CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 42 FS-B
Pourvoi n° N 23-12.385
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
1°/ M. [H] [S], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [I] [S], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [W] [S], domiciliée [Adresse 5],
4°/ Mme [Z] [S], domiciliée [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° N 23-12.385 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant à M. [D] [A], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [H] [S] et de Mmes [I], [W] et [Z] [S], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [A], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 6 décembre 2022), le 31 décembre 1983, [L] [J] et son époux ont consenti à leur fils, M. [A], et à leur fille, [N] [X], une donation-partage leur attribuant la propriété d'une maison chacun, contiguë l'une de l'autre.
2. M. [H] [S] et Mmes [I], [W] et [Z] [S] (les consorts [S]), venant aux droits de [N] [X], ont assigné M. [A] en revendication de la copropriété indivise du sas d'entrée de sa maison, situé côté rue, permettant d'accéder à leur bien immobilier, ainsi que d'un escalier intérieur conduisant au jardin, subsidiairement, en reconnaissance de l'existence d'une servitude par destination du père de famille, issue de la division d'un seul fonds, et en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Les consorts [S] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille et en paiement d'indemnité d'occupation, alors « qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que l'unité préalable de la propriété s'entend, non au sens matériel, mais au sens juridique ; qu'en considérant que l'acte de donation-partage dressé le 31 décembre 1983 ne peut être considéré comme l'acte visé par l'article 694 du code civil puisqu'il n'est pas l'acte procédant à la première séparation des deux fonds, M. [D] [A] prouvant que les fonds ont été divisés au moins une autre fois lors du décès de Mme [T] [B] survenu le 21 novembre 1928 et que, par suite, les consorts [S] ne peuvent pas démontrer que l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages ne contient aucune disposition contraire à l'existence de la servitude invoquée, quand il n'était pas contesté aux débats qu'après avoir été divisée au décès de Mme [T] [B], la propriété des maisons litigieuses avait retrouvé son unité en la personne de M. [V] [O] après le rachat par celui-ci de la part d'héritage de ses soeurs et qu'elle avait été transférée comme telle à Mme [L] [J], qui avait ensuite procédé à sa division par acte de donation-partage du 31 décembre 1983, la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 693 et 694 du code civil :
5. Aux termes du premier de ces textes, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.
6. Selon le second, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
7. Les conditions d'existence d'une servitude par destination du père de famille doivent s'apprécier au jour de la division des fonds concernés, y compris lorsque les deux fonds, après avoir été réunis, font l'objet d'une nouvelle division.
8. Pour rejeter les demandes des consorts [S], l'arrêt retient que l'acte de donation-partage du 31 décembre 1983 ne peut être considéré comme l'acte ayant procédé à la première séparation des deux fonds puisque ceux-ci avaient déjà été divisés auparavant lors du décès de [T] [B] en 1928 et que, dès lors, les consorts [S] ne prouvent pas que l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages ne contient aucune disposition contraire à l'existence de la servitude invoquée.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les fonds avaient été réunis, préalablement à la donation-partage de 1983, dans les mains d'un même propriétaire, de sorte qu'il lui revenait d'apprécier l'existence d'une stipulation contraire au maintien d'une servitude au regard de ce seul dernier acte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Les consorts [S] font le même grief à l'arrêt, alors « que la création d'une servitude par destination du père de famille n'est pas exclue par un autre aménagement qui existe ou aurait existé au profit du fonds dominant ; qu'en considérant que M. [D] [A] apportait la preuve de l'existence sur la façade de la maison située au n° 4 appartenant aux consorts [S] d'une ouverture indépendante donnant sur la rue, motifs impropres à exclure la création de la servitude par destination du père de famille invoquée par les consorts [S], la cour d'appel a violé l'article 692 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 692, 693 et 694 du code civil :
11. Aux termes du premier de ces textes, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes.
12. Aux termes du deuxième, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.
13. Selon le troisième, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
14. Pour rejeter les demandes des consorts [S], l'arrêt retient qu'il résulte d'un avis technique produit par M. [A] qu'il existait par le passé sur la façade de la maison appartenant aux consorts [S], au lieu et place d'une fenêtre, une autre ouverture donnant sur la rue, indépendante de la servitude revendiquée.
15. En se déterminant ainsi, sans préciser la date de la disparition de l'ouverture dont elle retenait l'existence et sans caractériser en quoi la présence d'une porte dans le bâtiment aurait exclu tout signe apparent de la servitude par destination du père de famille invoquée, au moment de la division du fonds par un propriétaire unique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [H] [S] et Mmes [I], [W] et [Z] [S] de leurs demandes aux fins de reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille et en paiement d'une indemnité d'occupation et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [A] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [A] et le condamne à payer à M. [H] [S] et Mmes [I], [W] et [Z] [S] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt-cinq.