caution garantissant ce prêt, lui imposant de l'informer, le cas échéant, que son engagement est indépendant de la garantie octroyée par BpiFrance devenue Oséo, laquelle ne pourra être actionnée que subsidiairement, après la mise en uvre du cautionnement ; que, pour affirmer qu'il importait peu que les conditions générales et particulières de la garantie Oséo aient ou non été portées à la connaissance de la caution, la cour d'appel a constaté, d'une part, que le contrat de prêt stipulait en son article 19 relatif aux garanties "Garantie de BpiFrance Financement au seul profit de la Banque à hauteur de 50 % de l'encours du prêt", lequel était paraphé par le client, et, d'autre part, que l'engagement de caution mentionnait toutes les caractéristiques du prêt et en son article IX, dans une page signée par M. [Y], que "Le présent cautionnement s'ajoute ou s'ajoutera à toutes garanties réelles ou personnelles qui ont pu ou qui pourront être fournies au profit de la banque par la caution, par le cautionné ou par tout tiers", de sorte que, "quelle qu'ait été sa compréhension de la nature de la garantie BpiFrance, devenue Oséo, celui-ci savait que son cautionnement s'ajoutait à toute autre garantie consentie au seul profit de la banque et qu'il pouvait être poursuivi pour 31 200 euros" ; qu'en statuant ainsi, quand seules les conditions générales de la garantie Bpifrance devenue Oséo pouvaient délivrer à la caution l'information requise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;
2°/ que le banquier dispensateur de crédit qui fait souscrire à l'emprunteur une garantie Oséo doit informer la caution des modalités de fonctionnement de celle-ci ; qu'en se fondant, pour écarter le manquement de la banque relativement à l'information de la caution sur le fonctionnement de la garantie Oséo, sur des circonstances inopérantes pour en déduire que les éléments en possession de la caution permettaient à cette dernière de savoir que son cautionnement s'ajoutait à toute autre garantie consentie au seul profit de la banque, ce qui n'était pas de nature à caractériser le respect par la banque de son obligation d'information, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. Après avoir énoncé que la banque était tenue d'une obligation d'information sur le cautionnement envisagé et que les conditions générales et particulières des contrats conclus doivent être de nature à fournir cette information, l'arrêt retient, d'une part, que le contrat de prêt, dont M. [Y] ne contestait pas avoir pris connaissance, stipule en son article 19 relatif aux garanties « Garantie de BpiFrance Financement au seul profit de la Banque à hauteur de 50 % de l'encours du prêt », lequel est paraphé par le client, et d'autre part, que l'engagement de caution mentionne toutes les caractéristiques du prêt et en son article IX, figurant sur une page signée par M. [Y], que « Le présent cautionnement s'ajoute ou s'ajoutera à toutes garanties réelles ou personnelles qui ont pu ou qui pourront être fournies au profit de la banque par la caution, par le cautionné ou par tout tiers. » L'arrêt ajoute qu'au regard de ces clauses, M. [Y] savait que son cautionnement s'ajoutait à toute autre garantie consentie au seul profit de la banque et qu'il pouvait être poursuivi pour 31 200 euros.
10. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que la banque n'avait pas manqué à son obligation d'information, peu important que les conditions générales et particulières de la garantie Oséo aient ou non été portées à la connaissance de la caution, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] et le condamne à payer à la Société générale la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du douze février deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.