N° Z 23-85.053 F-B
N° 00052
ODVS
21 JANVIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025
M. [D] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 5 juillet 2023, qui, pour travail dissimulé, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de M. [D] [O], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais, et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseillers de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite notamment de constatations établies par l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) au sein de l'association [1] ([1]), M. [D] [O] a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé, en qualité de dirigeant de fait de cet organisme.
3. Par jugement du 25 janvier 2022, le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable et l'a condamné à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d'amende et une interdiction de gérer pendant cinq ans.
4. Le prévenu a interjeté appel, le ministère public appel incident.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, sur l'action publique, déclaré M. [O] coupable des faits qui lui sont reprochés pour les faits d'exécution d'un travail dissimulé commis du 1er janvier 2011 au 3 décembre 2013 à [Localité 2], l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 3 000 euros, a prononcé à son encontre la peine complémentaire d'interdiction de gérer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de cinq ans, l'a sur l'action civile, déclaré responsable du préjudice subi par l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais et l'a condamné, avec l'association [1], à payer solidairement à l'URSSAF la somme de 1 048 182 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 4°/ en quatrième lieu que, subsidiairement aux deux premières branches, il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe, sans perte ni profit pour les victimes ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que pour contester le montant de condamnation de 1 048 182 € prononcé au bénéfice de l'URSSAF, Monsieur [O] et l'association [1] rappelaient que malgré des omissions sur les déclarations annuelles des données sociales, les déclarations mensuelles des salaires avaient en revanche bien été établies, les bordereaux de cotisations transmis à l'URSSAF et les cotisations correspondantes payées à l'URSSAF, à hauteur de 171 706,70 € pour l'année 2011, de 285 162,00 € pour l'année 2012 et de 340 304,00 € pour l'année 2013, ce que l'URSSAF ne contestait à aucun moment dans ses conclusions ; que Monsieur [O] contestait encore, page 26 de ses conclusions, la condamnation à « un prétendu préjudice calculé de manière forfaitaire et donc totalement arbitraire », composé en outre de majorations étrangères au préjudice réparable ; qu'en jugeant que « la partie civile a procédé au calcul des cotisations éludées au regard du nombre de salariés et des heures non déclarées en y appliquant les majorations et pénalités légales. Elle a détaillé et justifié ses calculs dans ses conclusions établissant précisément son préjudice », pour approuver le jugement entrepris d'avoir jugé que, compte tenu des carences dans la comptabilité de l'association [1], « si la méthode forfaitaire proposée par l'URSSAF est nécessairement imparfaite par nature, c'est cependant celle utilisée lorsqu'il est impossible de déterminer avec exactitude les périodes travaillées et les sommes dues ce qui est le cas dans la présente affaire », l'URSSAF ayant admis dans ses conclusions que « du dossier pénal, il ressort que la comptabilité est incomplète, non fiable et non exhaustive. Il est donc fait application du redressement forfaitaire évalué à 1 mois SMIC appliqué pour chaque salarié non déclaré, pour chaque mois travaillé », la cour d'appel, qui a fait droit à la demande de la partie civile calculée de manière forfaitaire, en se référant à ses seules assertions, et qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le préjudice a été réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la partie civile, a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er de son premier protocole additionnel, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil ;
5°/ en cinquième lieu que, subsidiairement aux deux premières branches, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en cas d'infraction de travail dissimulé, le préjudice de l'URSSAF résulte du seul défaut de paiement des cotisations éludées ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que pages 27 et 28 de ses conclusions d'appel, Monsieur [O] dénonçait l'inclusion dans le préjudice allégué par l'URSSAF de différentes majorations, dont une majoration de 25% fondée sur les articles L. 8222-1 et L. 8221-5 du code du travail et une majoration de retard de 5%, ainsi qu'une annulation des réductions Fillon à titre de sanction ; que pages 10 à 12 de ses conclusions d'appel, l'URSSAF intégrait de fait au montant total demandé, qui lui a été alloué, « une majoration de redressement, comme le prévoit l'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale » de 25%, soit 55 738 €, ainsi qu'une majoration de 5% « conformément à l'article R 243-18 du code de la sécurité sociale », soit 37 972 €, et une annulation des réductions Fillon à hauteur de 574 252 € ; qu'en condamnant Monsieur [O] au paiement de la totalité des sommes demandées par l'URSSAF, comprenant « les majorations et pénalités légales », la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er de son premier protocole additionnel, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil;
6°/ que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'aux termes de l'article L. 8224-3 du code du travail, les personnes physiques coupables des infractions prévues aux articles L. 8224-1 et L. 8224-2 encourent notamment les peines complémentaires suivantes : « 1° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement » ; qu'en condamnant Monsieur [O] à une interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de 5 ans, sans limiter cette interdiction aux entreprises ou sociétés commerciales ou industrielles, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Vu les articles 1240 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale :
7. Il résulte du premier de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
8. Il résulte des deux suivants que le droit à réparation appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite.
9. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour condamner M. [O], déclaré coupable de travail dissimulé, à indemniser la partie civile, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 2 du code de procédure pénale, énonce que l'URSSAF sollicite l'indemnisation d'un préjudice qui découle de la commission de l'infraction de sorte que sa constitution de partie civile doit être confirmée.
11. Les juges ajoutent que la partie civile a procédé au calcul des cotisations éludées au regard du nombre de salariés et des heures non déclarées en y appliquant les majorations et pénalités légales.
12. Ils relèvent que l'URSSAF, dans ses conclusions, a détaillé et justifié ses calculs établissant précisément son préjudice.
13. En se déterminant ainsi, alors que, dans ses conclusions, l'URSSAF avait intégré dans le calcul de son préjudice les majorations du montant du redressement des cotisations et contributions sociales en cas de constat de l'infraction de travail dissimulé prévues à l'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale ainsi que les suppressions des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations et contributions de sécurité sociale prévues par l'article L. 133-4-2 dudit code lesquelles revêtent le caractère d'une punition et ne peuvent dès lors, à ce titre, à la différence des intérêts de retard et de la majoration principale de 5 % prévue par l'article R. 243-16, I, du même code, entrer dans l'évaluation du dommage subi par l'URSSAF, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
Sur le moyen, pris en sa sixième branche
Vu l'article 111-3 du code pénal :
15. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.
16. Après avoir déclaré M. [O] coupable de travail dissimulé, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, l'a condamné, notamment, à titre de peine complémentaire, à l'interdiction d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales pendant cinq ans.
17. En prononçant ainsi, sans autre précision, une telle interdiction, alors que les dispositions des articles 131-27 du code pénal et L. 8224-3 du code du travail, applicables au délit reproché, limitent cette interdiction à l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
18. La cassation est, par conséquent, à nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation sera limitée aux peines et au montant des sommes allouées à l'URSSAF au titre de son préjudice, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 5 juillet 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines et au montant des sommes allouées à l'URSSAF au titre de son préjudice, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille vingt-cinq.