CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 40 FS-B
Pourvoi n° Q 23-18.643
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
La société Etanchisol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-18.643 contre l'arrêt rendu le 29 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Capstone Carré Ivry, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Etanchisol, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Capstone Carré Ivry, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mars 2023), le 3 février 2015, la société Capstone Carré Mure, devenue la société Capstone Carré Ivry (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux situés au sein d'un parc d'activité donnés à bail à la société Etanchisol (la locataire), après lui avoir délivré le 26 novembre 2014 un commandement de payer des loyers et charges, l'a assignée en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.
2. Le 10 juillet 2015, la bailleresse a délivré un deuxième commandement de payer visant la clause résolutoire. Le 30 juillet 2015, la locataire a assigné la bailleresse en contestation de ce commandement.
3. Le 5 août 2016, la locataire a assigné la bailleresse en contestation du congé délivré sans offre de renouvellement le 29 juin 2016, et en paiement d'une indemnité d'éviction.
4. Les instances ont été jointes.
5. La locataire a demandé de voir réputer non écrite la clause d'indexation insérée au bail et de condamner la bailleresse à lui payer une certaine somme au titre du trop-perçu de loyers par l'effet de l'indexation, rétroactivement sur une période de cinq ans.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La locataire fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la bailleresse au paiement d'une certaine somme au titre de l'indu, alors « que lorsque la clause d'indexation est réputée non écrite, elle est considérée comme n'ayant jamais existé ; que le bailleur doit donc restituer toutes les augmentations de loyer résultant de l'application d'une clause d'indexation invalidée, dans la limite de la prescription quinquennale, la restitution des indexations illicites non prescrites devant nécessairement s'effectuer au regard du loyer initial et non du montant du dernier loyer illicitement indexé, sauf à permettre à une clause contraire à l'ordre public de direction de continuer à produire des effets ; qu'en énonçant, pour limiter le montant des restitutions dues à la société Etanchisol, que l'action en répétition de l'indu étant soumise à la prescription quinquennale, la créance de restitution ne pouvait être calculée que sur la base du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé les articles L. 145-15 et L. 145-37 et suivants code de commerce, ensemble, par fausse application, l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 145-15 du code de commerce :
7. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Selon le second, sont réputés non écrits, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le chapitre V ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54.
9. Il est jugé que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, publié ; 3e Civ., 16 novembre 2023, pourvoi n° 22-14.091, publié).
10. Le locataire à bail commercial qui a acquitté un loyer indexé en vertu d'une clause d'indexation ultérieurement réputée non écrite peut agir en paiement des sommes indûment versées dans les cinq ans précédant sa demande en justice.
11. Dès lors qu'une stipulation réputée non écrite est censée n'avoir jamais existé, la créance de restitution de l'indu doit être calculée sur la base du montant du loyer qui aurait été dû à défaut d'application d'une telle stipulation.
12. Pour limiter le montant de l'indu à une certaine somme, l'arrêt, après avoir réputé non écrite la clause d'indexation, et énoncé que la demande en restitution des sommes indûment versées en vertu d'une clause censée n'avoir jamais existé est une action en répétition de l'indu, soumise à la prescription quinquennale de droit commun, en déduit que la créance de restitution ne peut être calculée sur la base du loyer initial mais doit l'être sur celle du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de production des justificatifs des appels de charges, de la condamner à payer une certaine somme au titre des charges locatives impayées, de dire acquise la clause résolutoire insérée au bail et de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction, alors « qu'à supposer que la cour d'appel ait justifié sa décision en énonçant, pour dire mal fondée la demande de productions de la société Etanchisol et la condamner au paiement des charges réclamées, que les décisions de gestion d'une SCPI relèvent de la seule société gestionnaire, laquelle a justifié les dépenses engagées, ce motif entre alors en contradiction avec celui par lequel elle avait précédemment relevé que le rejet de la demande de production de justificatifs financiers par les premiers juges ne permettait pas au preneur de procéder aux vérifications légitimes de l'exigibilité des charges qui lui étaient facturées ; que la cour d'appel a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les
motifs équivaut à un défaut de motifs.
16. Pour condamner la locataire au paiement des charges locatives, l'arrêt retient, d'abord, que si la locataire n'a pas pu procéder aux vérifications légitimes de l'exigibilité des charges qui lui étaient facturées, sa demande de production de justificatifs financiers doit être rejetée en raison de sa formulation trop générale, puis que la société gestionnaire du centre commercial a justifié des dépenses engagées.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la bailleresse au paiement de la somme de 128,84 euros hors taxes, rejetant la demande de production par la bailleresse des justificatifs des appels de charges, condamnant la locataire à payer à cette dernière la somme de 75 276,60 euros au titre des charges locatives impayées, disant acquise la clause résolutoire insérée au bail et rejetant sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la locataire au paiement d'une indemnité contractuelle de retard, au paiement de la somme de 16 221,67 euros et rejetant sa demande en restitution du dépôt de garantie, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Capstone Carré Ivry au titre des frais de remise en état des locaux loués, l'arrêt rendu le 29 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Capstone Carré Ivry aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Capstone Carré Ivry à payer à la société Etanchisol la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt-cinq.