CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 janvier 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 23 F-D
Pourvoi n° K 23-14.407
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025
M. [T] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-14.407 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige l'opposant à la société Champeau, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [M], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Champeau, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 février 2023), M. [M] a confié à la société Champeau (l'entreprise), le lot étude, fabrication et fourniture de la charpente de sa maison en construction.
2. Après la pose de la charpente, M. [M] a fait état de malfaçons et de non-finitions ne lui permettant pas de faire réaliser les travaux de couverture.
3. L'entreprise a proposé de reprendre les non-finitions et défauts relevés par l'expert désigné par l'assureur de M. [M], ce que celui-ci a refusé.
4. Après expertise judiciaire, l'entreprise a assigné M. [M] pour voir prononcer la réception judiciaire de la charpente avec réserves ainsi que la résolution judiciaire du contrat d'entreprise et le voir condamner au paiement du solde des travaux.
5. M. [M] a assigné l'entreprise en résiliation du contrat à ses torts en sollicitant la dépose de la charpente à ses frais et sa condamnation à lui payer diverses sommes, notamment en réparation d'un préjudice de jouissance.
6. Les instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [M] fait grief à l'arrêt de prononcer la réception judiciaire des travaux de charpente à la date du 30 avril 2015 assortie de certaines réserves, et, en conséquence, de rejeter ses demandes en résolution du marché aux torts de l'entreprise et en restitution des sommes versées, tendant à la dépose de la charpente et à la réparation du préjudice de jouissance, et de le condamner à payer à la société Champeau une certaine somme au titre du solde du marché, alors « que la réception judiciaire ne peut être prononcée que si l'ouvrage est en état d'être reçu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le rapport d'expertise judiciaire constatait l'existence de certains défauts au niveau de la charpente, notamment des « jours entre planche », une « absence de chevron de renfort au sommet de la charpente », des « décalages importants entre de multiples pièces de charpente », « la présence de pièces fixées à l'arbalétrier », « une poutre en lamellé collé qui ne rejoint pas la charpente » et constaté que l'expert retenait « certains désordres tels les fissures sur les entraits, l'absence de connexion entre deux fermes, des ancrages coupés, des défauts de calage » ; qu'elle a également relevé que l'expert judiciaire avait pris en compte le rapport de M. [U] et considéré « que les défauts et désordres relevés par cet expert missionné par l'assureur de M. [M], étaient avérés » ; qu'au nombre de ces défauts et désordres, considérés comme « avérés », figuraient des défauts d'alignement des éléments de charpente sur le plan vertical impliquant le non-respect de la norme NFP21-25 chapitre 4.1, des défauts d'alignement sur le plan horizontal, des défauts d'alignement au droit des fermes, des défauts d'assemblage, une mise en compression des poinçons, des ruptures des connecteurs, des absences de calage, des jours sous les éléments de la charpente, des assemblages défectueux générant des hors de niveau, un entrait coupé au droit du conduit de cheminée sur le mur refend, des éléments de charpente cassés et moisés, et un défaut d'avancement de la casquette de charpente sur la maçonnerie située en façade avant ; que l'expert mandaté par l'assureur avait à ce titre conclu que le chantier n'était pas acceptable en l'état et avait invité M. [M] à refuser le support ; que la cour d'appel a de surcroît constaté que, selon l'expert judiciaire, certains désordres affectant la « structure » ainsi que « les assemblages », avaient été réparés en cours d'expertise et existaient donc à la date de réception retenue, soit le 30 avril 2015 ; qu'il ressortait ainsi de ces constatations que la charpente était affectée, à la date de la réception choisie, de nombreuses non-façons, malfaçons et non-conformités faisant obstacle à sa réception, même avec réserves ; qu'en prononçant néanmoins la réception judiciaire de l'ouvrage, assortie de certaines réserves limitées à la réalisation de travaux de réglage et de calage, à la réalisation d'un contrôle et d'une reprise des connecteurs métalliques et à l'absence de réalisation des sous-faces des débords de toiture, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792-6 du code civil :
8. En application de ce texte, la réception judiciaire est prononcée à la date à laquelle l'ouvrage est en état d'être reçu.
9. Pour prononcer la réception judiciaire, assortie de certaines réserves, des travaux de charpente à la date du 30 avril 2015 et, en conséquence, rejeter les demandes du maître de l'ouvrage de résolution du marché aux torts de l'entreprise, de restitution des sommes versées, de dépose de la charpente, de réparation d'un préjudice de jouissance et le condamner à payer à l'entreprise une certaine somme, l'arrêt constate que l'expert judiciaire indique que certains défauts ne constituent pas des désordres, que d'autres relèvent de finitions à réaliser juste avant la réception des travaux, que d'autres encore ont été traités en cours d'expertise, les désordres concernés n'existant plus, et que, s'agissant de la dégradation de la charpente due à son exposition, il résulte des analyses réalisées que le traitement préventif des bois a été délavé par les intempéries, nécessitant un nouveau traitement.
10. Il ajoute que l'expert considère que la charpente pouvait être réceptionnée avec certaines réserves en avril 2015, date à laquelle le chantier a été arrêté, ce qui aurait évité les dégradations de la charpente liées à l'exposition aux intempéries.
11. En statuant ainsi, après avoir relevé que, s'agissant du désordre affectant la structure, les barres de contreventement avaient été maintenues en place durant les opérations d'expertise et que, s'agissant des défauts concernant les assemblages, les réglages avaient également été réalisés en cours d'expertise à la suite des préconisations du sapiteur de l'expert judiciaire en charge des notes de calcul en lien avec la solidité de l'ouvrage, ce dont il résultait que la charpente, qui présentait en avril 2015 des désordres affectant sa solidité, n'était pas en état d'être reçue à cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif prononcée sur le premier moyen, pris en sa première branche, entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de l'entreprise tendant à la résiliation du marché ainsi que celle des chefs de dispositif qui statuent sur les dépens et les frais irrépétibles, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Champeau aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-cinq.