N° C 23-84.619 F-D
N° 00034
MAS2
15 JANVIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JANVIER 2025
M. [B] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 4 juillet 2023, qui, pour complicité d'escroquerie en bande organisée, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 50 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [B] [P], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques, de la direction départementale des finances publiques des Alpes-Maritimes et de l'Etat français représenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 20 mars 2015, à la suite d'une enquête préliminaire relative à des faits d'escroquerie à la taxe sur la valeur ajoutée, une information a été ouverte des chefs d'escroquerie en bande organisée, de blanchiment de fraude fiscale aggravée, de faux et d'usage de faux, d'association de malfaiteurs et de manquement à une obligation déclarative, et plusieurs personnes ont été mises en examen.
3. M. [B] [P] a été mis en examen puis renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de complicité d'escroquerie en bande organisée et non-justification de ressources par une personne en relation habituelle avec l'auteur de délits.
4. Les juges du premier degré l'ont relaxé du chef de non-justification de ressources et déclaré coupable de complicité d'escroquerie en bande organisée. Ils l'ont condamné à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, une amende de 50 000 euros, dix ans d'interdiction de gérer, une confiscation et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. M. [P] et le ministère public ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [P] au paiement d'une amende délictuelle de 50 000 euros, alors :
« 1°/ que le montant de l'amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'en condamnant M. [P] à une amende de 50 000 euros aux motifs qu'il « déclare être commerçant ambulant, activité dont il indique retirer environ 3 000 euros nets de revenus par mois » , la cour d'appel, qui s'est fondée sur les revenus passés du prévenu, cependant que, du fait de l'interdiction d'exercer toute activité commerçante qu'elle prononçait, M. [P] allait perdre sa source de revenus, n'a pas justifié sa décision, en violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal ;
2°/ que le montant de l'amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'en fixant à la somme de 50 000 euros l'amende due par M. [P] en considération de ses « charges courantes », sans s'expliquer concrètement sur ces charges, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal. »
Réponse de la Cour
8. Pour condamner M. [P] à la peine de 50 000 euros d'amende, les juges énoncent qu'il vit en concubinage, qu'il a deux enfants à charge, travaille comme sa concubine en qualité de commerçant et retire pour ce qui le concerne 3 000 euros nets de revenu mensuel.
9. Ils retiennent qu'il est propriétaire de deux appartements dont il tire des revenus locatifs de 25 000 euros nets par an.
10. Ils concluent qu'au regard de l'ampleur des fonds retirés de ses activités délictuelles, mais également de ses ressources constituées du revenu de son activité professionnelle et des aides sociales et familiales, de son patrimoine et de ses charges courantes, le prononcé d'une peine d'amende de 50 000 euros apparaît adapté et proportionné à la gravité des faits, à la personnalité de leur auteur et à sa situation personnelle.
11. En prononçant ainsi, la cour d'appel qui a suffisamment motivé la peine d'amende au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, appréciées au jour de l'audience, et qui n'avait pas à prendre en compte les conséquences de la déclaration de culpabilité et du prononcé d'une interdiction de gérer, a justifié sa décision.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a considéré que l'appel de M. [P] ne portait pas sur l'action civile et, en conséquence, n'a pas statué sur les intérêts civils mis à sa charge au profit de l'Etat français et de la direction générale des finances publiques, alors « que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en considérant qu'« en l'absence d'appel des prévenus et de l'Etat français », les dispositions du jugement ayant déclaré [B] [P] responsable du préjudice invoqué par l'Etat français et l'ayant condamné solidairement avec les coprévenus à verser à l'Etat français la somme de 956 974 euros étaient définitives, cependant que l'appel de [B] [P] portait tant sur l'action publique que sur l'action civile de sorte que la cour d'appel était saisie de la question des intérêts civils, la cour d'appel a violé les articles 502 et 509 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 509 du code de procédure pénale :
14. Selon ce texte, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant.
15. L'arrêt attaqué énonce notamment qu'en l'absence d'appel de M. [P], les dispositions civiles du jugement l'ayant déclaré, avec les autres prévenus, responsable du préjudice subi par l'Etat français et l'ayant condamné solidairement à lui verser la somme de 956 974 euros à titre de dommages-intérêts pour les faits de complicité d'escroquerie en bande organisée, sont définitives.
16. En prononçant ainsi, alors que M. [P] avait relevé appel des dispositions pénales et civiles du jugement, la cour d'appel qui n'a pas prononcé sur les intérêts civils, a méconnu le texte précité.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions civiles relatives à M. [P]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 4 juillet 2023, mais en ses seules dispositions civiles relatives à M. [P], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et Mme Boudalia, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.