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21/01/2025 | FRANCE | N°23-83.908

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na, 21 janvier 2025, 23-83.908


N° E 23-83.908 F-D

N° 00047


ODVS
21 JANVIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025



M. [S] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 13 février 2023, qu

i, dans la procédure suivie contre lui des chefs de diffamation et injures publiques envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ...

N° E 23-83.908 F-D

N° 00047


ODVS
21 JANVIER 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025



M. [S] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 13 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de diffamation et injures publiques envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [S] [W], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société [1] et M. [S] [L], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,



la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 12 juillet 2021, M. [S] [L] et la société [1] ont fait citer M. [S] [W] en qualité de directeur de publication du Journal de l'île de La Réunion, d'une part, des chefs de diffamation publique envers un particulier, à raison des propos suivants : Edito du 17 avril 2021 : « Pendant que le Parquet, les sections financières des pandores et autres perdreaux ne s'occupent que des élus, les souris en mode [L] dansent sur le fromage... » ; « Comment se fait-il que depuis des lustres, [S] [L] rafle quasiment tous les projets au nez et à la barbe de ses petits camarades promoteurs ? C'est assez simple et pas franchement courant. Le suppôt de [V]-[R], le soutien financier de [U] sait y faire. Avec la complicité de l'ancien patron de la [7], [O] [Z], le privé [L] s'est tout simplement associé avec ce bailleur, en mission de service public, filiale de la caisse des dépôts, avec avis favorable des collectivités et du ministère des Outre-mer. Pourquoi s'emmerder ? » ; « Association qui permet au [L] de rouler carrosse, de se la faire belle, de se friser avec le pognon de la [7] qui lui accorde, pour chaque projet, des avances en compte courant qu'il a parfois du mal à rembourser. On croit rêver.…. » ; « À [Localité 3], par exemple, le projet îlot a permis au [L] de se goinfrer 10 millions d'euros avancés par la [7]. 10 millions qu'il n'a toujours pas remboursés. Pour moins que cela, un élu serait en garde à vue... » ; Edito du 8 mai 2021 : « Après vous avoir rappelé que c'est le [L] qui en premier a cherché la bagarre, je vous raconte cette histoire de promoteur politique qui renifle les conflits d'intérêts comme s'il en pleuvait, l'abus de bien social, le financement de partis politiques mais pas seulement. Question : que fait la police ? » ; « Dans la foulée [F] [N] négociait peinardement avec [L] pour le compte de sa société [4] un accord de principe interdisant à tout autre opérateur immobilier de s'installer dans le coin sauf accord de [F] [N], alors maire et parrain de [Localité 6]. En échange de quoi et pour ce qui peut se raconter aujourd'hui, la société [4] sponsorisait la mairie, le club de foot du bled, L'[8], celle de [Localité 5] aussi. » ; «les transferts frauduleux des permis de construire pour le compte de [L] et de la [7]… » ; « Preuve s'il en était encore besoin de la promiscuité financière et immobilière entre la mairie de [Localité 3] et la fine équipe [7]-[L]-[Z]... » ; Edito du 15 mai 2021 : « Pour le cas où le Parquet de Saint-Denis viendrait à imaginer faire taquiner le [L] et ses sociétés, [4], [2].… par les pandores spécialisés pourtant surchargés de boulot. il serait judicieux d'aller gratter du côté de la présidence d'[4]. » ; Edito du 5 juin 2021 : « Sachant tout cela et encore, j'oublie les magouilles immobilières liées à [S] [L], les perquisitions, les mises en examen passées et à venir. », d'autre part, du chef injure publique envers un particulier à raisons des propos suivants : Edito du 15 mai 2021 : « Un petit mot encore au sujet de [S] [L], promoteur, fayot et financier de ces dames, [V] et [U] [D] mais aussi du clan [N] ».

3. Par jugement du 2 décembre 2021, le tribunal correctionnel a rejeté l'exception d'irrecevabilité des constitutions de partie civile, a relaxé M. [W] et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat et le troisième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé des moyens

6. Le moyen relevé d'office est pris de la violation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [W] a, en sa qualité de directeur de la publication du quotidien le Journal de l'île de La Réunion (JIR), commis une faute civile dans ses éditoriaux du 17 avril 2021, 8 mai 2021, 15 mai 2021 et 5 juin 2021, au préjudice des parties civiles, alors :

« 5°/ que les seuls propos « pour le cas où le parquet de Saint-Denis viendrait à imaginer faire taquiner le [L] et ses sociétés, [4], [2]…par les pandores spécialisés pourtant surchargés de boulot…il serait judicieux d'aller gratter du côté de la présidence d'[4]…. » (éditorial du 15 mai 2021), dont l'arrêt se borne à relever qu'ils mettent en cause les services de police pour ne pas enquêter, ne caractérisent, par leur généralité même, aucune faute civile de diffamation ; que la cour a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881».


Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

9. Selon ce texte, la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite. La Cour de cassation a le devoir de vérifier si la citation délivrée est conforme à ces prescriptions prévues à peine de nullité, même si aucune violation de ce texte n'a été soulevée par le prévenu avant tout débat au fond. La nullité ne peut être prononcée que si l'acte a pour effet de créer une incertitude dans l'esprit des personnes susceptibles d'être poursuivies quant à l'étendue des faits dont elles auraient à répondre.

10. L'examen de la citation directe introductive d'instance met la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les propos extraits de l'éditorial du 15 mai 2021, présentés comme attentatoires à l'honneur et à la considération des parties civiles (page 8 de l'acte), figurent dans le paragraphe relatif aux diffamations publiques mais qu'ils n'ont pas été repris dans le dispositif de l'acte de poursuite, ce dont il résulte nécessairement une incertitude sur l'étendue exacte des propos poursuivis.

11. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef, ce qui rend inopérant le troisième moyen de cassation, pris en sa cinquième branche.

Et sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et septième branches, et le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé des moyens

12. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [W] a, en sa qualité de directeur de la publication du quotidien le Journal de l'île de La Réunion (JIR), commis une faute civile dans ses éditoriaux du 17 avril 2021, 8 mai 2021, 15 mai 2021 et 5 juin 2021, au préjudice des parties civiles, alors :

« 1°/ qu'en retenant d'emblée, sans aucun examen de la teneur des propos poursuivis ni contextualisation, que « l'ensemble examiné en l'espèce est constitué d'une série d'éditoriaux qui sont soit diffamatoires, soit injurieux et font preuve d'une forme d'acharnement contre lesquelles (sic) les personnes visées ont dû avoir du mal à se défendre », la cour n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, en violation de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ qu'en énonçant, pour retenir une faute civile de diffamation dans l'éditorial du 17 avril 2021, que « qualifié (sic) [S] [L] d'homme sans scrupule et sans aucune retenue, qui sont des jugements de valeurs non fondés, qui aurait puisé dans sa situation (phrase absconse) et dans des relations pour « soutirer » (ce qui a une connotation de ruse pour les lecteurs) 10 millions d'euros à la [7] », l'arrêt a recherché les éléments légaux d'une diffamation non pas dans les propos poursuivis mais dans les termes des écritures des parties civiles, en violation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

3°/ que l'arrêt retient encore qu'« il est fait état (…) que [S] [L] aurait bénéficié d'une certaine bienveillance de la part des autorités, sans aucune précision quant à ces autorités, et qu'il en aurait tiré avantage, les policiers des services financiers spécialisés le laisseraient tranquille, et « les souris en mode [L] danseraient sur le fromage » par conséquent « quand le chat n'est pas là » au lieu de se trouver en garde à vue ainsi [S] [L] sait profiter de l'indisponibilité des services d'enquêtes », « [S] [L] depuis des « lustres », ce qui ne fait que 5 ans, « rafle » (prendre et emporter promptement sans rien laisse aux autres), tous les projets. La phrase est sous forme interrogative, la réponse concerne Mesdames [V] et [R], et [O] [Z] et d'autres », « le terme « goinfrer » est également utilisé, ce qui associe [S] [L] à un goret, animal dont l'activité est de se gaver d'argent » ; qu'en l'absence de faits précis imputés aux parties civiles susceptibles d'être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, la faute civile dans l'éditorial du 17 avril 2021 n'est pas caractérisée et la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

4°/ que la précision des faits imputés est nécessaire pour caractériser la diffamation ; que la bonne foi peut se déduire ensuite de la base factuelle suffisante sur laquelle se fondent les imputations diffamatoires ; que pour retenir une faute civile de diffamation dans l'éditorial du 8 mai 2021, l'arrêt attaqué énonce : « …les faits dont il est fait état, en l'absence de base factuelle (le jugement querellé ne fait état d'aucun élément pouvant constituer des éléments de faits) constituent des faits précis, en l'espèce des actes de délinquance, des conflits d'intérêt, des abus de biens sociaux, des financements de partis politiques… » ; qu'en s'abstenant de constater la précision des faits qui seraient imputés pour la déduire de l'absence de base factuelle, critère qui ne peut jouer que dans un second temps, au titre de l'examen des moyens de défense, une fois dument constatés les éléments légaux d'une diffamation, la cour a commis une erreur de raisonnement et violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

7°/ que pour retenir une faute civile de diffamation dans l'éditorial du 5 juin 2021, à raison des propos « sachant tout cela et encore, j'oublie les magouilles immobilières liées à [S] [L], les perquisitions, les mises en examen passées et à venir », l'arrêt énonce : « l'éditorialiste oublie les magouilles (soit des tractations malhonnêtes) les perquisitions (qui ne peuvent avoir lieu que dans un cadre judiciaire) les mises en examen passées et à venir (de la seule compétence du juge d'instruction et qui maintiennent la présomption d'innocence) » ; que ces propos, complètement généraux, ne contiennent l'énoncé d'aucun fait suffisamment précis, imputé à M. [L] au titre de « magouilles immobilières », susceptible d'être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, ni aucune articulation précise de faits désignant les parties civiles comme ayant été personnellement visées par des perquisitions, des mises en examen ou des mises en cause susceptibles de déboucher sur une mise en examen future ; que la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »

13. Le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [W] a, en sa qualité de directeur de la publication du quotidien le JIR, commis une faute civile dans ses éditoriaux du 17 avril 2021, 8 mai 2021, 15 mai 2021 et 5 juin 2021, au préjudice des parties civiles, alors :

« 2°/ qu'en énonçant, s'agissant des propos poursuivis au titre de l'éditorial du 17 avril 2021, « le reste des propos qui mettent en cause les hommes politiques et [S] [L] restent dans la limite du droit d'expression et du droit d'investigation journalistique», sans indiquer précisément les propos ainsi dépourvus de tout caractère fautif, la cour d'appel n‘a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la faute par ailleurs retenue et privé sa décision de base légale au regard des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de
l'homme ».

Réponse de la Cour

14. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

15. Selon le premier de ces textes, d'une part, toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation, d'autre part, il appartient aux juges de se déterminer sur la seule base des propos incriminés, éventuellement éclairés par des éléments extrinsèques, qui ne sauraient concerner l'exactitude du fait imputé, mais seulement le sens et la portée des propos.

16. Aux termes du second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

17. Pour dire établie l'existence de fautes civiles, l'arrêt attaqué énonce, en substance, s'agissant des propos extraits de l'éditorial du 17 avril 2021, qu'ils constituent des allégations sur des faits précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération des plaignants, en ce qu'ils font état, sans aucune base factuelle sérieuse, de bénéfices financiers que M. [L], promoteur, aurait réalisés, grâce à, d'une part, une certaine bienveillance des autorités, d'autre part, plusieurs relations d'affaire, lui permettant de remporter de nombreux projets, en sachant, par ailleurs, profiter de l'indisponibilité des services d'enquête, précisant toutefois que certains des propos qui mettent en cause les hommes politiques et l'intéressé restent dans la limite du droit d'expression et d'investigation des journalistes.

18. Les juges retiennent également que les propos extraits de l'éditorial du 8 mai suivant concernent, en l'absence de base factuelle, des faits précis qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération des parties civiles, à savoir des actes de délinquance, des conflits d'intérêts, des abus de biens sociaux, des financements de partis politiques que la police semble volontairement ignorer.

19. Ils observent, encore, que les propos extraits de l'éditorial du 5 juin 2021 visent à ternir l'image des parties civiles au travers d'accusations non démontrées, relevant que les propos sont en partie injurieux et associés à des caricatures qui ne peuvent faire l'objet d'aucune preuve et ont pour objectif de blesser la personne visée dans son honneur et sa réputation.

20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

21. En premier lieu, les juges n'ont pas recherché si les propos poursuivis, qu'ils devaient analyser en s'y référant expressément, éventuellement éclairés par les éléments extrinsèques auxdits propos, sans considération, à ce stade, pour leur exactitude, contenaient en eux-mêmes des faits précis, contraires à l'honneur ou à la considération, imputés aux parties civiles, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire et à leur donner ainsi une portée diffamatoire.

22. En second lieu, ce n'est qu'après avoir procédé à cette analyse que les juges devaient examiner, le cas échéant, les moyens de défense éventuellement produits par le prévenu.

23. La cassation est par conséquent encourue de ces chefs.

Et sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche, et le quatrième moyen, pris en ses septième et huitième branches

24. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [W] a, en sa qualité de directeur de la publication du quotidien le JIR, commis une faute civile dans ses éditoriaux du 17 avril 2021, 8 mai 2021, 15 mai 2021 et 5 juin 2021, au préjudice des parties civiles, alors :

« 6°/ que les propos « fayot et financier de ces dames, [V] et [U] [D] mais aussi du clan [N] » (éditorial du 5 juin 2021), ne revêtent pas de caractère injurieux, à l'égard de [S] [L], en l'absence de tout élément de contexte dument constaté leur conférant un caractère outrageant ; que la cour a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »

25. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [W] a, en sa qualité de directeur de la publication du quotidien le JIR, commis une faute civile dans ses éditoriaux du 17 avril 2021, 8 mai 2021, 15 mai 2021 et 5 juin 2021, au préjudice des parties civiles, alors :

« 7°/ que, s'agissant des propos de l'éditorial du 15 mai 2021 prétendument injurieux, en s'abstenant de rechercher si, dans le contexte, et au regard de l'ensemble des circonstances particulières de l'affaire, le terme « fayot », rapproché du terme « financier des dames [V], [U] [D] mais aussi du clan [N]», ne relevait pas d'une simple critique de nature
satirique ne dépassant pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme ;

8°/ qu'en retenant encore, comme une circonstance de nature à faire pencher la balance du côté du droit à la réputation de la personne visée, le fait que « les propos sont associés à des caricatures », la cour d'appel a méconnu les exigences de protection de la liberté d'expression, le mode satirique et la caricature de presse bénéficiant au contraire d'une large protection dans une société démocratique ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

26. Les moyens sont réunis.




Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

27. Il résulte du second de ces textes qu'en matière de presse, il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis.

28. Aux termes du premier, la liberté d'expression peut être soumise à des ingérences dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit article.

29. Pour dire établie l'existence d'une faute civile, l'arrêt attaqué retient que les propos extraits de l'éditorial du 15 mai 2021 sont des accusations, dépourvues de base factuelle, constitutives d'injures, illustrant la volonté de blesser les parties civiles.

30. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants et sans rechercher si, au regard du contexte dans lequel ils ont été prononcés, les propos incriminés dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

31. La cassation est également encourue de ce chef, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs du quatrième moyen.

Portée et conséquences de la cassation

32. Ni l'action publique ni l'action civile n'ont été légalement mises en mouvement du chef de diffamation publique envers un particulier à raison des propos extraits de l'éditorial du 15 mai 2021.

33. La cassation aura lieu sans renvoi, de ce seul chef, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre partiellement fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

DIT que ni l'action publique ni l'action civile n'ont été légalement mises en mouvement du chef de diffamation publique envers un particulier à raison des propos extraits de l'éditorial du 15 mai 2021;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;

CASSE et ANNULE, en toutes ses autres dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 13 février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-83.908
Date de la décision : 21/01/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation restreinte hors rnsm/na, 21 jan. 2025, pourvoi n°23-83.908


Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.83.908
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