CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 janvier 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 28 F-D
Pourvoi n° A 23-13.317
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025
La Polynésie française, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 23-13.317 contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile, expropriation), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [W] [G] [V],
2°/ à Mme [X] [H], épouse [V],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
3°/ à M. le Commissaire du gouvernement, domicilié [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. et Mme [V], après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. L'arrêt attaqué (Papeete, 27 octobre 2022, n° 410) fixe les indemnités revenant à M. et Mme [V] par suite de l'expropriation, au profit de la Polynésie française, de la parcelle cadastrée section CM n° [Cadastre 2] leur appartenant.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses quatrième à sixième branches
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
3. La Polynésie française fait grief à l'arrêt de fixer une indemnité de dépréciation du surplus de la Terre [Localité 5], lot 2, par suite de l'expropriation des parcelles cadastrées section CM n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], alors :
« 1°/ que les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas ; que cette interdiction est d'ordre public et doit être soulevée d'office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée ; que ce principe général du droit s'impose à toutes les juridictions, tant administratives que judiciaires ; qu'en condamnant la Polynésie française à payer aux époux [V] une indemnité de dépréciation du surplus de la terre [Localité 5] lot 2 après expropriation des parcelles CM n° [Cadastre 1] et CM n° [Cadastre 2] à hauteur de 300 francs pacifiques le m², soit 16 568 400 francs pacifique, quand cette condamnation avait déjà été prononcée par une décision du même jour, l'arrêt n° 411, rendu par la même juridiction, identiquement composée, dans un litige opposant les mêmes parties, en la même qualité, la cour d'appel de Papeete a violé le principe général du droit susvisé ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que soit allouée deux fois la même indemnisation, du même préjudice, aux mêmes parties, prises en la même qualité ; qu'en condamnant la Polynésie française à payer aux époux [V] une indemnité de dépréciation du surplus de la terre [Localité 5] lot 2 après expropriation des parcelles CM n° [Cadastre 1] et CM n° [Cadastre 2] à hauteur de 300 francs pacifiques le m², soit 16 568 400 francs pacifique, quand cette condamnation avait déjà été prononcée par une décision du même jour, l'arrêt n° 411, rendu par la même juridiction, identiquement composée, dans un litige opposant les mêmes parties en la même qualité, la cour d'appel de
Papeete a violé l'article 1355 du code civil ;
3°/ qu'au demeurant le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime s'oppose à la double réparation d'un même préjudice ; qu'en allouant aux époux [V] une indemnité de dépréciation du surplus de la terre [Localité 5] lot 2, après expropriation des parcelles CM n° [Cadastre 1] et CM n° [Cadastre 2], à hauteur de 300 francs pacifiques le m², soit 16 568 400 francs pacifiques, quand une décision du même jour, rendue par la même juridiction, identiquement composée (CA Papeete, chambre civile, expropriation, du 27 octobre 2022, RG 21/00036, arrêt n° 411) avait également alloué cette même indemnité, réparant le même préjudice né de l'expropriation au profit de mêmes propriétaires, la cour d'appel a indemnisé un préjudice déjà réparé par une autre décision et violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel n'ayant pas prononcé deux indemnités de dépréciation du surplus de la Terre [Localité 5], lot 2, distinctes par suite de l'expropriation de chacune des parcelles cadastrées section CM n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] mais une seule et même indemnité à ce titre par suite de l'expropriation des deux parcelles cadastrées section CM n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], le moyen manque en fait.
5. Il n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La Polynésie française fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait les indemnités de dépossession et de remploi dues aux expropriés au titre de la parcelle cadastrée section CM n° [Cadastre 2], alors « qu'en se bornant à affirmer qu'« en retenant que compte tenu de la situation de l'emprise dans une zone de plus en plus attractive sur le plan touristique, de la superficie totale de la parcelle, de la valeur du sous-sol qu'il convient néanmoins de prendre en compte et des expropriations déjà intervenues dans le même secteur, le prix au m² de la terre [Localité 5] lot 2 cadastrée section CM n° [Cadastre 2] d'une superficie de 11 664 m² doit être évalué à 5 000 F CFP, soit une indemnité totale de 58 320 000 F CFP », sans indiquer sur quels termes de comparaison elle se fondait pour déterminer la valeur de la parcelle expropriée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, violant ainsi ledit article. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Les défendeurs au pourvoi contestent la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit, la Polynésie française n'ayant pas contesté en appel l'absence de référence à des termes de comparaison.
8. Cependant, la Polynésie française soutenait, dans ses conclusions d'appel, qu'il appartenait au juge de l'expropriation d'identifier et de préciser les termes de comparaison retenus pour son évaluation, lesquels devaient porter sur des biens comparables à la parcelle expropriée.
9. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française :
10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
11. Pour fixer l'indemnité de dépossession due au titre de la parcelle cadastrée section CM n° [Cadastre 2] sur une base de 5 000 francs pacifiques au m², après avoir rappelé que le prix doit refléter celui de biens comparables sur le marché immobilier, ce dont il ressort qu'il est procédé selon la méthode par comparaison, l'arrêt retient qu'il doit être tenu compte de la situation de l'emprise dans une zone de plus en plus attractive sur le plan touristique, de la superficie totale de chaque parcelle, de la valeur du sous-sol et des expropriations déjà intervenues dans le même secteur.
12. En statuant ainsi, sans indiquer sur quels termes de comparaison elle se fondait pour déterminer la valeur des parcelles expropriées, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du juge de l'expropriation n° 110-78 du 25 août 2020 en ce qu'il fixe à la somme de 58 320 000 francs pacifiques l'indemnité principale et à la somme de 8 748 000 francs pacifiques l'indemnité de remploi dues par la Polynésie française à M. et Mme [V] au titre de l'expropriation de la parcelle cadastrée section CM n° [Cadastre 2], issue de la Terre [Localité 5] lot 2, l'arrêt n° 410 rendu le 27 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne M. et Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-cinq.