COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 25 F-D
Pourvoi n° W 22-24.648
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025
M. [G] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 22-24.648 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (CRCAM), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [P], de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 octobre 2022), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) a consenti à la société Cash bassin de Thau (la société) un prêt, garanti par le cautionnement solidaire de M. [P] donné par un acte du 28 avril 2011.
2. La société ayant été mise en redressement judiciaire, la banque a assigné la caution en paiement.
Examen des moyens
Sur deuxième moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [P] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque les sommes de 154 274,78 euros, outre intérêts au taux contractuel de 3,9 % à compter du 3 octobre 2017 et jusqu'à complet paiement, et de 9 414 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2014 et jusqu'à complet paiement, alors « que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée, le juge vérifie l'écrit contesté dont il tient compte pour statuer, en se fondant sur l'original ; qu'en l'espèce, M. [P], dont l'exécution de l'engagement de caution était recherchée par la Caisse régionale de Crédit agricole, invoquait des moyens sérieux pour contester l'authenticité de la signature qui lui était attribuée, figurant sur la fiche de renseignement communiquée par l'établissement bancaire, notamment en produisant aux débats de nombreux documents de comparaison établissant que sa signature était différente ; qu'en présence de cette contestation sérieuse de l'authenticité de la signature figurant sur la fiche de renseignement, il revenait à la cour d'appel de procéder à une vérification d'écriture au vu de l'original de l'écrit contesté, c'est-à-dire de la fiche de renseignement ; que pourtant, la cour d'appel s'est bornée à affirmer qu' "au vu de la signature figurant au bas de l'acte de cautionnement (pièce n° 2 - [P]), de la fiche de renseignement et des documents de comparaison (pièces n° 3 et 4 – [P]), (
) la signature de M. [P] est similaire et qu'il n'est donc pas établi que la signature contestée a été imitée" ; qu'en se référant ainsi à la copie de la fiche de renseignement, tandis que la vérification d'écriture ne peut être faite qu'au vu de l'original, la cour d'appel a violé l'article 1324 du code civil dans sa rédaction applicable antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1373 du même code, ensemble les articles 287 et 288 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir que, dans ses conclusions d'appel, M. [P] a indiqué qu'il appartenait au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il disposait, après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tout document utile et qu'il n'a soutenu, ni que la fiche de renseignements produite devant la cour d'appel ne constituait pas un original, ni que cette fiche de renseignements pourrait ne pas être conforme à l'original, ni que la vérification d'écriture qu'il sollicitait ne pouvait être valablement effectuée au vu de cette même fiche. La banque en déduit que le moyen, qui est contraire aux écritures d'appel de M. [P] et qui, nouveau, est mélangé de fait et de droit, est irrecevable.
6. Cependant, le moyen est de pur droit.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 287 et 288 du code de procédure civile :
8. Il résulte de ces textes que la vérification d'écriture doit être faite au vu de l'original de l'écrit contesté.
9. Pour dire que la signature sur la « fiche de renseignement caution » versée aux débats par la banque est celle la caution, l'arrêt retient qu'au vu des pièces soumises à l'examen de la cour d'appel, il a lieu de constater, au vu de la signature figurant au bas de l'acte de cautionnement (Pièce n° 2 - [P]), de la fiche de renseignement et des documents de comparaison (Pièces n° 3 et 4 - [P]), que la signature de ce dernier est similaire et qu'il n'est donc pas établi que la signature contestée a été imitée.
10. En statuant ainsi, au vu de pièces produites par la caution, qui ne pouvait détenir la fiche de renseignements qu'en copie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
11. M. [P] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les établissements de crédit ayant accordé à une entreprise un concours financier sont tenus de fournir annuellement à la caution les informations relatives au montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir, au plus tard avant le 31 mars de chaque année dès lors que la dette existait au 31 décembre, et ce jusqu'à l'extinction de la dette, à peine de déchéance du droit au paiement des intérêts de retard échus entre la date à laquelle l'information était due et celle à laquelle elle a été délivrée ; qu'en l'espèce, M. [P] soulignait que la Caisse de Crédit agricole ne l'avait pas "informé annuellement (
) de l'encours dudit prêt", ce dont il résultait que l'établissement bancaire devait être déchu de son droit à percevoir les intérêts normalement dus par la caution, sauf preuve contraire de l'envoi, avant les 31 mars de chaque année, de la dette existant au 31 décembre précédent ; que pourtant, pour juger que la Caisse de Crédit agricole n'était pas déchue de son droit à percevoir les intérêts échus jusqu'à l'extinction de la dette, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que "M. [P] n'ayant jamais contesté le montant des sommes dues, il sera constaté que les créances dues tant en capital qu'en intérêts ont été admises au passif" ; qu'en statuant ainsi, quand la seule inscription d'une créance au passif de la procédure collective du débiteur cautionné était impropre à établir le respect par l'établissement prêteur de son obligation d'informer la caution, avant le 31 mars de chaque année, du quantum de la dette cautionnée au 31 décembre précédent, la cour d'appel a violé l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ;
2°/ que les établissements de crédit ayant accordé à une entreprise un concours financier sont tenus d'aviser la caution du premier incident de paiement du débiteur principal non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance du droit au paiement des intérêts de retard échus entre la date à laquelle l'information était due et celle à laquelle elle a été délivrée ; qu'en l'espèce, M. [P] soulignait que la Caisse de Crédit agricole ne l'avait pas informé "du premier incident de paiement survenu le 15 août 2014", ce dont il résultait que l'établissement bancaire devait être déchu de son droit à percevoir les intérêts normalement dus par la caution, sauf preuve contraire de l'information de M. [P] sur la première défaillance de la société Cash ; que pourtant, pour juger que la Caisse de Crédit agricole n'était pas déchue de son droit à percevoir les intérêts échus jusqu'à l'extinction de la dette, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que "M. [P] n'ayant jamais contesté le montant des sommes dues, il sera constaté que les créances dues tant en capital qu'en intérêts ont été admises au passif" ; qu'en statuant ainsi, quand la seule inscription d'une créance au passif de la procédure collective du débiteur cautionné était impropre à établir que M. [P] avait été informé en temps utile de la première défaillance non régularisée de la société Cash, la cour d'appel a violé L. 313-9 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, alors applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et les articles L. 313-22 du code monétaire et financier et L. 341-1 du code de la consommation, ces deux derniers alors applicables :
12. Aux termes du premier de ces textes, la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ; Mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.
13. Selon le second, les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d'accomplissement de la formalité d'information de la caution emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
14. Aux termes du troisième, sans préjudice des dispositions particulières, toute personne physique qui s'est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement. Si le créancier ne se conforme pas à cette obligation, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retards échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée.
15. Pour rejeter les demandes de la caution au titre de manquements de la banque à ses obligations d'information, l'arrêt retient que, M. [P] n'ayant jamais contesté le montant des sommes dues, il sera constaté que les créances dues tant en capital qu'en intérêts ont été admises au passif.
16. En statuant ainsi, alors que la décision d'admission de la créance, même passée en force de chose jugée, n'interdit pas à la caution d'invoquer l'exception personnelle tirée de l'inobservation par l'établissement de crédit des obligations dont il est tenu à son égard, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [P] à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc les sommes de 154 274,78 euros, outre intérêts au taux contractuel de 3,9 % à compter du 3 octobre 2017 et jusqu'à complet paiement, et de 9 414 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2014 et jusqu'à complet paiement, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 26 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.