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21/01/2025 | FRANCE | N°23-86.340

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na, 21 janvier 2025, 23-86.340


N° Y 23-86.340 F-D

N° 00048


ODVS
21 JANVIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025



Mme [J] [R], la [1], parties civiles, et le procureur général près la cour d'appel de Paris ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'a

ppel, chambre 2-7, en date du 5 octobre 2023, qui a débouté les parties civiles de leurs demandes après relaxe de M. [D] [U] [U], du chef d'injure publique à rai...

N° Y 23-86.340 F-D

N° 00048


ODVS
21 JANVIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025



Mme [J] [R], la [1], parties civiles, et le procureur général près la cour d'appel de Paris ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre 2-7, en date du 5 octobre 2023, qui a débouté les parties civiles de leurs demandes après relaxe de M. [D] [U] [U], du chef d'injure publique à raison de l'origine, ou de l'appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [J] [R], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par acte d'huissier délivré à la requête du procureur de la République, à la suite d'un signalement de la [1] ([1]), M. [D] [U] [U] a été cité devant le tribunal correctionnel pour y répondre d'avoir, le 6 octobre 2020, commis le délit d'injure publique envers un particulier, en l'espèce Mme [J] [R], à raison de son origine, ou de son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en qualité d'auteur des propos suivants diffusés sous l'adresse : // la-quotidienne- [L].stream/episode-90-répond-a [J]-[R]/# : « tu resteras une pauvre négresse à la fin de l'histoire ».

3. Le tribunal a rejeté l'exception de nullité de la citation, déclaré le prévenu coupable du délit poursuivi, l'a condamné à 100 jours-amende à 100 euros et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Le prévenu a relevé appel de la décision et le ministère public, appel incident.

Déchéance du pourvoi formé par la [1]

5. La demanderesse n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé par le procureur général et le moyen proposé pour Mme [J] [R]

6. Le moyen proposé par le procureur général critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [U] [U] alors que le respect des principes résultant de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'admet de limites à la liberté d'expression que celles qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, de sorte que son appréciation doit être plus souple dès lors que les propos incriminés s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général et qu'il doit tenir compte du contexte dans lequel ils ont été prononcés, n'autorise pas le dépassement des limites de ce que la liberté d'expression peut accepter, et ce, quel que soit le contexte polémique dans lequel ils s'inscrivent ; qu'à cet égard, l'analyse à laquelle s'est livrée la cour d'appel conduit à légitimer des propos contraires aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

7. Le moyen proposé pour Mme [R] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [U] [U] et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que le délit d'injure à caractère racial prévu et réprimé par l'article 29, alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 est constitué par toute expression outrageante, terme de mépris ou invective portée à l'encontre d'une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; qu'en l'espèce, [D] [U] [U] a diffusé une vidéo de réponse à une tribune publiée par [J] [R] intitulée « Face aux punchlines antisémites du rappeur [O] [Z], ne créons pas un [D] 2.0 », dans laquelle il lui dit « tu resteras une pauvre négresse à la fin de l'histoire » ; que l'association du terme péjoratif « négresse » à l'adjectif « pauvre », tout en indiquant que [J] [R] le restera jusqu'à la fin de l'histoire, caractérise une injure publique à raison de son origine ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, qui dépasse les limites de la liberté d'expression, peu importe le contexte ou l'intention de l'auteur des propos ; qu'en relaxant [D] [U] [U], la cour d'appel n'a pas correctement apprécié les propos poursuivis et a ainsi violé les articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que la cour d'appel, pour retenir que les propos poursuivis, dans le contexte dans lequel ils ont été tenus, ne sauraient constituer une expression outrageante, termes de mépris ou invective, a relevé que, dans la vidéo diffusée le 6 octobre 2020, les propos poursuivis ne sont pas isolés, mais s'insèrent dans une argumentation où le prévenu reproche à [J] [R] d'oublier son côté africain pour insister sur ses origines maternelles, alors que, selon lui, elle sera toujours vue comme une femme noire et ne sera jamais considérée par les membres de la communauté juive « comme faisant partie du Scp RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA - Avocat aux Conseils - Pourvoi n°Y2386340 Page 11/24 peuple élu », ajoutant que ceux-ci la « prennent pour de la merde » et qu'il en est ainsi dans toutes les religions car « être noire à la fin tu finis à la poubelle », sans mieux justifier en quoi cette thèse ouvertement raciste selon laquelle l'ensemble des autres communautés considèrent tous les noirs comme des sous-hommes, permettait au prévenu d'user d'une expression manifestement outrageante à l'égard de la partie civile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 188 et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que la cour d'appel, pour retenir que les propos poursuivis, dans le contexte dans lequel ils ont été tenus, ne sauraient constituer une expression outrageante, termes de mépris ou invective, a relevé que, dans la vidéo diffusée le 6 octobre 2020, les propos poursuivis ne sont pas isolés, mais s'insèrent dans une argumentation où le prévenu reproche à [J] [R] d'oublier son côté africain pour insister sur ses origines maternelles, alors que, selon lui, elle sera toujours vue comme une femme noire et ne sera jamais considérée par les membres de la communauté juive « comme faisant partie du peuple élu », ajoutant que ceux-ci la « prennent pour de la merde » et qu'il en est ainsi dans toutes les religions car « être noire à la fin tu finis à la poubelle », sans mieux justifier sa décision au regard de l'ensemble des éléments extrinsèques et du contexte dans lequel les propos poursuivis se situent, notamment les nombreuses attaques personnelles contre [J] [R] mais aussi la communauté juive, dont elle revendique une partie de ses origines, ainsi que la mise en scène de la vidéo ou la chanson finale, qui démontrent au contraire le caractère injurieux des propos poursuivis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 188 et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ qu'en relaxant [D] [U] [U], en relevant qu'il apparaît que, dans le contexte dans lequel ils ont été tenus, les propos poursuivis ne sauraient constituer une expression outrageante, termes de mépris ou invective, mais serait l'opinion fataliste du prévenu selon laquelle une personne ayant des racines africaines né sera jamais pleinement considérée comme faisant partie de sa communauté nationale ou religieuse, bien Scp RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA - Avocat aux Conseils - Pourvoi n°Y2386340 Page 12/24 que les éléments extrinsèques et le contexte dans lequel les propos poursuivis se situent, à savoir les nombreuses attaques personnelles contre [J] [R] mais aussi la communauté juive, dont elle revendique une partie de ses origines, ainsi que la mise en scène de la vidéo et la chanson finale, démontrent au contraire que les termes poursuivis, intrinsèquement méprisants, qui renvoient [J] [R] à sa couleur de peau, à ses origines gambienne et juive, qu'elle même présente comme une richesse, en lui déniant la possibilité de se défaire de la condition humiliante qui résulte de son appartenance à la prétendue race noire, caractérisent nécessairement une injure publique à raison de son origine ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la cour d'appel a violé les articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, 591 à 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

9. Il résulte de ce texte que toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait précis est une injure. Il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis.

10. Pour infirmer le jugement et relaxer le prévenu, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'Académie française définit le mot « nègre », précisant que « ce terme, souvent jugé dépréciatif, a été parfois revendiqué au XXe siècle par les Noirs pour affirmer leur identité » et qu'il ne peut donc être soutenu, comme le font les parties civiles, que l'emploi du terme « négresse » est nécessairement injurieux, quand bien même il lui est adjoint l'adjectif « pauvre ».

11. Les juges ajoutent qu'il convient d'examiner le contexte dans lequel ces propos ont été tenus.

12. Ils relèvent ainsi que la vidéo litigieuse vient en réaction à un article intitulé « Face aux punchlines antisémites du rappeur [O] [Z], ne créons pas un [D] 2.0 », rédigé par Mme [R] et diffusé sur le site [02], le 21 septembre 2020, et dans lequel elle se présentait comme petite-fille de déportée et insistait sur son appartenance à la communauté juive, estimant que la lutte contre les propos racistes et antisémites dans le rap ne pouvait se limiter à des sanctions et que « ce positionnement sans explication ne fait que cristalliser la haine », ajoutant : « Voulons nous créer un [D] 2.0 ? ».

13. Ils observent alors que les propos poursuivis s'insèrent dans une argumentation dans laquelle le prévenu reproche à la partie civile d'oublier son côté africain, pour insister sur ses origines maternelles, déclarant à celle-ci qu'elle sera toujours vue comme une femme noire et ne sera jamais considérée par les membres de la communauté juive « comme faisant partie du peuple élu », ajoutant que ceux-ci la « prennent pour de la merde » et qu'il en est ainsi dans toutes les religions car « être noire à la fin tu finis à la poubelle ».

14. Ils en concluent que, dans le contexte dans lequel ils ont été tenus, les propos poursuivis ne sauraient constituer une expression outrageante, termes de mépris ou invective, dès lors qu'ils expriment l'opinion fataliste du prévenu selon laquelle une personne ayant des racines africaines ne sera jamais pleinement considérée comme faisant partie de sa communauté nationale ou religieuse.

15. En statuant ainsi, alors que les propos poursuivis, dans le contexte où ils ont été tenus, étaient en réalité méprisants à l'égard de Mme [R], la renvoyant à la couleur de sa peau et à ses origines africaines paternelles par un terme outrageant pour la réduire à un statut d'être inférieur lui interdisant d'être considérée, à l'égale des autres, comme un membre de la communauté juive à laquelle elle appartient, de sorte qu'ils constituaient une injure, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

16. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par la [1] :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par le procureur général et pour Mme [R], partie civile :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 5 octobre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-86.340
Date de la décision : 21/01/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation restreinte hors rnsm/na, 21 jan. 2025, pourvoi n°23-86.340


Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.86.340
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