N° A 23-83.881 F-D
N° 00036
MAS2
15 JANVIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JANVIER 2025
M. [C] [D] et Mme [G] [D] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 8 juin 2023, qui a condamné le premier, pour faux, abus de confiance, escroquerie, travail dissimulé, blanchiment et infraction au code des assurances, à deux ans d'emprisonnement dont seize mois avec sursis, l'interdiction définitive de gérer et une confiscation, la seconde, pour blanchiment, à huit mois d'emprisonnement avec sursis, dix ans d'interdiction de gérer et une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [C] [D] et de Mme [G] [D], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [M] [S], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [C] [D] et Mme [G] [D] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel notamment des chefs susvisés.
3. Par jugement du 4 novembre 2021, ils ont été déclarés coupables de ces faits et condamnés notamment à la confiscation de deux immeubles leur appartenant, outre celle de diverses sommes d'argent figurant sur des comptes bancaires ouverts au nom de M. [D], des enfants des prévenus ou d'une société civile immobilière dont les prévenus sont associés, pour un montant total de 813 274,94 euros.
4. M. et Mme [D], certaines parties civiles, puis le ministère public, ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et le second moyen
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la confiscation des biens suivants : - le bien immobilier situé [Adresse 5] à [Localité 10] cadastré section AK numéro [Cadastre 6], d'une contenance de 00 ha 05 a 09 ca, bien acquis le 3 juin 2016 par acte de Me [R], notaire à [Localité 13], et publié le 23 juin 2016 au service de la publicité foncière de [Localité 10] sous la référence d'enliassement 4404P31 2016P1426, saisi selon ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nantes du 8 décembre 2020, - le bien immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 10], cadastré section BH, numéro [Cadastre 8], d'une contenance de 00 ha 01 a 36 ca, bien acquis le 7 février 2020 par acte de Me [V], notaire à [Localité 10], et publié le 4 mars 2020 au service de la publicité foncière de [Localité 10] sous la référence d'enliassement 4404P31 2020 P 681, bien propriété de la SCI [14] dont M. [C] et Mme [G] [D] sont les associés, saisi selon ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nantes du 8 décembre 2020, - le solde créditeur du livret A de M. [C] [D], n° [XXXXXXXXXX01], ouvert au [12] à hauteur de 6 152,41 euros - le solde créditeur du livret A de [W] [D], n° [XXXXXXXXXX02], ouvert au [12] à hauteur de 20 080,21 euros - le solde créditeur du livret A de [E] [D], numéro [XXXXXXXXXX04], ouvert au [12] à hauteur de 10 120,32 euros, - le solde créditeur du compte de la SCI [14], n° [XXXXXXXXXX03], ouvert au [12] à hauteur de 78 922,40 euros, - le véhicule Audi Q5 immatriculé [Immatriculation 11] et ses accessoires (scellés 1/VL TD, 2/VL TD et 3/VL TD), outre la somme en espèces de 1 400 euros saisie au cours de la procédure (scellé 1/TD), alors :
« 2°/ que dans les cas prévus par la loi ou le règlement, la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens qui sont susceptibles de restitution à la victime ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. [C] [D] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé et blanchiment et Mme [G] [K] pour blanchiment ; qu'il est reproché au couple, à ce titre, notamment d'avoir perçu la somme de 225.069 euros en relation avec l'activité professionnelle de M. [C] [D], sans que cette somme ait été déclarée à l'administration fiscale (arrêt, p. 43, pénultième §) et d'avoir établi des factures au nom de la société [9] de 142.001,75 euros et 181.000 euros sans que celle-ci ne les encaisse (arrêt, p. 50, § 4) ; qu'en se basant sur ces montants pour chiffrer à 900.000 euros le produit total des infractions de travail dissimulé, d'escroquerie, de fraude fiscale et de blanchiment, pour déterminer l'assiette de la confiscation (arrêt, p. 49/50), quand le produit du délit de travail dissimulé correspond à la seule économie réalisée par la fraude, la cour d'appel a violé les articles 131-21 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
8. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur les biens qui sont l'instrument, l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime, et la confiscation peut être ordonnée en valeur.
9. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien en valeur notamment de préciser quel est le fondement du caractère confiscable du bien auquel le bien confisqué se substitue, et de s'assurer que la valeur de ce bien n'excède pas celle de l'instrument, de l'objet ou du produit de l'infraction.
10. Il résulte du second de ces textes que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour confirmer la confiscation en valeur du produit des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables, l'arrêt attaqué retient qu'entre le 1er janvier 2013 et le 24 septembre 2019, 225 069 euros ont été facturés sous des noms usurpés de sociétés existantes ou radiées à des clients et qu'il s'y ajoute le produit du travail dissimulé par dissimulation d'activité commis dans le cadre de la gestion de fait, puis de droit, de la société [9] grâce auquel M. [D] a pu percevoir des sommes versées en espèces, étant relevé que l'URSSAF a chiffré le préjudice résultant des cotisations sociales éludées à la somme de 162 142 euros et que le préjudice fiscal estimé concernant cette seule société a été évalué à 33 189 euros.
12. Les juges énoncent par ailleurs que s'ajoute à ces sommes, celle totale de 480 001,75 euros correspondant à diverses dépenses effectuées par les prévenus et qui n'ont pu être réalisées qu'avec le produit du travail dissimulé et de la fraude fiscale.
13. Ils en concluent que le produit total des infractions de travail dissimulé, d'escroquerie, de fraude fiscale et de blanchiment peut être évalué à la somme de 900 000 euros, laquelle est supérieure à la valeur totale des biens confisqués.
14. En se déterminant par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle n'a retenu, au titre du produit du travail dissimulé, que la seule économie réalisée par la fraude, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir sera limitée aux dispositions relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 8 juin 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et Mme Boudalia, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.