COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 28 F-D
Pourvoi n° X 23-18.328
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025
La société Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique, société coopérative de banque, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 23-18.328 contre l'arrêt rendu le 9 mai 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [X] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [Z], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 mai 2023), par un acte du 1er avril 2017, M. [Z], armateur, a conclu avec la société Avizo Pro Marine un contrat de construction d'un navire, pour un prix de 950 000 euros.
2. M. [Z] s'est opposé au paiement de deux factures établies par la société Avizo Pro Marine le 19 septembre 2018 et le 19 octobre 2018, d'un montant respectif de 166 361 euros et 140 211 euros, au motif que le prix convenu pour le marché de construction à forfait était dépassé.
3. Le 24 octobre 2018, le président du tribunal de commerce a autorisé la société Avizo Pro Marine à faire procéder à la saisie conservatoire du navire, pour sûreté et conservation d'une créance évaluée à la somme principale de 284 795,06 euros.
4. Le 11 décembre 2018, l'avocat de M. [Z] a demandé par courriel à la société Banque populaire Aquitaine centre Atlantique (la banque) d'établir en sa faveur un cautionnement bancaire irrévocable afin d'obtenir la mainlevée de la saisie conservatoire du navire.
5. Le 9 janvier 2019, la banque a adressé à M. [Z] un document intitulé « garantie à première demande ».
6. Par ordonnance du 4 février 2019, le président du tribunal de commerce a constaté la constitution d'une garantie de caution bancaire irrévocable de la part de la banque du 9 janvier 2019 et a, en conséquence, accordé la mainlevée de la saisie conservatoire.
7. Le 23 novembre 2018, la société Avizo Pro Marine a assigné M. [Z] en paiement de la somme de 284 795,06 euros, au titre des deux factures émises à l'occasion de la construction du navire.
8. Par lettre du 3 octobre 2019, la banque a informé M. [Z] qu'à la suite de l'appel en paiement qui lui avait été adressé, elle avait dû procéder au règlement de la somme de 284 795,06 euros entre les mains de la société Avizo Pro Marine, conformément à la « garantie à première demande ».
9. Le 18 décembre 2019, la banque a obtenu le remboursement de cette somme en opérant un débit de même montant sur le contrat d'assurance-vie ouvert au nom de M. [Z], et pour lequel ce dernier lui avait consenti une délégation de paiement.
10. Par un jugement du 7 février 2020, le tribunal de commerce a condamné la société Avizo Pro Marine à payer à M. [Z] la somme de 284 795 euros, outre celle de 300 000 euros à titre d'indemnités de retard. La société Avizo Pro Marine a relevé appel de ce jugement.
11. Le 17 janvier 2020, M. [Z] a assigné la banque en paiement de la somme de 284 795,06 euros, en soutenant que cet établissement avait commis une faute engageant sa responsabilité, dans les conditions de mise en uvre et d'exécution de la garantie.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
13. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à M. [Z] la somme de 284 795,06 euros au titre des dommages et intérêts et de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que contrairement au garant autonome, qui contracte une dette propre, la caution s'engage à se substituer au débiteur dans l'exécution de l'obligation de ce dernier, s'il n'y satisfait pas lui-même ; qu'ainsi, constitue une garantie autonome l'acte par lequel un garant s'oblige seulement à payer à un tiers un montant défini en précisant que son engagement exclut toute obligation pour lui de se substituer au débiteur pour l'exécution de ses prestations ; qu'en jugeant que l'acte du 9 janvier 2019 constituait un cautionnement, et non une garantie autonome, car la banque garante s'était obligée à honorer l'obligation même du débiteur, après avoir pourtant relevé que cet acte affirmait que l'engagement de la banque était purement financier et qu'il précisait exclure toute obligation pour elle de se substituer au débiteur, M. [Z], pour l'exécution de ses prestations, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article 2321 du code civil, ensemble l'article 2288 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 15 septembre 2021 ;
2°/ que contrairement au garant autonome, qui contracte une dette propre, la caution s'engage à se substituer au débiteur dans l'exécution de l'obligation de ce dernier, s'il n'y satisfait pas lui-même ; qu'ainsi, constitue une garantie autonome l'acte par lequel un garant s'oblige seulement à payer à un tiers un montant défini en précisant que son engagement exclut toute obligation pour lui de se substituer au débiteur pour l'exécution de ses prestations ; que pour juger que l'acte du 9 janvier 2019 constituait un cautionnement et non une garantie autonome, la cour d'appel a relevé qu'il ne faisait pas référence à l'article 2321 du code civil et qu'il n'y était pas mentionné que la banque garante renonçât à faire valoir aucune objection ou exception ou d'autres circonstances tenant à l'obligation principale, écartant la rédaction qui avait proposée initialement par le conseil de M. [Z], débiteur ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que l'acte du 9 janvier 2019 affirmait la nature purement financière de l'engagement et précisait exclure toute obligation pour la banque garante de se substituer au débiteur, ce qui suffisait à exclure la qualification de cautionnement et à retenir celle de garantie autonome, la cour d'appel a violé l'article 2321 du code civil, ensemble l'article 2288 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 15 septembre 2021 ;
3°/ qu'une garantie n'est pas privée d'autonomie par de simples références à l'obligation de base ; que pour retenir que l'acte du 9 janvier 2019 constituait un cautionnement et non une garantie autonome, la cour d'appel a relevé que la banque s'y engageait à payer en qualité de garant du débiteur principal un montant de 284 795,06 euros correspondant exactement au montant de la créance évaluée par le président du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon, ayant donné lieu à la saisie conservatoire du navire à laquelle il est fait expressément référence ; qu'elle en a déduit que la banque s'était engagée à honorer l'obligation du débiteur sur demande du bénéficiaire ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une simple référence faite par l'acte du 9 janvier 2019 à l'obligation de base pour en déduire que cet acte constituait un cautionnement, a violé l'article 2321 du code civil, ensemble l'article 2288 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 15 septembre 2021. »
Réponse de la Cour
14. L'arrêt relève qu'aux termes de l'acte litigieux, la banque déclare se porter garant du débiteur principal (M. [X] [Z]) vis-à-vis du bénéficiaire (la SAS Avizo Pro Marine) pour un montant maximum de 284 795,06 euros en principal, intérêts, frais et accessoires compris pour garantir le paiement de cette somme conformément à l'ordonnance sur requête aux fins de saisie conservatoire de navires rendue par le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon le 23 octobre 2018.
15. L'arrêt ajoute que, dans l'acte, la banque n'a nullement renoncé à faire valoir d'objection ou exception, ou d'autre circonstance tenant à l'obligation principale, et a ainsi écarté la rédaction qui avait été proposée initialement par le conseil de M. [Z], selon laquelle : « la BPACA s'engage irrévocablement à payer à première demande écrite du bénéficiaire tout le montant par application des dispositions de l'article 2321 du Code civil (...) En conséquence la BPACA ne pourra opposer à la demande de paiement du bénéficiaire aucune exception tenant au contrat principal ».
16. Ayant déduit de ces constatations et appréciations que la banque s'était engagée à honorer, sur demande du bénéficiaire, l'obligation même du débiteur, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur la seule référence au contrat de base, a exactement retenu que l'engagement de la banque constituait un cautionnement.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
18. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge doit ordonner la réparation du préjudice subi sans perte ni profit pour la victime ; qu'au cas présent, pour condamner la banque à payer à M. [Z] une indemnité d'un montant de 284 795,06 euros, la cour d'appel a constaté qu'elle avait, en vertu d'un acte de cautionnement du 9 janvier 2019, payé à la société Avizo Pro Marine une somme de 284 795,06 euros et, qu'exerçant son recours après paiement contre M. [Z], débiteur, elle avait débité ce montant du contrat d'assurance-vie de ce dernier ; qu'elle a jugé que la banque avait commis une faute en exécutant son engagement sans en avertir le débiteur en l'absence d'une créance exigible de la société Avizo Pro Marine et qu'en conséquence, elle était déchue de son recours après paiement en vertu de l'ancien article 2308, alinéa 2, du code civil, et qu'en exerçant ce recours par le débit susmentionné, elle avait commis une faute ayant causé à M. [Z] un préjudice à hauteur de 284 795,06 euros ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que, par jugement du 7 février 2020, la société Avizo Pro Marine avait été condamnée à payer à M. [Z] une somme de 284 795,06 euros au titre de la répétition de l'indu, ce dont il s'évinçait que le jugement du 7 février 2020 ne laissait subsister aucun préjudice en capital du chef de la perte de cette somme, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
19. Après avoir relevé que, dès lors que l'acte qui lui était opposé constituait un cautionnement et non une garantie à première demande, la banque avait commis une faute en payant la somme de 284 795,06 euros à la société Avizo Pro Marine, sans en aviser au préalable M. [Z] conformément à l'article 2308, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction applicable, tandis que cette dernière ne disposait d'aucune créance exigible, en l'absence de tout jugement exécutoire prononcé à l'encontre de M. [Z], ce que ce dernier lui aurait immédiatement signalé s'il en avait été informé, puis en mettant en uvre la délégation de créance signée à son profit bien qu'ayant perdu son recours contre M. [Z], l'arrêt retient que le jugement du 7 février 2020 n'est pas passé en force de chose jugée puisqu'il a été frappé d'appel, ce dont il résulte que M. [Z] n'a pas obtenu réparation de son préjudice par le seul prononcé de ce jugement.
20. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu en déduire que la faute commise par la banque avait causé à M. [Z] un préjudice égal à la somme qu'elle avait prélevée sur son assurance-vie.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.