COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 50 F-D
Pourvoi n° T 23-17.795
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
La société Kepler Cheuvreux (Suisse), société anonyme de droit suisse, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), venant aux droits de Kepler Corporate Finance, a formé le pourvoi n° T 23-17.795 contre l'arrêt rendu le 22 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Biocorp production, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Kepler Cheuvreux (Suisse), venant aux droits de Kepler Corporate Finance, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Biocorp production, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2023) et les productions, en 2018, la société Biocorp production (la société Biocorp), qui a pour activité la production de dispositifs médicaux destinés à l'administration de médicaments, a confié à la société Kepler Corporate Finance, aux droits de laquelle vient la société Kepler Cheuvreux (Suisse) (la société Kepler), société de conseil financier, la mission de l'assister en vue d'une opération de cession de l'ensemble de la société ou de l'un ses principaux actifs.
2. Le contrat a été conclu pour une durée de douze mois et était reconductible tacitement pour la même durée, sauf dénonciation dans les trente jours précédant le terme.
3. Le 19 février 2020, la société Biocorp a mis fin à la mission de la société Kepler sur le fondement de l'article 1224 du code civil, au motif que les interventions de celle-ci s'étaient révélées contre-productives et risquaient de remettre en cause l'opération.
4. Contestant cette résolution unilatérale du contrat, la société Kepler a assigné la société Biocorp en dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Kepler fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société Biocorp à la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la résiliation unilatérale d'un contrat à durée déterminée n'est admise qu'à la condition que la partie qui s'en prévaut établisse que son cocontractant a gravement manqué à ses obligations contractuelles, la faute simple ne suffisant pas ; qu'au cas présent, la cour d'appel, après avoir rappelé cette exigence d'une faute grave, a retenu qu'aucun manquement contractuel grave n'était caractérisé en l'espèce, tout en considérant comme justifiée la "résolution" du contrat ; qu'on lit ainsi dans l'arrêt attaqué qu' "après dix-huit mois de collaboration, la société Kepler n'avait présenté qu'un seul candidat, dont les offres de prix étaient inadéquates. Dans ces conditions, la preuve est apportée que les interventions de Kepler n'ont pas été satisfaisantes et que la mésintelligence entre les parties justifiait la résolution du contrat. Cependant aucune inexécution grave, ni aucun comportement gravement déloyal ne peut être reproché à la société Kepler pour justifier la résiliation unilatérale de la lettre de mission, sans préavis, ni même mise en demeure. L'échec de la mission confiée à la société Kepler n'impliquait aucune urgence. La résiliation ouvre donc droit à une indemnisation" et qu' "il n'en demeure pas moins que la résiliation unilatérale est intervenue brutalement. Le montant du préjudice peut être raisonnablement évalué à la somme de 5 000 euros" ; qu'en considérant que la résiliation unilatérale du contrat, décrétée par la société Biocorp, aurait été justifiée, quand il ressortait de ses propres constatations qu'aucun manquement grave à ses obligations contractuelles ne pouvait être reproché à la société Kepler, la cour d'appel a violé l'article 1224 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1224 et 1226 du code civil :
6. Selon le premier de ces textes, la résolution peut résulter, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur. Selon le second, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
7. Pour juger que la résolution du contrat par la société Biocorp est justifiée, ne retenir la responsabilité de cette dernière qu'à raison du caractère brutal de cette résolution et, en conséquence, limiter à la somme de 5 000 euros les dommages et intérêts auxquels elle est condamnée, l'arrêt, après avoir énoncé que l'article 1224 du code civil prévoit que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice, et retenu qu'il convenait donc de rechercher si « l'inexécution grave » ou le comportement « gravement déloyal » de la société Kepler étaient démontrés, permettant de justifier la résiliation unilatérale du contrat par simple notification, retient qu'après dix-huit mois de collaboration, la société Kepler n'avait présenté qu'un seul candidat à la société Biocorp, dont les offres de prix étaient inadéquates, que la preuve est apportée que les interventions de la société Kepler n'ont pas été satisfaisantes et que la mésintelligence entre les parties justifiait la résolution du contrat. Il ajoute que, cependant, aucune inexécution grave ni aucun comportement gravement déloyal ne peut être reproché à la société Kepler pour justifier la résiliation unilatérale de la lettre de mission sans préavis, ni même mise en demeure, et que l'échec de la mission confiée à la société Kepler n'impliquait aucune urgence. Il en déduit que la résiliation unilatérale, intervenue brutalement, ouvre donc droit à une indemnisation.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu qu'aucune inexécution grave ni aucun comportement gravement déloyal ne pouvait être reproché à la société Kepler, ce dont il résultait que la résolution était injustifiée et pas seulement brutale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Biocorp à payer à la société Kepler Cheuvreux la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Biocorp production aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Biocorp production et la condamne à payer à la société Kepler Cheuvreux (Suisse) la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.