COMM.
SH
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 44 F-D
Pourvois n°
P 23-16.526
B 23-17.964 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
I - La société Tél and Com, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 23-16.526 contre un arrêt n° RG 22/15032 rendu le 31 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Bouygues Telecom, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
II - la société Bouygues Telecom, société anonyme, a formé le pourvoi n° B 23-17.964 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à la société Tél and Com, société par actions simplifiée, défenderesse à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° P 23-16.526 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° B 23-17.964 invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Bouygues Telecom, de la SARL Gury & Maitre, avocat de la société Tél and Com, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 23-16.526 et 23-17.964 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mars 2023), rendu sur renvoi après cassation (Com, 10 novembre 2021, rectifié par arrêt du 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.385), les sociétés Tél and Com et Bouygues Telecom ont entretenu des relations commerciales à compter de l'année 1999, d'abord régies par un accord sans contrepartie spécifique et générant un chiffre d'affaires limité, puis, à compter de 2002, par des contrats de distribution successifs, se limitant à des conditions générales de distribution (les CGD).
3. Le 15 avril 2011, les sociétés Bouygues Telecom sont convenues de conditions particulières de distribution (les CPD), entrées rétroactivement en vigueur le 1er janvier 2011, aux termes desquelles la société Tél and Com prenait des engagements de croissance minimale en contrepartie du versement de commissions et primes.
4. Par lettre du 27 novembre 2012, la société Bouygues Telecom a informé la société Tél and Com de sa décision de ne pas reconduire à l'identique les CPD au delà du 31 décembre 2013, puis lui a signifié, par lettre du 3 avril 2013, l'absence de renouvellement, à l'échéance du 31 décembre 2013, des CGD ainsi que la cessation des relations commerciales, avec un point de départ du préavis le 27 novembre 2012.
5. Reprochant à la société Bouygues Telecom à la fois des manquements contractuels et une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société Tél and Com l'a assignée en réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° 23-16.526 et le cinquième moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° 23-17.964
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° 23-16.526
Enoncé du moyen
7. La société Tél and Com fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre des primes de parc 2012 et 2013 pour une demande à hauteur de 8 600 000 euros, alors « que les CPD liant la société Tél and Com à la société Bouygues Telecom prévoyaient le versement d'une prime de parc en fonction de la croissance du nombre d'abonnés, avec des modalités de calcul dépendant de la catégorie d'offre souscrite, en renvoyant, pour la catégorisation des forfaits, à une annexe indicative que la société Bouygues Telecom s'engageait à mettre à jour en fonction de l'évolution de ses offres commerciales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la distribution du forfait B&You n'entrait pas "dans les objectifs de croissance de Tél and Com ouvrant droit à une prime de parc" ; qu'en se prononçant ainsi, en se fondant sur les CPD précitées, tandis que ce document n'excluait aucune offre post-payée pour le calcul de la prime de parc, mais distinguait seulement entre différentes catégories d'offres pour procéder à ce calcul, incluant notamment les offres post-payées, dont sont composés les forfaits B&You, et ne renvoyait qu'à une liste indicative de forfaits que la société Bouygues Telecom s'engageait à mettre à jour en fonction de l'évolution de son offre commerciale, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des CPD et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir relevé que les CPD relevant du contrat du 15 avril 2011 et de l'avenant du 11 avril 2012 prévoyaient que le distributeur s'engageait notamment à une croissance annuelle de son parc net clients minimum de 22 000 clients et qu'en contrepartie la société Bouygues Telecom lui verserait un commissionnement de 4 à 8 euros par client supplémentaire selon l'offre concernée, c'est sans en dénaturer les termes, dont l'interprétation était nécessaire s'agissant du périmètre des offres donnant lieu au paiement d'une commission, que la cour d'appel a retenu que la distribution du forfait B&You n'entrait pas dans les objectifs de croissance de Tél and Com ouvrant droit à une prime de parc.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 23-17.964
10. La société Bouygues Telecom fait grief à l'arrêt de fixer à vingt-quatre mois le préavis dû au titre de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Tél and Com pour chacun des deux contrats et, en conséquence, de la condamner à verser à la société Tél and Com une provision de cinq millions d'euros et ordonner une expertise, avec pour mission donnée à l'expert désigné de proposer une évaluation de la perte de marge ainsi que des préjudices directement liés à la rupture brutale par elle de la relation commerciale établie avec la société Tél and Com sur la base des durées de préavis retenues par la cour d'appel et d'après des données comptables, alors :
« 1°/ que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; que, lorsque la relation commerciale établie est composée de deux contrats, la résiliation de l'un des deux implique la rupture partielle de la relation commerciale établie et donne lieu à l'exécution d'un premier préavis, de sorte que la durée du second préavis rendu nécessaire par la rupture totale de la relation commerciale, consommée par la résiliation subséquente du second contrat, doit nécessairement être inférieure au premier préavis ; qu'en retenant néanmoins la même durée de préavis de vingt quatre mois pour la rupture des CPD, laquelle était intervenue le 27 novembre 2012, et la rupture des CGD, laquelle était intervenue le 3 avril 2013, sans tenir compte de ce qu'au jour de la rupture des CGD, qui entraînait une rupture totale de la relation commerciale, une rupture partielle de celle-ci était déjà intervenue à la suite de la rupture des CPD, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
2°/ que le préavis accordé au distributeur en cas de rupture de la relation commerciale a pour finalité de permettre à ce dernier de se réorganiser ou de se reconvertir ; que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu'en cas de rupture totale d'une relation commerciale établie, le préavis doit tenir compte d'une rupture partielle antérieurement intervenue, laquelle, ayant fait l'objet d'un premier préavis, a permis au distributeur d'initier une réorganisation de son activité ou une reconversion ; que, dès lors, le préavis accordé pour la rupture totale de la relation commerciale ne saurait être d'une durée équivalente à celui accordé au titre de la rupture partielle ; qu'en retenant un préavis de vingt-quatre mois pour la rupture des CPD, laquelle était intervenue le 27 novembre 2012, et un préavis d'une même durée de vingt-quatre mois pour la rupture des CGD, laquelle était intervenue le 3 avril 2013, sans tenir compte de ce qu'au jour de la rupture des CGD, qui entraînait une rupture totale de la relation commerciale, une rupture partielle de celle-ci était déjà intervenue à la suite de la rupture des CPD, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
3°/ que la rupture partielle d'une relation commerciale introduit un élément de précarisation de cette relation qui doit être pris en compte pour le calcul du préavis suffisant au titre d'une rupture totale qui lui fait suite ; que, dès lors, le préavis accordé pour la rupture totale de la relation commerciale ne saurait être d'une durée équivalente à celui accordé au titre de la rupture partielle ; qu'en retenant néanmoins un préavis de vingt-quatre mois pour la rupture des CPD laquelle était intervenue le 27 novembre 2012, et un préavis d'une même durée de vingt-quatre mois pour la rupture des CGD, laquelle était intervenue le 3 avril 2013, sans tenir compte de ce qu'au jour de la rupture des CGD, qui entraînait une rupture totale de la relation commerciale, une rupture partielle de celle-ci était déjà intervenue à la suite de la rupture des CPD, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
4°/ que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu'à ce titre, doit être prise en compte, au titre de la rupture partielle de la relation commerciale, la durée d'exécution du dispositif contractuel auquel il est mis fin ; qu'en retenant néanmoins un préavis de vingt-quatre mois pour la rupture des CPD sans tenir compte de la durée d'exécution de la relation contractuelle correspondant aux seules CPD, lesquelles prévoyaient des engagements spécifiques entre les deux sociétés et n'avaient débuté qu'en 2003, contrairement aux CGD qui constituaient des contrats de distribution standard ayant été appliqués entre les parties dès le début de leurs relations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, que, la durée de préavis suffisante s'apprécie au terme d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé et de la notoriété du client, du secteur concerné comme du caractère saisonnier du produit, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, et de l'état de dépendance économique du fournisseur, cet état se définissant comme l'impossibilité pour celui-ci de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'il a nouées avec une autre entreprise.
12. Le moyen, qui, en ses trois premières branches, postule que la recherche doit se fonder sur des règles générales et abstraites, ne souffrant pas d'exception, n'est donc pas fondé.
13. En second lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments versés au débat que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé qu'un préavis d'une durée de vingt-quatre mois était nécessaire à la suite de la rupture partielle de la relation commerciale par le non-renouvellement des CPD.
14. Le moyen, pris en sa quatrième branche, n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
15. La société Bouygues Telecom fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'après avoir relevé qu'aux termes des contrats conclus entre les parties, la société Tél and Com s'était engagée à réaliser, chaque trimestre, 50 % de l'ensemble de ses nouvelles souscriptions d'offres de services de téléphonie mobile voix réalisées tous opérateurs confondus dans les points de vente ou sur son site en souscription d'offres post-payées voix Bouygues, et 40 % pour les nouvelles souscriptions d'offres prépayées voix et post-payées Internet mobile, et que l'engagement de la société Tél and Com dans la distribution des produits Bouygues Telecom était renforcé par l'obligation souscrite d'une croissance annuelle de son parc net client au moins égale à 22 000, la cour d'appel a énoncé qu'au regard de ces stipulations contractuelles, de la notoriété de la société Bouygues Telecom, de la concentration du marché entre quatre opérateurs, il ne pouvait être retenu que la société Tél and Com avait imposé ces propositions à la société Bouygues Telecom, et ceci jusqu'en 2011-2012, sans analyser le courrier du 10 décembre 2002, dont se prévalait la société Bouygues Telecom dans ses écritures et dont il ressortait que c'était la société Tél and Com qui avait proposé à la société Bouygues Telecom, en contrepartie d'avantages financiers importants, d'atteindre 40 à 50 % de ses ventes avec la souscription de forfaits post-payés et prépayés Bouygues Telecom et d'augmenter la croissance annuelle du parc net de clients Bouygues Telecom ; qu'en s'abstenant d'examiner cette pièce, régulièrement produite aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation sans préciser les éléments de preuve sur lequel il se fonde ; qu'en énonçant que la pression concurrentielle sur le marché de la téléphonie mobile déclenchée par le développement des offres "SIM only" et des abonnements à 2 euros avait poussé les trois opérateurs historiques à anticiper la concurrence annoncée du quatrième opérateur apparu sur le marché et à proposer des offres identiques, que, pour réduire les coûts et permettre ces offres, ces quatre opérateurs avaient décidé de se concentrer sur leurs propres réseaux de distribution, excluant ainsi toute possibilité pour Tél and Com de se tourner vers les sociétés Free Mobile ou SFR pour réorganiser son activité, sans préciser sur quel élément de preuve elle se fondait pour affirmer que tant la société SFR que la société Free Mobile avaient décidé de se concentrer sur leur propre réseau de distribution et que toute possibilité pour la société Tél and Com de réorganiser son activité avec les sociétés Free Mobile ou SFR était exclue, la cour d'appel a violé 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en affirmant, de façon péremptoire, qu'il ne pouvait être retenu que le préavis payé par la société Orange permettait la réorganisation des activités issues de la relation commerciale délaissée par la société Bouygues Telecom, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la possibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations commerciales qu'elle a nouées avec une autre entreprise ; qu'en retenant, pour juger que la société Tél and Com était en état de dépendance économique à l'égard de la société Bouygues Telecom, que, compte tenu de la situation du marché, il ne lui était pas possible pour la société Tel and Com de se tourner vers les sociétés Free Mobile et SFR pour réorganiser son activité, que les opérateurs de réseau mobile virtuel (« Mobile Virtual Network Operator » – « MVNO »), qui ne représentaient que 9 % du marché partagé entre vingt-cinq opérateurs indépendants, là où la société Bouygues Telecom représentait 16 % du marché, ne pouvaient être considérés comme une solution techniquement et économiquement équivalente, et qu'il ne pouvait être retenu que le préavis payé par la société Orange permettait la réorganisation des activités issues de la relation commerciale délaissée par la société Bouygues Telecom, la cour d'appel, qui a ainsi analysé séparément chacune de ces options, sans apprécier si, en effectuant concomitamment chacune de ces démarches, celles-ci n'auraient pas pu constituer une solution techniquement et économiquement équivalente à la relation commerciale qu'elle avait nouée avec la société Bouygues Telecom, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
16. En premier lieu, dès lors que le préavis dû par l'auteur de la rupture d'une relation commerciale établie au partenaire qui la subit vise à donner à ce dernier le temps nécessaire pour réorienter les moyens qu'il consacrait à cette relation spécifique, il n'y a pas lieu de tenir compte, pour calculer la durée de ce préavis, du préavis dont ce partenaire a pu bénéficier lors de la rupture de la relation contractuelle établie qu'il entretenait avec un autre opérateur.
17. C'est donc sans encourir le grief de défaut de motivation que la cour d'appel a écarté le moyen de défense de la société Bouygues Telecom, pris de ce que le préavis consenti par la société Orange à la société Tél and Com devait être pris en considération aux fins d'apprécier le préavis dû par la société Bouygues Telecom.
18. Le moyen, pris en sa troisième branche, n'est donc pas fondé.
19. En second lieu, après avoir relevé la grande notoriété de la marque de la société Bouygues Telecom, l'arrêt retient que l'importance du volume d'affaires de la société Tél and Com avec la société Bouygues Telecom résultait de son obligation de réaliser avec elle, chaque trimestre, 50 % de ses nouvelles souscriptions d'offres de service de téléphonie mobile voix tous opérateurs confondus dans les points de vente ou sur son site en souscription d'offres post-payées voix Bouygues, et 40 % des nouvelles souscriptions d'offres prépayées voix et post-payées Internet mobile et que le jeu des primes de parc, qui la rémunérait pour chaque nouveau client, renforçait l'engagement de la société Tél and Com à l'égard de la société Bouygues Telecom. Il retient que l'arrivée d'un quatrième opérateur dans le secteur de la téléphonie mobile et le lancement en 2012 de ses offres très compétitives, sans rendre le marché moins concentré, ont conduit les trois opérateurs historiques, dont la société Bouygues Telecom, à anticiper les bouleversements induits en proposant des offres relevant d'un nouveau modèle économique, que la société Orange a également rompu le contrat de distribution conclu avec la société Tél and Com, que les sociétés SFR et Free Mobile ont décidé de se concentrer sur leurs propres réseaux de distribution et que, du fait de la limitation du marché, la solution d'un développement avec les opérateurs de réseau mobile virtuel (« Mobile Virtual Network Operator ») (les MVNO), avancée par la société Bouygues Telecom, doit être écartée.
20. En l'état de ces constatations et appréciations, d'où il ressort que la société Tél and Com n'était pas en position d'imposer des conditions à la société Bouygues Telecom, la cour d'appel, qui, se fondant sur les écritures mêmes de la société Bouygues Telecom, a constaté la nécessaire révision par les trois opérateurs historiques de leur stratégie à l'arrivée d'un quatrième acteur, et qui, en constatant à la fois l'impossibilité pour la société Tél and Com de se tourner vers Free Mobile et SFR, le caractère limité du marché des MVNO et la fin de la relation avec les sociétés Bouygues Telecom et Orange, a nécessairement écarté le postulat erroné de la quatrième branche tiré de l'existence d'une concomitance d'options pour la société Tél and Com, a pu en déduire que la situation de dépendance économique de la société Tél and Com était caractérisée.
21. Le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le quatrième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
22. La société Bouygues Telecom fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en énonçant, pour juger que l'existence d'une situation de dépendance économique ne résultait pas d'un choix délibéré de la part de la société Tél and Com, que l'engagement de cette dernière de consacrer près de 50 % de son activité à la société Bouygues Telecom relevait des stipulations contractuelles signées par les parties, qui, au regard des positions respectives des deux parties sur le marché (extrême concentration du marché de la téléphonie mobile autour des quatre opérateurs principaux et multiplicité des distributeurs), n'avaient pas été imposées par la société Tél and Com à la société Bouygues Telecom, sans analyser le courrier du 10 décembre 2002, dont se prévalait la société Bouygues Telecom dans ses écritures, dont il ressortait que c'était la société Tél and Com qui avait proposé, en contrepartie d'avantages financiers conséquents, de respecter des engagements contractuels contraignants, de sorte que l'état de dépendance économique résultait bien d'un choix délibéré de sa part ; qu'en s'abstenant d'examiner cette pièce pourtant régulièrement produite aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que l'état de dépendance économique est exclu lorsqu'il résulte d'un choix délibéré de la part du distributeur ; qu'en retenant, pour juger que l'état de dépendance économique de la société Tél and Com ne résultait pas d'un choix délibéré de cette dernière, que l'engagement qu'elle avait pris de consacrer 50 % de son activité aux services de la société Bouygues Telecom résultait de stipulations contractuelles qu'elle n'avait pas imposées à la société Bouygues Telecom, laquelle circonstance était pourtant inopérante dès lors que seul importait le choix délibéré de la société Tél and Com d'accepter ces stipulations contractuelles sans qu'il ne soit nécessaire qu'elle les ait imposées à son cocontractant, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
3°/ que l'état de dépendance économique est exclu lorsqu'il résulte d'un choix délibéré de la part du distributeur ; qu'en se bornant à énoncer que la spécialisation de la société Tél and Com dans la téléphonie ne pouvait être qualifiée d'un choix délibéré l'ayant placée dans une situation de dépendance économique dès lors qu'elle avait choisi d'être un distributeur multi-opérateur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en décidant néanmoins de limiter, dès sa création, ses relations commerciales à deux opérateurs, à savoir la société Orange et la société Bouygues Telecom, à l'exclusion de la société SFR et des MVNO, la société Tél and Com n'était pas responsable de l'état de dépendance économique qu'elle invoquait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
4°/ que l'état de dépendance économique est exclu lorsqu'il résulte d'un choix délibéré de la part du distributeur ; qu'en énonçant, pour exclure que l'état de dépendance économique de la société Tél and Com ait pu résulter d'un choix délibéré de sa part, que le secteur de la téléphonie mobile bénéficiait jusqu'en 2013 d'un grand nombre de clients et que tous les distributeurs avaient subi, à compter de cette date, les mêmes conséquences de la politique des quatre opérateurs pour réduire leurs coûts, lesquelles circonstances n'étaient pourtant par de nature à exclure tout choix délibéré de la part de la société Tél and Com de se placer en état de dépendance économique à l'égard de la société Bouygues Telecom, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a, dès lors, violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
5°/ que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions d'appel, la société Bouygues Telecom soutenait que la société Tél and Com étant une professionnelle aguerrie, elle aurait dû anticiper les effets de l'arrivée de la société Free Mobile sur le marché de la téléphonie et aurait donc dû, dès 2012, commencer une politique de reconversion de son activité, ce qu'elle n'avait pourtant fait qu'à compter de septembre 2013, de sorte qu'elle avait, au vu de l'évolution du marché de la téléphonie, fait le choix délibéré de se placer en état de dépendance économique à l'égard de la société Bouygues Telecom ; qu'en se bornant à énoncer que la spécialisation de la société Tél and Com dans la téléphonie ne pouvait être qualifiée d'un choix délibéré l'ayant placée dans une situation de dépendance économique dès lors qu'elle avait choisi d'être un distributeur multi-opérateur, que ce secteur bénéficiait jusqu'en 2013 d'un grand nombre de clients et qu'il n'était pas contesté que l'ensemble des distributeurs avaient subi, à cette période, les mêmes conséquences de la politique des quatre opérateurs pour réduire leur coût, sans répondre au moyen opérant précité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions d'appel la société Bouygues Telecom faisait valoir que les actionnaires de la société Tél and Com avaient préféré faire le choix de se verser d'importants dividendes plutôt que de poursuivre une politique de reconversion, ce dont il résultait que la société Tél and Com avait délibérément choisi de se placer en état de dépendance économique à l'égard de la société Bouygues Telecom ; que la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen opérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
23. L'arrêt retient que, active sur un marché alors caractérisé par le très petit nombre d'opérateurs significatifs, au nombre de trois, la société Tél and Com a fait le choix d'être un distributeur « multi-opérateur » en nouant des relations commerciales à la fois avec la société Orange, premier opérateur du secteur, et avec la société Bouygues Telecom.
24. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux moyens de défense visés aux cinquième et sixième branches, fondés sur des comportements de la société Tél and Com postérieurs à la notification de la rupture de la relation commerciale établie et, partant, inopérants, et qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a pu, nonobstant l'engagement pris par la société Tél and Com de consacrer près de 50 % de son activité à la société Bouygues Telecom, retenir que l'état de dépendance économique de la première à l'égard de la seconde ne procédait pas d'un choix délibéré de sa part.
25. Inopérant en sa quatrième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le cinquième moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, de ce pourvoi
Enoncé du moyen
26. La société Bouygues Telecom fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Bouygues Telecom soutenait que, dès 2011, la relation commerciale avec la société Tél and Com était devenue précaire dès lors, d'une part, que les CPD étaient, pour la première fois en 2011, conclues pour une durée déterminée sans clause de tacite reconduction et, d'autre part, que le 27 novembre 2012, la société Bouygues Telecom avait notifié à la société Tél and Com sa décision de ne pas reconduire les CPD à leur échéance au 31 décembre 2013, ce qui constituait des éléments de nature à remettre en cause la pérennité de la relation ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, qui était pourtant de nature à minorer la durée du préavis accordé à la société Tél and Com compte tenu de la précarisation de la relation commerciale depuis 2011, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Bouygues Telecom soutenait que la société Tél and Com étant une professionnelle aguerrie, elle était en mesure d'anticiper les effets de l'arrivée de la société Free Mobile sur le marché de la téléphonie et, plus particulièrement, sur le marché de la distribution, de sorte que l'évolution de sa relation commerciale avec la société Bouygues Telecom était prévisible ; qu'en se bornant à fixer à vingt-quatre mois pour chacun des contrats le préavis nécessaire pour la rupture de la relation commerciale, sans répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se bornant à fixer à vingt-quatre mois pour chacun des contrats le préavis nécessaire pour la rupture de la relation commerciale, sans examiner le courriel produit par la société Bouygues Telecom, en date du 24 avril 2013, que la société Tél and Com avait adressé à son franchisé, la société Comcentre, par lequel elle l'informait que la société Bouygues Telecom avait pris la décision de ne pas renouveler les contrats de distribution et de partenariat dont les échéances étaient au 31 décembre 2013, en soulignant avoir "évoqué ce risque avec toi à plusieurs reprises tant pour la société Orange que pour la société Bouygues Telecom, en insistant sur la probabilité élevée que cela puisse se produire", ce dont il résultait que la rupture de la relation commerciale avec la société Bouygues Telecom était prévisible pour la société Tél and Com, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
27. Ayant relevé qu'après avoir signé, en avril 2011, les CPD avec la société Tél and Com pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2013, la société Bouygues Telecom avait publié, en juillet 2011, un communiqué de presse informant le public du lancement d'une offre mobile souscrite sans intermédiaire et retenu que les lettres qu'elle avait adressées à la société Tél and Com à compter de juillet 2012 l'invitant à la prudence quant à l'ouverture de nouveaux points de vente au regard de l'évolution du marché, étaient en réalité concomitantes de la volonté de la société Bouygues Telecom de renégocier les contrats avec son partenaire, la cour d'appel, qui n'était tenue ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de s'expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a implicitement mais nécessairement répondu, en les rejetant, aux conclusions de la société Bouygues Telecom qui soutenait que la relation commerciale avec la société Tél and Com était devenue précaire dès 2011.
28. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° 23-16.526
Enoncé du moyen
29. La société Tél and Com fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre des primes de parc 2012 et 2013 pour une demande à hauteur de 8 600 000 euros, alors « que constitue un manquement au devoir de loyauté contractuelle, le fait, pour une partie de rendre plus difficile, voire impossible, l'accomplissement de la prestation de son partenaire ; qu'en l'espèce, pour exclure l'existence d'un lien de causalité entre l'absence de versement à la société Tél and Com de la prime de parc en raison d'une croissance annuelle de son parc net clients inférieure à 22 000 clients, seuil de déclenchement de la prime, et le lancement par la société Bouygues Telecom de l'offre à bas prix B&You, qu'elle a directement distribuée en excluant la société Tél and Com de cette offre, la cour d'appel a énoncé que l'argument de la société Tél and Com selon lequel "le recrutement des clients B&You s'est fait en grande partie sur la base des clients de Bouygues Telecom et par voie de conséquence sur le parc de Tél and Com" était sans lien avec la prime de parc susvisée, "dès lors que celle-ci ne concernait que les nouveaux clients Bouygues et non des renouvellements ou changements de forfaits de clients déjà abonnés chez Bouygues" ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si en excluant la société Tél and Com de la distribution de l'offre B&You qu'elle s'était initialement, réservée pour une distribution directe par internet, la société Bouygues Telecom n'avait pas rendu particulièrement difficile l'atteinte de l'objectif fixé, à savoir une croissance annuelle du parc net clients d'au moins 22 000 clients, dès lors que l'écart entre le parc actif de clients cannibalisé par l'offre B&You et ce seuil était tel qu'il imposait, en pratique, une croissance en nombre de clients nettement supérieure à 22 000 clients de façon à compenser la décroissance du parc actif de Tél and Com causée par l'exclusion de Tél and Com de l'offre B&You, et s'il n'en résultait pas une perte de chance de maintenir le parc actif de Tél and Com et de faire l'acquisition d'un nombre suffisant de nouveaux clients sur cette base, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
30. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi.
31. Pour écarter le moyen de la société Tél and Com selon lequel le recrutement des clients B&You s'était fait en grande partie sur la base des clients de Bouygues Telecom et, par voie de conséquence, sur le parc de clients de cette société, et rejeter la demande de la société Tél and Com en paiement d'une certaine somme au titre des primes de parc 2012 et 2013, l'arrêt retient qu'un tel moyen est sans lien avec la prime de parc dès lors que celle-ci ne concernait que les nouveaux clients Bouygues et non des renouvellements ou changements de forfaits de clients déjà abonnés de la société Bouygues Telecom.
32. En se déterminant ainsi, cependant qu'elle avait relevé que les CPD prévoyaient que le versement de la prime de parc était subordonné à une croissance annuelle du parc net clients de la société Tél and Com d'au minimum 22 000 clients, ce dont il se déduisait que le passage d'anciens clients d'une offre commercialisée par la société Tél and Com à l'offre B&You augmentait mécaniquement le nombre de nouveaux clients que la société Tél and Com devait gagner pour réaliser son objectif annuel de croissance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur ce moyen, pris en ses troisième, quatrième et sixième branches
Enoncé du moyen
33. La société Tél and Com fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si, en faisant le choix délibéré d'exclure la société Tél and Com de la distribution de son offre B&You, tout en maintenant l'exigence d'une croissance annuelle de son parc net clients d'au moins 22 000 clients, la société Bouygues Telecom, consciente du succès qu'emporterait cette offre à bas prix, souscrite à son seul profit par 1 634 000 clients entre juillet 2011 et septembre 2013, n'avait pas manqué à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi en plaçant sa cocontractante dans une situation qui, en dépit de performances commerciales en progression et d'investissements supplémentaires, rendait très difficile, voire impossible, la complétion des objectifs permettant le versement de la prime de parc, en la privant d'une offre destinée à rencontrer un grand succès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue du 10 février 2016 ;
4°/ que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'en l'espèce, la cour a énoncé que, dans un premier temps et à compter du mois de juillet 2011, la société Bouygues Telecom avait exclusivement distribué sa nouvelle offre B&You par internet, de sorte sa distribution n'ait pas été confiée à la société Tél and Com ; qu'elle a ensuite énoncé que l'offre B&You n'avait été distribuée en points de vente qu'à compter du mois de novembre 2014, soit postérieurement à la période des relations contractuelles entre la société Tél and Com et la société Bouygues Telecom, lesquelles ont pris fin le 31 décembre 2013 ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher si le motif invoqué par la société Bouygues Telecom pour priver la société Tél and Com de la distribution de l'offre B&You en points de vente n'avait en réalité aucune pertinence, puisque cette offre avait été ultérieurement distribuée en points de vente et si cela ne mettait pas en évidence un manquement de la société Bouygues Telecom à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°/ que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'en l'espèce, pour justifier le choix délibéré de la société Bouygues Telecom d'exclure la société Tél and Com de la distribution de l'offre B&You, la cour a énoncé que la société Tél and Com ne bénéficiait d'aucune exclusivité pour la distribution des offres commerciales de la société Bouygues Telecom ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dans le cadre d'une reconfiguration générale de l'offre en réponse à une évolution des souhaits d'une partie des clients potentiels sur le marché de la téléphonie mobile, l'offre B&You ne représentait pas, en termes d'acquisition de nouveaux clients et de limitation de la cannibalisation du parc actif de Tél and Com, une offre essentielle que la société Bouygues Telecom aurait dû permettre à la société Tél and Com de distribuer, sauf à manquer à son obligation de bonne foi contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
34. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi.
35. Pour rejeter la demande de la société Tél and Com de paiement d'une certaine somme au titre des primes de parc 2012 et 2013, l'arrêt retient que la société Tél and Com ne bénéficiait d'aucune exclusivité, que les offres commercialisées par cette société ont été maintenues pendant toute la période contractuelle et que ce n'est qu'après la rupture de la relation que la société Bouygues Telecom, qui a, dans un premier temps, commercialisé la nouvelle offre exclusivement par Internet, l'a également commercialisée dans le réseau de ses boutiques.
36. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la société Bouygues, en refusant de confier à la société Tél and Com, qui lui en faisait la demande, la commercialisation des offres B&You en arguant de leur nécessaire commercialisation en ligne, pour ensuite, après la rupture de la relation contractuelle avec la société Tél and Com, commercialiser elle-même ces offres en boutique, n'avait pas exécuté de mauvaise foi ses obligations, la cour d‘appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, du pourvoi n° 23-17.964
Enoncé du moyen
37. La société Bouygues Telecom fait le même grief à l'arrêt, alors « que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu'en retenant que les relations commerciales établies entre la société Bouygues Telecom et la société Tél and Com avaient duré environ 16 ans, au 31 décembre 2013, date de leur cessation, et que la relation ayant duré 16 années, la base du calcul du préavis pouvait être fixée à 16 mois, avant d'analyser les autres circonstances de la relation et de la rupture, la cour d'appel, qui, pour apprécier le caractère suffisant du préavis, a ainsi pris en compte la durée de la relation commerciale au moment de sa cessation et non au moment de la notification de la rupture, a violé l'article L. 442-6, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
38. La société Tél and Com fait valoir que ce moyen est irrecevable comme étant contraire aux écritures d'appel de la société Bouygues Telecom.
39. Cependant, la société Bouygues Telecom n'a pas soutenu, en cause d'appel, que la durée de la relation commerciale établie devait s'apprécier à la date d'expiration du préavis consenti par l'auteur de la rupture.
40. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
41. Il résulte de ce texte que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture.
42. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que les société Bouygues Telecom et Tél and Com se trouvaient en relation commerciale établie d'une durée de seize ans au 31 décembre 2013, date de leur cessation.
43. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui, pour déterminer la durée de la relation commerciale établie, laquelle est prise en compte pour le calcul du préavis dû, s'est placée, non à la date de la notification de la rupture, mais à la date de la cessation de cette relation, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne, dans son principe, la société Tél and Com à payer à la société Bouygues Telecom une somme au titre du remboursement des primes d'ouverture, la fixation du montant de ce remboursement étant réservé le temps de l'expertise, l'arrêt rendu le 31 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.