N° F 24-85.569 F-D
N° 01692
GM
11 DÉCEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 DÉCEMBRE 2024
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 25 juillet 2024, qui a renvoyé M. [M] [K] devant la cour criminelle départementale du Rhône sous l'accusation de viols et agressions sexuelles aggravés, tentative de viol aggravé et agressions sexuelles.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [M] [K] et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 21 mars 2024, le juge d'instruction a ordonné la mise en accusation et le renvoi de M. [M] [K] devant la cour criminelle départementale des chefs précités.
3. L'accusé a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 121-5, 222-31 du code pénal et du principe ne bis in idem.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la mise en accusation de M. [K] pour avoir commis ou tenté de commettre des agressions sexuelles aggravées sur les personnes de MM. [J] et [L], alors :
1°/ que les mêmes faits ne peuvent être qualifiés alternativement d'agressions sexuelles ou de tentative d'agressions sexuelles, qui répondent à des éléments constitutifs différents ;
2°/ que la chambre de l'instruction n'a pas, pour retenir les tentatives d'agressions sexuelles, caractérisé de commencement d'exécution et l'absence de désistement volontaire.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. L'arrêt attaqué, après avoir énoncé qu'il résultait de l'information des charges suffisantes contre M. [K] d'avoir commis, au préjudice de MM. [J] et [L], les faits d'agressions sexuelles des chefs desquels il a été mis en examen, a ordonné le renvoi de l'intéressé pour avoir commis ou tenté de commettre des atteintes sexuelles, avec violence, contrainte, menace ou surprise sur ces derniers.
9. En se déterminant ainsi, sans caractériser des tentatives, manifestées par un commencement d'exécution, ayant été suspendues ou ayant manqué leur effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
10. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen est pris de griefs de violation des articles 222-24, 3° et 3° bis du code pénal, défaut de motifs, manque de base légale.
12. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a mis en accusation M. [K] des chefs de viols et agressions sexuelles commis sur M. [B], personne qu'il savait particulièrement vulnérable en raison de son état physique ou mental ou en raison de sa situation économique ou sociale, alors :
1°/ que les circonstances aggravantes relatives aux formes de particulière vulnérabilité des victimes, prévues aux 3° et 3° bis de l'article 222-24 du code pénal, sont rédigées en termes différents ;
2°/ que la chambre de l'instruction ne caractérise aucunement la particulière vulnérabilité ou dépendance de M. [B] résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale qui aurait été apparente ou connue de l'auteur, au sens du 3° bis de l'article 222-24 du code pénal.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
13. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
14. La chambre de l'instruction a mis en accusation M. [K] des chefs de viols et agressions sexuelles commis sur M. [B], personne qu'il savait particulièrement vulnérable en raison de son état physique ou mental ou en raison de sa situation économique ou sociale.
15. En prononçant ainsi, sans avoir caractérisé la particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l'auteur, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
16. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen est pris de griefs de violation des articles 202 du code de procédure pénale, 222-22 et 222-29 du code pénal, défaut de motifs, manque de base légale.
18. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'après avoir dit n'y avoir lieu à requalification du chef de viols, il a ordonné la mise en accusation de M. [K] pour agressions sexuelles aggravées commises au préjudice de M. [L], alors :
1°/ que les actes de fellation qui ont été imposés à M. [L] du 1er février 2020 au 30 mai 2021 sont des actes de pénétration sur M. [K], inclus par conséquent dans la définition du viol résultant de la loi du 3 août 2018 ;
2°/ que le second alinéa de l'article 202 du code de procédure pénale permet à la chambre de l'instruction de statuer sans ordonner une nouvelle information si les chefs de poursuite ont été compris dans les faits pour lesquels la personne a été mise en examen ;
3°/ que la requalification avait été requise par le parquet général dans son mémoire déposé devant la chambre de l'instruction et que la personne mise en examen a déposé un mémoire en réponse, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté.
Réponse de la Cour
Vu l'article 202 du code de procédure pénale :
19. La chambre de l'instruction peut, en application de l'alinéa 2 de ce texte, modifier et compléter les qualifications données aux faits par le ministère public ou le juge d'instruction sans ordonner une nouvelle information si les chefs de poursuite qu'elle retient ont été compris dans les faits pour lesquels la personne a été mise en examen par le juge d'instruction.
20. Dès lors que les éléments matériels sur lesquels se fonde la requalification ont été discutés lors de l'information, la chambre de l'instruction n'a l'obligation ni d'ordonner un complément d'information ni de provoquer de nouvelles explications des parties.
21. Pour renvoyer la personne mise en examen pour agressions sexuelles aggravées commises au préjudice de M. [L], l'arrêt constate notamment que le plaignant a dénoncé des faits de fellation pratiqués sur sa personne par M. [K] sous la contrainte, tandis que celui-ci a déclaré ne pas se souvenir des faits précis évoqués et avoir entretenu une relation consentie avec l'intéressé.
22. Les juges ajoutent que, M. [K] n'ayant pas été mis en examen pour viols en ce qui concerne ces faits et n'ayant pas pu s'exprimer devant le juge d'instruction sur cette qualification, il ne sera pas fait droit aux réquisitions de requalification fondées sur la définition du viol résultant de la loi du 3 août 2018.
23. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les éléments matériels fondant la demande de requalification avaient été discutés lors de l'information, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
24. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux agressions sexuelles aggravées qui auraient été commises au préjudice de MM. [E] et [L] ainsi que les viols et agressions sexuelles aggravés qui l'auraient été au préjudice de M. [B]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
26. Il n'y a pas lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 25 juillet 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux faits qui auraient été commis au préjudice de MM. [E], [L] et [B], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.