COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 février 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 74 F-D
Pourvoi n° V 23-12.599
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 FÉVRIER 2025
M. [Z] [I], domicilié chez Mme [F] [I], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 23-12.599 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Crédit industriel et commercial, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de Me Bardoul, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mars 2022), la société TS formation (la société) détenait un compte courant dans les livres de la société Crédit industriel et commercial (la banque).
2. Par un acte du 3 mars 2015, la banque a mis en place un plan d'amortissement du découvert présenté par ce compte, garanti par le cautionnement de M. [I] pour un montant de 60 000 euros.
3. Ce plan n'ayant pas été respecté, et la société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution en exécution de son engagement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [I] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'annulation de l'acte de cautionnement et tendant à voir dire que l'acte de cautionnement est manifestement disproportionné, de le condamner, en sa qualité de caution et dans la limite de l'acte de cautionnement, à payer à la société Crédit industriel et commercial, la somme de 51 704,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2016 et jusqu'à parfait paiement et d'ordonner que les intérêts des sommes dues seront capitalisés, alors « que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même" ; qu'en déboutant M. [I] de sa demande d'annulation du cautionnement au motif que la circonstance que la caution ait écrit "si la SARL TS Formation ne satisfait elle-même" au lieu de "si la SARL TS Formation n'y satisfait pas elle-même" n'affecte ni le sens ni la portée de la mention manuscrite et constitue une simple erreur matérielle quand, au contraire, le sens et la portée de la mention étaient affectés par l'erreur invoquée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 341-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir relevé que M. [I] avait écrit la mention manuscrite requise à l'article L. 341-2 du code de la consommation, alors applicable, en y portant la formule « si la SARL TS Formation ne satisfait elle-même » au lieu de « si la SARL TS Formation n'y satisfait pas elle-même », la cour d'appel a jugé à bon droit que ces termes comportaient une faute de syntaxe vénielle, constituant une simple erreur matérielle qui n'en n'affectait ni le sens ni la portée, et n'occultaient pas le fait que c'est la défaillance du débiteur principal qui déclenche l'obligation de paiement de la caution envers le créancier.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. M. [I] fait le même grief à l'arrêt, alors « que si les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie de son patrimoine, tel n'est pas le cas des biens détenus par la société cautionnée elle-même ; que la valorisation des parts d'une société est, en particulier, fonction de ses éléments d'actif et de passif ; que M. [I] faisait valoir dans ses conclusions de manière très détaillée que la société TS Formation était au jour du cautionnement en situation financière très difficile et avait un endettement très important dépassant très largement le montant de son actif de sorte qu'elle n'avait pas de valeur significative, ; qu'en n'examinant pas ces développements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, alors applicable :
8. Aux termes de ce texte, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
9. Il résulte de ce texte que la disproportion de l'engagement de caution, donné par une personne physique, doit être appréciée en prenant en compte la valeur nette de son patrimoine. Si ce patrimoine comprend des parts sociales, leur valorisation est fonction des éléments d'actif et de passif de la société.
10. Pour rejeter la demande de M. [I] fondée sur la disproportion manifeste de son cautionnement et le condamner à paiement, après avoir relevé que ce dernier s'était vu céder, le 19 février 2015, 50 % des parts sociales de la société TS formation moyennant le prix de 1 euro symbolique, laquelle détient 50 % du capital social d'une SCI Les 3 Cadets, propriétaire d'un bien immobilier depuis 2009, consistant en un local commercial acquis pour un montant de 260 000 euros à l'aide d'un prêt dont le capital restant dû en mars 2015 est de 186 541,64 euros, l'arrêt retient que la valeur vénale des parts de cette SCI, que M. [I] détient au travers de la société TS formation, ne peut être considérée, lors de son engagement de caution du 3 mars 2015, ni comme nulle, même si ces parts sont difficilement cessibles, ni s'apprécier au regard du prix de cession des parts sociales de la société TS formation, intervenue au moment de sa liquidation judiciaire, pour un montant de 18 700 euros.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date de souscription du cautionnement, la valeur des parts de la société TS formation ne devait pas tenir compte de celle de la SCI Les trois cadets, détenue à 50 % par la première et qui supportait un endettement important dépassant la valeur de son actif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [I] tendant à voir dire que son acte de cautionnement est manifestement disproportionné, et en ce qu'il le condamne, en sa qualité de caution et dans la limite de son engagement, à payer à la société Crédit industriel et commercial, la somme de 51 704,11 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2016 et jusqu'à parfait paiement et ordonne la capitalisation, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Crédit industriel et commercial aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Crédit industriel et commercial à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du douze février deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.