COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 46 F-D
Pourvoi n° U 22-13.974
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
La société Spie ICS, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 22-13.974 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [Y], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Mafip, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Société Française du radiotéléphone (SFR), société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Spie ICS, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Société Française du radiotéléphone, de la SCP Spinosi, avocat de M. [Y] et de la société Mafip, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2022) et les productions, par un contrat-cadre de référencement de sous-traitance (le contrat-cadre) conclu le 1er octobre 2010 et renouvelé le 24 juillet 2014 pour une durée de trois ans, la société Spie communications, devenue Spie ICS (la société Spie), a référencé comme sous-traitante la société Mafip en vue de lui confier, par des contrats dits « d'application », la sous-traitance de marchés de maintenance (les marchés principaux) dont la société Spie serait contractuellement chargée par des opérateurs de téléphonie. Elle lui a confié, à ce titre, par un contrat d'application, la sous-traitance du marché que lui avait attribué la société Société française du radiotéléphone (la société SFR).
2. Fin janvier 2015, la société SFR a notifié à la société Spie la résiliation de ce marché à l'issue d'un préavis prenant fin le 1er août 2015. Par courriel du 26 février 2015 puis par lettre du 3 mars suivant, la société Spie en a informé la société Mafip et l'a invitée, en raison « de la diminution significative des demandes d'intervention » de la société SFR, à « prendre des dispositions afin d'anticiper et de gérer au mieux cette phase de transition d'activité ». Par courriel du 10 mars 2015, elle lui a écrit qu'elle n'était pas en mesure de lui proposer d'autres activités.
3. Reprochant à la société Spie d'avoir unilatéralement résilié le contrat-cadre sans motif et avant le terme contractuellement fixé, la société Mafip et M. [Y], son gérant, l'ont assignée, ainsi que la société SFR, en réparation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Spie fait grief à l'arrêt de dire le contrat-cadre résilié à ses torts, de la condamner à payer à la société Mafip la somme de 813 572,80 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice et à M. [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, alors « qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que, pour dire que le contrat-cadre de référencement de sous-traitance avait été résilié aux torts de la société Spie, l'arrêt retient qu' "à la suite de la dénonciation de la perte du marché par la société SFR le [3] mars 2015, puis de la tentative de commandes de substitution entre les parties, la société Spie a déclaré à M. [Y] dans un courriel du 10 mars 2015 que ‘Comme évoqué lors de nos précédentes communications, je vous confirme l'effondrement du volume sur les activités qui vous sont confiées. Cette chute du volume entrant continue en mars et s'inscrit dans la nouvelle politique de notre client, le groupe Numéricable SFR. Aucun élément ne nous permet aujourd'hui de prévoir une reprise dans les mois à venir. Par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure de vous proposer d'autres activités pour compenser l'arrêt de nos prestations, ce malgré nos tentatives et divers échanges sur le sujet' " ; qu'en affirmant qu'il se déduisait de ce courriel "l'intention explicite et unilatérale de la société Spie de résilier dès le début du mois de mars 2015 le contrat avant le terme qui courait jusqu'au 24 juillet 2017", quand en résultait seulement l'annonce par la société Spie à son partenaire de l'absence de conclusion de futurs contrats d'application par suite de la fin du contrat principal entre la société Spie et la société SFR, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du courriel du 10 mars 2015 et violé le principe qui interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
6. Pour dire le contrat-cadre résilié aux torts de la société Spie et la condamner à payer à la société Mafip une certaine somme à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice et une autre à M. [Y] en réparation de son préjudice moral, l'arrêt, après avoir relevé que la société Spie a déclaré, dans son courriel du 10 mars 2015 : « Comme évoqué lors de nos précédentes communications, je vous confirme l'effondrement du volume sur les activités qui vous sont confiées. Cette chute du volume entrant continue en mars, et s'inscrit dans la nouvelle politique de notre client, le groupe Numericable SFR. Aucun élément nous permet aujourd'hui de prévoir une reprise dans les mois à venir. Par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure de vous proposer d'autres activités pour compenser l'arrêt de nos prestations, ce malgré nos tentatives et divers échanges sur le sujet », retient que ce courriel exprime l'intention explicite et unilatérale de la société Spie de résilier, dès le début du mois de mars 2015, le contrat-cadre avant le terme qui courait jusqu'au 24 juillet 2017.
7. En statuant ainsi, alors que, par son courriel du 10 mars 2015, la société Spie se bornait à annoncer à la société Mafip qu'elle n'était plus en mesure de lui sous-traiter des opérations de maintenance en exécution du contrat d'application portant sur le marché principal qu'elle avait conclu avec la société SFR, que cette dernière avait résilié, et qu'elle ne prévoyait pas de conclure prochainement de nouveaux contrats d'application avec la société Mafip, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce courriel et violé le principe susvisé.
Mise hors de cause
8. Les griefs du pourvoi n'attaquant que les chefs de dispositif concernant les relations entre les sociétés Spie et Mafip, la société SFR est mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
Met hors de cause la société Société française du radiotéléphone ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il a rejeté la responsabilité de la société Société française du radiotéléphone et condamné la société Mafip et M. [Y] à payer chacun la somme de 3 000 euros à la société Société française du radiotéléphone au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Mafip et M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mafip et M. [Y] et condamne la société Mafip à payer à la société Spie ICS la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.