LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 582 F-D
Pourvoi n° N 24-12.343
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 février 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 OCTOBRE 2024
Mme [S] [M], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 24-12.343 contre les arrêts rendus le 19 décembre 2023 et le 24 octobre 2024 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [F], domicilié [Adresse 3] (Royaume-Uni),
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [M], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [F], après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 24 octobre 2023 et 19 décembre 2023), de l'union de M. [F] et Mme [M] est né [E], le 10 septembre 2021, à [Localité 4] (Royaume-Uni).
2. Le 29 août 2022, Mme [M] est partie en France avec l'enfant et a refusé de le ramener au Royaume-Uni.
3. Le 20 janvier 2023, M. [F] a engagé une procédure aux fins de retour de l'enfant au Royaume-Uni sur le fondement de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.
4. Le 21 mars 2023, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a saisi, à cette fin, le juge aux affaires familiales. M. [F] est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, sur le deuxième moyen et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. Mme [M] fait grief à l'arrêt du 24 octobre 2023 de constater que la déclaration d'appel de M. [F] du 23 mai 2023 n'est pas caduque et de rejeter l'incident d'instance, alors « que ne méconnaît pas le droit à un recours effectif la règle sanctionnant par la caducité de la déclaration d'appel l'absence de transmission simultanée des conclusions et pièces de l'appelant dans le délai de leur remise à chacune des parties en cas d'indivisibilité du litige, y compris dans une procédure relative à un déplacement illicite international d'enfant en application de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt que M. [F] n'a pas adressé ses conclusions d'appel dans le délai de leur remise au Ministère Public, partie à l'instance relative à une procédure tendant à ordonner le retour d'un enfant sur le fondement de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 par nature indivisible ; qu'en écartant néanmoins le moyen pris de la caducité de la déclaration d'appel aux motifs inopérants qu'eu égard à la matière en cause, au raccourcissement des délais, ainsi qu'à l'absence de grief résultant de cette omission pour le Ministère Public, cette sanction procéderait d'un formalisme excessif, la cour d'appel a violé les articles 905-2, 906 et 911 du code de procédure civile par refus d'application, et l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales par fausse application. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.
8. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.
9. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Henrioud c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11), a retenu qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge. En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13 a) de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.
10. Après avoir énoncé que, selon l'article 906 du code de procédure civile, les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie et, en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués, la cour d'appel a constaté que, si l'appelant avait adressé ses conclusions au greffe par voie électronique, celles-ci n'avaient pas été adressées simultanément au ministère public, alors même qu'il avait la qualité de partie à l'instance, dans le délai de leur remise à la cour d'appel, de sorte que, le litige étant indivisible, la caducité de la déclaration d'appel était encourue.
11. Ayant relevé, en premier lieu, que, dans une procédure aux enjeux importants relatifs à l'intérêt de l'enfant, l'appel tend à voir examiner l'existence d'une exception à son retour dans le pays de sa résidence habituelle sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, en deuxième lieu, que la célérité particulière de la procédure exigeait que l'appelant communique ses écritures au greffe et aux parties dans un délai volontairement raccourci par le président de la chambre comme les textes l'autorisent, et, en troisième lieu, que le ministère public n'invoquait aucun grief résultant de l'omission en cause, la cour d'appel en a justement déduit qu'elle ne saurait néanmoins, sans formalisme excessif, prononcer, à titre de sanction, la caducité de l'appel.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
12. Mme [M] fait grief à l'arrêt du 19 décembre 2023 de la condamner à verser à M. [F] la somme de 6 000 euros en application de l'article 26 de la Convention de La Haye, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [M] invoquait l'irrecevabilité de la demande formée par M. [F] sur le fondement de l'article 26 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, par application de l'article 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile imposant aux parties de présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions ; qu'elle faisait observer que, ni dans ses premières conclusions d'appel, ni dans ses conclusions d'appelant n° 2, M. [F] n'avait formulé une telle demande et que ce n'est que dans ses conclusions n° 3 qu'il formulait, pour la première fois, cette prétention ; qu'en écartant ce moyen après avoir relevé que « Mme [S] [M] soutient que la demande en paiement de la somme de 26.448,92 euros au titre de l'article 26 de la convention de La Haye est irrecevable en ce qu'il s'agit d'une prétention nouvelle en cause d'appel » (arrêt, p. 8, § 7), au motif qu'il ressort du jugement de première instance que M. [R] [F] a été débouté de sa demande formée au titre de l'article 26, de sorte que sa demande en appel n'est pas nouvelle (arrêt, p. 8, dernier §), quand Mme [M] n'invoquait nullement un moyen pris de l'irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
14. Pour déclarer recevable la demande formée par M. [F] sur le fondement de l'article 26 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, l'arrêt, après avoir énoncé que, dans ses conclusions d'appel, Mme [M] soutenait que cette demande était irrecevable en ce qu'il s'agissait d'une prétention nouvelle en cause d'appel, retient qu'il ressort du jugement que M. [F] a été débouté de ladite demande, de sorte que sa demande en appel n'est pas nouvelle.
15. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, Mme [M] soutenait que cette demande était irrecevable comme méconnaissant les dispositions de l'article 910-4, alinéa 1er, du code de procédure civile aux termes desquelles, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter dès leurs premières conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation du chef de dispositif condamnant M. [F] à verser à Mme [M] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 26 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant M. [F] aux dépens, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné Mme [M] à verser à M. [F] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 26 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980, l'arrêt rendu le 24 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne Mme [M] aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.