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04/12/2024 | FRANCE | N°12400690

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 04 décembre 2024, 12400690


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


CF






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 4 décembre 2024








Cassation partielle




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 690 F-D


Pourvoi n° W 23-13.888












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS> _________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 DÉCEMBRE 2024


Mme [W] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-13.888 contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la cour d'appel d'Aix...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 décembre 2024

Cassation partielle

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 690 F-D

Pourvoi n° W 23-13.888

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 DÉCEMBRE 2024

Mme [W] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-13.888 contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant à la Selarl [N] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [M], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la Selarl [N] et associés, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 octobre 2022), par contrat du 28 novembre 2018, Mme [M], avocate, a été engagée en qualité de collaboratrice libérale par la Selarl [N] et associés (la société) avec effet au 1er mars 2019.

2. Mme [M] a informé la société de son état de grossesse mi-avril 2019.

3. Début juin 2019, les relations entre les parties se sont dégradées et, par une convention conclue le 26 juin 2019, les parties ont mis fin au contrat de collaboration à effet du 1er septembre 2019 et prévu que la société pourrait librement confier des missions de sous-traitance à Mme [M] sur des dossiers ponctuels en droit des affaires ou de propriété intellectuelle et que celle-ci serait libre de refuser d'intervenir.

4. Le 28 août 2019, Mme [M] a adressé à la société une facture relative au dernier mois de collaboration ayant donné lieu à un échange sur le calcul de l'intéressement.

5. Par lettre du 14 octobre 2019, Mme [M] a contesté la rupture d'un commun accord de son contrat de collaboration, en invoquant son état de grossesse comme motif discriminatoire de la rupture.

6. Le 12 novembre 2019, elle a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de cette contestation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Mme [M] fait grief à l'arrêt de dire que le contrat de collaboration libérale a été rompu d'un commun accord entre les parties selon des modalités négociées et arrêtées entre elles et de rejeter en conséquence toutes les demandes relatives aux conséquences de la rupture du contrat de collaboration, alors « qu'est nul le contrat conclu par une partie poursuivant un but illicite ; que toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité et constitue un but illicite ; que toute personne qui s'estime victime d'une discrimination doit seulement présenter les faits qui permettent d'en faire présumer l'existence, à charge pour la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que ces règles s'appliquent aux relations entre une collaboratrice libérale et le ou les avocats auprès desquels elle exerce ; qu'en l'espèce, il était soutenu que si le cabinet [N] avait pris l'initiative de proposer à Me [M] une rupture conventionnelle du contrat de collaboration libérale, c'est à raison de l'état de grossesse de celle-ci, dont Me [N] était informé, de sorte que la convention de rupture était nulle en raison de son motif discriminatoire ; que la cour d'appel a retenu que les parties auraient valablement conclu la convention de rupture au prétexte qu'à l'appui de son affirmation selon laquelle Me [M] avait été poussée vers la sortie à raison de son état de grossesse, "aucune des pièces produites aux débats par les parties pour la période comprise entre la date de signature du contrat de collaboration en novembre 2108 et la date de fin dudit contrat au 1er septembre 2019 ne mentionne une quelconque référence à son état de grossesse" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, si Me [M] ne rapportait pas aux débats des éléments de nature à faire présumer l'existence du mobile illicite, à savoir la discrimination en raison de l'état de grossesse, contraignant le cabinet [N] à établir que la convention de rupture était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1162 du code civil, ensemble l'article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1162 du code civil, 1er et 4, alinéa 1er, de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 :

9. Selon le premier de ces textes, le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.

10. Selon le deuxième, constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de sa grossesse, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

11. Selon le troisième, toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

12. Il s'en déduit qu'un contrat qui aurait pour but de discriminer une avocate à raison de son état de grossesse poursuivrait un but illicite et qu'il appartient seulement à celle-ci de présenter à la juridiction des faits permettant de présumer l'existence de la discrimination.

13. Pour rejeter la demande de Mme [M] tendant à l'annulation de la convention de rupture, l'arrêt retient qu'aucune des pièces produites aux débats lors de sa conclusion ne fait référence à l'état de grossesse de Mme [M], qu'elle n'a fait elle-même le lien entre cette grossesse et la rupture du contrat que plusieurs mois après et que la rupture est intervenue d'un commun accord et de manière négociée par deux avocats.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les faits allégués par Mme [M] permettaient ou non, conformément au régime de preuve instauré, de présumer l'existence d'une discrimination à raison de son état de grossesse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé la décision du bâtonnier en ce qu'il avait dit que le contrat de collaboration prévoyait une rémunération variable calculée sur les factures encaissées par le cabinet [N] et associés et que le seuil de déclenchement n'avait pas été franchi pour les mois de mai et juillet 2019 et rejeté la demande relative au paiement de la part variable, l'arrêt rendu le 4 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la Selarl [N] et associés aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par elle et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12400690
Date de la décision : 04/12/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 04 octobre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 04 déc. 2024, pourvoi n°12400690


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Delamarre et Jehannin

Origine de la décision
Date de l'import : 10/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:12400690
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