COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 33 F-D
Pourvoi n° Z 23-15.248
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025
M. [I] [N], domicilié [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Z 23-15.248 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (chambre commerciale internationale, pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Equitis gestion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
2°/ à la société Trimax developpement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société OCM Luxembourg ECS Retail France, société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 4] (Luxembourg),
4°/ à la société [Adresse 2]-17 SPF, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg),
5°/ à la société Oaktree France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
6°/ à la société Du Beau voir, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7],
7°/ à la société Trimax, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 1] (Luxembourg),
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. [N], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société OCM Luxembourg ECS Retail France, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris,13 avril 2023), le 30 juillet 2019, la société Trimax développement, filiale de la société Trimax, laquelle est détenue à concurrence de 95 % par M. [N], son dirigeant, et à concurrence de 5 % par la société [Adresse 2]-17 SPF (la société Roosevelt), a émis des obligations avec bon de souscription d'actions (OBSA) et, à cette fin, a conclu un contrat de souscription de ces obligations avec la société OCM Luxembourg ECS Retails France (la société OCM), préalablement constituée par la société de droit californien Oaktree Capital.
2. Le 2 août 2019, M. [N] a conclu, à titre personnel, un contrat de gage portant sur ses titres de la société Trimax en garantie du remboursement de l'emprunt obligataire.
3. Le même jour, la société Trimax a constitué une fiducie-sûreté portant sur l'intégralité du capital de la société Trimax développement, la société Equitis Gestion étant désignée comme fiduciaire.
4. Le 7 août 2019, la société Du Beau Voir, autre filiale de la société Trimax, a consenti à la société OCM des nantissements de parts sociales, de comptes bancaires et de créances.
5. Le 17 janvier 2022, de nouveaux administrateurs de la société Trimax ont été désignés par la société OCM à la place des anciens, dont M. [N], qui a été révoqué de tous ses mandats.
6. Le 27 janvier 2022, la société Equitis Gestion a révoqué M. [N] de ses fonctions de président de la société Trimax développement.
7. Soutenant que le contrat de souscription des OBSA avait été conclu irrégulièrement, M. [N] et la société Roosevelt ont assigné les sociétés OCM et Equitis Gestion, Trimax et Oaktree France en nullité de l'émission des obligations et par voie de conséquence en nullité des contrats de sûretés consenties et des décisions de révocation et de nomination consécutives à l'exercice de ces garanties.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
9. M. [N] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable à intenter l'action en nullité de l'émission et du contrat de souscription des obligations pour défaut d'intérêt à agir et de rejeter ses demandes subséquentes et au titre de l'action ut singuli, alors :
« 1°/ que la recevabilité d'une action tendant à la dénonciation d'une nullité absolue n'est pas subordonnée à la démonstration d'un intérêt qui serait personnel et direct, né et actuel, mais uniquement d'un intérêt légitime ; qu'ainsi, le champ des personnes recevables à agir peut englober des parties qui ne sont pas directement victimes de la nullité absolue en cause mais qui ont néanmoins un intérêt légitime à la voir être sanctionnée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré que "le caractère absolu de la nullité revendiquée n'est pas exclusif de la démonstration, pour celui qui agit, d'un intérêt personnel et direct, né et actuel", s'attachant ensuite à établir l'absence de caractère suffisamment "personnel et direct" et "né et actuel" de l'intérêt de l'actionnaire principal du groupe Trimax et constituant de multiples sûretés, M. [N] ; qu'en statuant ainsi, cependant que la caractérisation d'un intérêt légitime suffisait à établir la recevabilité de l'action en nullité absolue du contrat d'émission des OBSA et de ses composantes, la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile ;
2°/ que l'intérêt à agir d'une partie à l'instance doit s'apprécier dans le respect des termes des prétentions de ladite partie, sans que ladite partie doive établir l'intérêt isolé et immédiat, pour elle, de chacun des chefs de dispositif composant sa demande ; qu'il importe dès lors peu que la partie en cause ait un intérêt légitime à agir en nullité d'un acte juridique accessoire et un intérêt uniquement "intermédiaire" à agir en nullité d'un acte juridique principal ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré qu'elle devrait apprécier l'intérêt à agir de M. [N] par référence à sa demande principale, relevant seule de la compétence du for français, sans pouvoir intégrer à l'analyse les conséquences en chaîne d'une annulation, demandée à titre principal, de l'émission d'OBSA : "Cet intérêt doit s'apprécier au regard de l'action en nullité des obligations émises par la société Trimax développement, qui constitue leur demande principale, et non par rapport au sort des sûretés associées qui en seraient la conséquence et dont, au surplus, une partie échappe à la compétence de la juridiction française au profit de la juridiction luxembourgeoise", "[
] aucun des demandeurs ne justifie d'un intérêt direct et actuel à l'annulation du contrat d'émission des OBSA conclu par la société Trimax développement" ; qu'en statuant ainsi, cependant que le juge de l'intérêt doit accepter que la demande qu'il est appelée à trancher compétemment puisse être une demande intermédiaire dont l'objet utile ultime est une autre demande d'annulation, d'un acte accessoire, à présenter devant un autre for, de sorte que la reconnaissance de ce que "la nullité de l'émission et du contrat de souscription des OBSA est susceptible d'avoir des conséquences sur les garanties souscrites" suffisait à établir l'intérêt légitime à agir des demandeurs, la cour d'appel a violé les articles 4, 5, 31, 32 et 122 du code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le constituant d'une sûreté a un intérêt direct et personnel, né et actuel à voir annuler la dette garantie afin, d'abord, de ne pas s'exposer à la mise en uvre de la sûreté, laquelle peut impliquer une dépossession, ensuite, de ne pas avoir à couvrir plus que les restitutions, et notamment pas les intérêts contractuels ; qu'au cas présent, la cour d'appel, limitant l'intérêt potentiel d'une annulation de l'émission des OBSA à une dispense de prise en charge par les garants et autres constituants de sûretés des intérêts contractuels, cependant qu'il est constant que lesdites sûretés ont été mises en uvre, le fonds prêteur ayant en particulier obtenu la prise de contrôle des principales entités du groupe Trimax ainsi que la révocation de ses dirigeants, a retenu que cet intérêt ne serait pas né et actuel en l'absence de prononcé de la déchéance du terme par le fonds souscripteur des OBSA : "En outre, dans la mesure où aucune demande en remboursement anticipé des sommes prêtées au titre du financement n'a été mise en uvre à ce jour par la société OCM Luxembourg, l'intérêt revendiqué par M. [N] et la société Du Beau Voir en tant que garants de l'emprunt obligataire, de voir diminuer le montant de la dette pour n'avoir à payer in fine que le principal sans les intérêts, est hypothétique et l'initiative de cette action prématurée. En quoi leur intérêt n'est pas né et actuel" ; qu'en statuant ainsi, cependant que les constituants des sûretés avaient un intérêt évident à faire pièce à une mise en uvre effective, d'ores et déjà réalisée, de sûretés, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant afférent à l'absence de prononcé d'une déchéance du terme, a violé les articles 4, 5, 31, 32 et 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. En premier lieu, il résulte de la combinaison des articles 1180 du code civil et 31 du code de procédure civile que le caractère absolu d'une nullité ne dispense pas le demandeur de justifier d'un intérêt personnel et direct, né et actuel.
11. En second lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a estimé que M. [N] ne justifiait pas d'un intérêt personnel et direct, né et actuel à l'annulation du contrat d'émission des obligations émises par la société Trimax développement.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et le condamne à payer à la société OCM Luxembourg ECS Retails France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.