COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 38 F-B
Pourvoi n° V 22-23.957
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025
1°/ Madame la directrice générale des douanes et droits indirects, domiciliée [Adresse 1],
2°/ le directeur régional des douanes et droits indirects du [Localité 4], domicilié [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° V 22-23.957 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société Lama France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La société Lama France, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui son recours un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Madame la directrice générale des douanes et droits indirects et du directeur régional des douanes et droits indirects du [Localité 4], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Lama France, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 8 septembre 2022) et les productions, la société Lama France, qui a pour activité la distribution de cartouches d'encre pour imprimantes, a importé occasionnellement, en 2011 et 2012, des feuilles de papiers photographiques destinées à des impressions sur imprimantes domestiques, en provenance de la République populaire de Chine, le dédouanement de ces marchandises ayant été effectué par la société Dimotrans, commissionnaire agréé en douane, selon le mode de représentation directe.
2. Entre le 25 juillet 2011 et le 4 juillet 2012, huit déclarations ont été souscrites pour l'importation de papiers photographiques, déclarés aux positions tarifaires 48 11 51 00 00 et 48 10 14 80 80 pour le papier importé en 2011, et 48 10 14 00 80 pour le papier importé en 2012, ces positions tarifaires étant exemptées de droits antidumping et de droits compensateurs.
3. A la suite d'un contrôle réalisé en 2012, l'administration des douanes a contesté la position tarifaire retenue, considérant que les papiers photographiques importés auraient dû être déclarés sous la position tarifaire 48 10 14 00 20 du tarif douanier, soumise, à l'époque des dédouanements litigieux, à des droits antidumping de 27,1 % et à des droits compensateurs d'un montant de 12 %.
4. L'administration des douanes a ensuite adressé à la société Lama, le 18 septembre 2012, un avis de mise en recouvrement (AMR) n° 962/12/283 d'un montant de 46 239 euros, le 20 septembre 2012, un AMR n° 962/12/287 d'un montant de 1 741 euros, et le 10 avril 2013, un AMR n° 962/12/28 d'un montant de 27 733 euros. En parallèle, les 18 et 20 septembre 2012, l'administration des douanes a notifié deux AMR à la société Dimotrans pour les montants respectifs de 46 239 euros et de 1 741 euros.
5. Après rejet par l'administration des douanes, le 12 mars 2015, de leurs contestations, les sociétés Dimotrans et Lama ont saisi un tribunal aux fins de voir annuler cette décision de rejet et les redressements en découlant.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'administration des douanes fait grief à l'arrêt d'annuler l'AMR émis à l'encontre de la société Lama France le 10 avril 2013 et la décision de rejet du 12 mars 2015, en ce qu'elle rejetait la contestation de cet AMR du 10 avril 2013 et de condamner l'Etat français à rembourser à la société Lama France la somme de 27 733 euros, alors « qu'en relevant, pour annuler l'avis de mise en recouvrement émis le 10 avril 2013 à l'encontre de la société Lama France, que l'administration des douanes ne justifiait pas que le contrôle a posteriori qu'elle avait réalisé démontrait que les articles importés sous le code importateur "8978" avaient fait l'objet d'une fausse déclaration, aux motifs que les tests réalisés n'avaient porté que sur des échantillons de marchandises référencées "8975", "2812", "8979", "2820", "2797", "2803", "8908" et "2814" et que la lettre du 11 avril 2012 de la société Dimotrans produite par l'administration des douanes n'était pas suffisante pour rapporter la preuve de la représentativité des échantillons au regard des marchandises mentionnées dans les déclarations d'importation visées par l'avis de mise en recouvrement du 10 avril 2013, sans rechercher s'il ne résultait pas des constatations matérielles des agents douaniers ayant établi le procès-verbal de notification d'infraction du 29 mars 2013 sur le fondement duquel l'avis de mise en recouvrement du 10 avril 2013 a été émis, qui valaient jusqu'à inscription de faux, que les articles importés sous le code importateur "8978" faisaient partie des marchandises ayant fait l'objet de déclarations d'importation ultérieures dont une visite de douane avait révélé qu'elles avaient été déclarées, à tort, sous les positions tarifaires 4810 14 80 80 et 4810 14 00 80, ce dont il résultait que ces articles référencés "8978" avaient bien fait l'objet d'une fausse déclaration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 336, 1, du code des douanes. »
Réponse de la Cour
7. S'il résulte de l'article 336, 1, du code des douanes que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent, cette force probante ne s'attache pas aux déductions et appréciations réalisées par ces agents.
8. Ayant constaté que l'AMR n° 962/13/096 du 10 avril 2013 visait les déclarations d'importation IMA 21291635 du 25 juillet 2011, 21291639 du 25 juillet 2011, 21789768 du 26 août 2011, 25647588 du 10 avril 2012, et l'infraction de fausse déclaration d'espèce, relevée selon procès verbal du 29 mars 2013, et relevé qu'il ressort de ce procès-verbal, d'une part, que l'importateur a procédé à l'importation d'articles désignés sur les factures « photo papers » repris sous les codes importateur suivants : 8908, 8975, 8977, 8978, 2797, 2812, 2814, 2803, 2820, d'autre part, que l'administration des douanes, à partir d'échantillons prélevés sur les marchandises ayant fait l'objet de déclarations ultérieures, avait étendu l'infraction de fausse déclaration aux IMA énoncées ci-dessus, faisant ainsi ressortir que si les constatations matérielles faites par les deux agents des douanes sur les factures, à savoir les références des papiers importés, font foi jusqu'à inscription de faux, le fait qu'il s'agisse de marchandises identiques, en l'occurrence du même papier référencé « 8978 », est le résultat d'une déduction opérée par les agents des douanes, qui ne peut être assimilée à des constatations matérielles faisant preuve jusqu'à inscription de faux, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a retenu que l'administration des douanes ne démontrait pas, à l'occasion du contrôle a posteriori qu'elle a mené, que les articles importés sous le code « 8978 » ayant donné aux quatre déclarations d'importation précitées avaient fait l'objet d'une fausse déclaration.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
10. la société Lama France fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation des AMR n°962/12/283 et 962/12/287, alors « que la définition des produits couverts par un règlement imposant des droits antidumping devant faire l'objet d'une lecture stricte, elle ne résulte pas uniquement des termes du corps dudit règlement mais également des considérants exposant la raison d'être de la mesure prise par l'Union européenne, de sorte que des produits a priori inclus au regard de l'article "définitions" du corps du règlement ne sont pas couverts par celui-ci, dès lors qu'ils sont exclus à l'aune des considérants ; qu'au cas présent, le règlement 451/2011 précise que le droit antidumping qu'il institue a nettement pour finalité de mettre un terme à l'importation de papier utilisé pour l'impression de magazines, catalogues et annuaires, sans jamais mentionner une utilisation de papier pour l'impression de photographies par des consommateurs individuels avec distribution dudit papier en grandes surfaces ; que le considérant 15 du règlement 451/2011 vise ainsi le "papier ou carton de haute qualité, généralement utilisé pour imprimer du matériel de lecture tel que des magazines, des catalogues ou des rapports annuels ou des annuaires" ; que la cour d'appel a considéré que "les considérants de la société Lama France [reprises des considérants] sur le mode de distribution de sa marchandise et les producteurs à l'origine de la démarche de la mise en place des droits sont inopérantes" (arrêt p. 9) et, par motifs adoptés du premier juge, que "quant à l'argument encore vanté par la SAS Lama France et selon lequel l'importation de papiers photographiques ne constituait qu'une part minime de son activité et que le papier en question, commercialisé en grande surface, n'était destiné qu'à l'usage personnel à domicile des particuliers, à la différence des produits faisant l'objet de droits anti-dumping, qui étaient des papiers destinés à des applications professionnelles, voire industrielles, qui concernent le secteur de l'imprimerie, il est totalement inopérant dès lors que les règlements précités ne prévoient pas d'exclusion dans l'application des droits en raison de la nature de l'activité exercée par l'importateur ni dans l'utilisation finale de la marchandise" (jugement p. 10-11) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les règlements 451/2011, 451/2012 et 452/2012, ensemble le principe d'interprétation stricte des règlements antidumping, et le principe selon lequel ces règlements s'interprètent à la lumière de leurs considérants. »
Réponse de la Cour
11. La Cour de justice a dit pour droit, d'une part, que les considérants d'un acte de l'Union n'ont pas de valeur juridique contraignante et ne sauraient être utilement invoqués pour déroger aux dispositions mêmes de l'acte concerné pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04 point 76, du 2 avril 2009, Tyson Parketthandel, C-134/08, point 16, du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C-10/18, point 44), d'autre part, qu'une interprétation d'une disposition du droit de l'Union ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition (arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C-339/20 et C-397/20, point 71, du 23 novembre 2023, Ministarstvo financija, C-682/22, point 31).
12. Après avoir relevé que le règlement d'exécution (UE) n°451/2011 du 6 mai 2011, instituant un droit antidumping et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de papier fin couché originaire de la République populaire de Chine, en son article 1er, a « institué un droit antidumping définitif sur le papier fin couché, qui est un papier ou un carton couché sur une ou deux faces (à l'exception du papier ou carton kraft), en feuilles ou en rouleaux, d'un poids supérieur ou égal à 70 g/m² et inférieur ou égal à 400 g/m² et d'un degré de blancheur supérieur à 84 (mesuré selon la norme ISO 2470-1), relevant actuellement des codes NC ex 4810 13 20, (...) 4810 99 90 20, et originaire de la République populaire de Chine », et que l'article 1er du règlement d'exécution (UE) n° 452/2011 du 6 mai 2011, instituant un droit antisubvention définitif sur les importations de papier fin couché originaire de la République populaire de Chine, est rédigé dans les mêmes termes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d'une part, que la société Lama France ne conteste pas que le produit qu'elle importe provient de la République populaire de Chine et que les articles que l'autorité douanière a soumis au paiement de droits, en application des règlements (UE) 451/2012 et 452/2011, correspondent aux définitions de leurs articles 1er, d'autre part, que l'argument encore opposé par la société Lama, selon lequel l'importation de papiers photographiques ne constituait qu'une part minime de son activité et que le papier en question, commercialisé en grande surface, n'était destiné qu'à l'usage personnel à domicile de particuliers, à la différence des produits faisant l'objet de droits antidumping, qui étaient des papiers destinés à des applications professionnelles, voire industrielles, qui concernent le secteur de l'imprimerie, est inopérant, dès lors que les règlements précités ne prévoient pas d'exclusion dans l'application des droits en raison de la nature de l'activité exercée par l'importateur ni dans l'utilisation finale de la marchandise.
13. De ces énonciations, constatations et appréciations, desquelles il ressort que les dispositions des règlements d'exécution précités, relatives aux produits visés par les droits antidumpings et les droits compensateurs qu'ils instituaient, étaient claires et dépourvues d'ambiguïté, la cour d'appel en a exactement déduit que les produits importés par la société Lama France, qui ressortissaient de l'un des classements énumérés dans ces règlements étaient soumis aux droits qui y étaient institués, et que l'argumentation développée par cette société sur le mode de distribution de sa marchandise et la nature des produits concernés par les droits en cause était inopérante.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. L'administration des douanes fait grief à l'arrêt d'annuler l'AMR émis à l'encontre de la société Lama France le 10 avril 2013 et la décision de rejet du 12 mars 2015, en ce qu'elle rejetait la contestation de cet AMR du 10 avril 2013 et de condamner l'Etat français à rembourser à la société Lama France la somme de 27 733 euros, alors « qu'en toute hypothèse, en annulant l'intégralité de l'avis de mise en recouvrement émis le 10 avril 2013 à l'encontre de la société Lama France, aux motifs que l'administration des douanes ne justifiait pas que le contrôle a posteriori qu'elle avait réalisé démontrait que les articles importés sous le code importateur "8978" avaient fait l'objet d'une fausse déclaration, quand une telle constatation ne devait avoir pour effet que d'annuler partiellement cet avis de mise en recouvrement, uniquement en ce qu'il portait sur les droits afférents à l'importation des articles référencés "8978", un tel avis demeurant valable en ce qu'il portait sur les droits relatifs à l'importation des autres articles importés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 345 et 412 du code des douanes. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
16. La société Lama France conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique formulée dans cette seconde branche du moyen est nouvelle et comme telle, irrecevable, l'administration des douanes n'ayant jamais sollicité la nullité seulement partielle de l'AMR dans l'hypothèse où seules des irrégularités partielles seraient constatées.
17. Toutefois, le moyen, qui fait grief à la cour d'appel d'avoir annulé en sa totalité l'AMR cependant que les faits justifiant cette annulation ne concernaient qu'une partie des marchandises visées dans cet AMR, est né de la décision attaquée.
18. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 345 du code des douanes, dans sa rédaction applicable :
19. Selon ce texte, les créances de toute nature constatées et recouvrées par l'administration des douanes font l'objet d'un avis de mise en recouvrement. L'avis de mise en recouvrement indique le fait générateur de la créance, ainsi que sa nature, son montant et les éléments de sa liquidation. Une copie est notifiée au redevable.
20. Pour annuler l'AMR du 10 avril 2013 et condamner l'Etat français pris en la personne de la direction régionale des douanes et droits indirects du [Localité 4] à rembourser à la société Lama France la somme de 27 733 euros, l'arrêt retient que l'administration des douanes, qui supporte la charge de la preuve, ne justifie pas que le contrôle a posteriori démontre que les articles importés sous le code 8978 ont fait l'objet d'une fausse déclaration.
21. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que les droits mis en recouvrement étaient fondés, sauf concernant l'importation des articles référencés « 8978 », la cour d'appel, qui ne pouvait annuler l'AMR mais devait le déclarer valable en ce qu'il portait sur les droits relatifs à l'importation des autres articles importés, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il annule l'AMR n° 962/12/28 émis à l'encontre de la société Lama France le 10 avril 2013 et la décision de rejet du 12 mars 2015, en ce qu'elle rejetait la contestation de cet AMR du 10 avril 2013, et condamne l'Etat français, pris en la personne de la direction régionale des douanes et droits indirects du [Localité 4], à rembourser à cette société la somme de 27 733 euros, l'arrêt rendu le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Lama France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lama France et la condamne à payer à la directrice générale des douanes et droits indirects et au directeur régional des douanes et des droits indirects du [Localité 4] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Ponsot, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.