CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 janvier 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 56 F-D
Pourvois n°
H 23-12.495
J 23-12.520 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025
I - La société 2chenier, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 23-12.495 contre un arrêt rendu le 16 décembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [J] [R], domicilié [Adresse 5],
2°/ à Mme [C] [R], épouse [I], domiciliée [Adresse 1] (Suisse),
3°/ à la société LPE Advisory, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société Malard associés - boucle Nord Seine, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], successeur de la Selarl Valérie Bastide,
5°/ à la société C et C notaires, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
II - La société LPE Advisory, société par actions simplifiée unipersonnelle, a formé le pourvoi n° J 23-12.520 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société 2chenier, société en nom collectif,
2°/ à M. [J] [R],
3°/ à Mme [C] [R], épouse [I],
4°/ à la société C et C notaires, société par actions simplifiée,
5°/ à la société Malard associés - boucle Nord Seine, société d'exercice libéral par actions simplifiée,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses aux pourvois n° H 23-12.495 et J 23-12.520 invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Les dossier ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société 2chenier, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société LPE Advisory, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés C et C notaires et Malard associés - boucle Nord Seine, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [J] [R] et de Mme [C] [R], après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 23-12.495 et J 23-12.520 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2022), le 7 février 2019, M. [Z], notaire au sein de la société Valérie Bastide, a, pour le compte de M. [J] [R] et Mme [C] [R] (les consorts [R]), propriétaires indivis d'un bien immobilier comprenant un local à usage de bureaux, donné à bail à la société LPE Advisory (la société LPE), et une cave en sous-sol, notifié à celle-ci une offre de vente du local loué au visa de l'article L. 145-46-1 du code de commerce.
3. Par acte du 18 février 2019 reçu par Mme [L], notaire exerçant au sein de la société C et C notaires, avec la participation de M. [Z], les consorts [R] ont consenti à la société 2chenier une promesse de vente portant sur le bien immobilier, sous réserve de l'absence d'exercice par la locataire de son droit de préférence.
4. Par lettre reçue par la société Valérie Bastide le même jour, la société LPE a déclaré accepter l'offre de vente qui lui avait été faite.
5. Soutenant que la société LPE ne bénéficiait pas du droit de préférence prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce, la société 2chenier a assigné les consorts [R], la société LPE, la société C et C notaires et la société Valérie Bastide, désormais la société Malard et associés, en nullité de la vente entre les consorts [R] et la société LPE, réalisation de la vente à son profit et indemnisation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° J 23-12.520
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi n° H 23-12.495, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. La société 2chenier fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement entrepris ayant déclaré recevables ses demandes et de déclarer son action irrecevable, alors « qu'est parfaite la vente entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ; qu'est nulle la vente conclue au bénéfice de celui qui a exercé un droit de préemption dont il n'était pas titulaire et que l'action en nullité peut être exercée par l'acquéreur évincé ; que la cour d'appel a retenu que les consorts [R] avaient, en application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, procédé à la notification de la cession des locaux à la société LPE, qui ne pouvait toutefois en bénéficier mais qu'en l'absence d'action en nullité de la vente conclue avec la société LPE sur le bien loué, par les consorts [R], qui pouvaient seuls contester l'existence de ce droit de préemption, cette vente était devenue parfaite, la société 2chenier, qui avait conclu avec les consorts [R] une promesse de vente sur ce bien sous la condition de purge du droit de préemption du preneur n'ayant pas qualité pour demander cette nullité ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1583 du code civil, L. 145-46-1 du code de commerce, et 31 et 32 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31 du code de procédure civile :
8. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
9. Pour infirmer le jugement entrepris et déclarer l'action de la société 2chenier irrecevable, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que les parties au contrat de bail ont eu la volonté de le soumettre au statut des baux commerciaux, que les consorts [R], ayant procédé à la notification de la cession des locaux à la société LPE en application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, alors que celle-ci ne pouvait bénéficier du droit de préférence prévu par ce texte, pouvaient seuls contester l'existence de ce droit et agir en nullité de la vente et, qu'en l'absence d'exercice de cette action, la vente conclue avec la société LPE étant devenue parfaite, la société 2chenier n'a pas qualité pour demander cette nullité.
10. En statuant ainsi, alors que l'acquéreur évincé a intérêt et qualité à agir en nullité de la vente conclue au bénéfice de celui qui a exercé un droit de préférence dont il n'était pas titulaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant l'action de la société 2chenier irrecevable entraîne la cassation des chefs du dispositif constatant que les demandes formées contre la société Malard et associés et contre la société C et C notaires sont sans objet et statuant sur les frais irrépétibles et les dépens, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
12. Elle n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif rejetant les demandes de la société LPE contre la société 2chenier en paiement de dommages-intérêts, qui ne s'y rattache pas par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° J 23-12.520 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare l'action de la société 2chenier irrecevable, constate que les demandes formées contre la société Malard et associés et contre la société C et C notaires sont sans objet et statue sur les frais irrépétibles et les dépens, l'arrêt rendu le 16 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société LPE Advisory, M. [J] [R] et Mme [C] [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq.