SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 33 FS-D
Pourvoi n° Q 23-11.766
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2025
1°/ M. [I] [W], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Gigaffaires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Q 23-11.766 contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [N] [E], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [W] et de la société Gigaffaires, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [E], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 décembre 2022), et les productions, Mme [E] a été engagée en qualité de caissière le 10 janvier 2007 par la société Setaffaires, dont le gérant était M. [W], ce dernier étant également gérant de la société Gigaffaires.
2. La salariée a bénéficié d'un congé parental d'éducation se terminant le 17 avril 2013. Le 7 mars 2012, M. [W] a informé la salariée que la société Setaffaires avait été reprise par une nouvelle direction.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 26 novembre 2015 afin de voir constater la qualité de co-employeurs des sociétés Setaffaires et Gigaffaires et de M. [W], de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de ces employeurs et d'obtenir leur condamnation à lui payer diverses sommes au titre des indemnités de rupture et des salaires jusqu'au prononcé de la résiliation judiciaire.
4. Parallèlement, par jugement du 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [W] coupable du chef d'organisation frauduleuse d'insolvabilité afin d'échapper à une condamnation patrimoniale.
5. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 28 février 2024, la salariée étant déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. M. [W] et la société Gigaffaires font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de dire qu'ils sont co-employeurs de Mme [E], de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au 18 avril 2013, de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de les condamner in solidum à payer à Mme [E] des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité légale de licenciement et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ; que Mme [E] demandait à la cour d'appel de condamner solidairement M. [W] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure de licenciement ; que les créances invoquées étaient donc toutes nées de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail ; qu'en retenant cependant, pour dire que la rupture remontant au plus tôt au 18 avril 2013, que l'action engagée par Mme [E] le 26 novembre 2015 n'était pas prescrite, que l'action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n'est pas partie au contrat ne porte pas sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 1471-1 du code du travail mais est une action en reconnaissance d'un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil par fausse application et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017 par refus d'application ;
2°/ que les lois spéciales dérogent aux lois générales ; que si l'action tendant au paiement de créances salariales et indemnitaires dont le succès suppose que soit préalablement reconnue la qualité de co-employeurs des défendeurs a un caractère personnel, elle est néanmoins régie par les dispositions spéciales du code du travail ; que Mme [E] demandait à la cour d'appel de condamner solidairement M. [W] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure de licenciement ; qu'en retenant, pour dire que l'action engagée par Mme [E] n'était pas prescrite, que l'action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n'est pas partie au contrat est une action en reconnaissance d'un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, ensemble le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
9. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action visant à la reconnaissance d'une situation de co-emploi revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.
10. Lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d'une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l'existence de la fraude, lui permettant d'exercer son droit.
11. Ce point de départ est également applicable aux actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d'une situation de co-emploi, lesquelles sont soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée.
12. La cour d'appel, ayant relevé que le procureur de la République avait fait citer M. [W] devant le tribunal correctionnel courant 2016, procédure dans laquelle Mme [E] s'était constituée partie civile, et au cours de laquelle elle avait été en mesure de connaître l'organisation frauduleuse d'insolvabilité par son employeur, et que cette dernière avait saisi la juridiction prud'homale le 26 novembre 2015 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [W] et de leur réclamer les indemnités relatives à la rupture du contrat de travail, en a exactement déduit que son action n'était pas prescrite.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [W] et la société Gigaffaires aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [W] et la société Gigaffaires et les condamne à payer à Mme [E] la somme de 1 500 euros, chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé le quinze janvier deux mille vingt-cinq, par mise à disposition au greffe de la Cour, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.