COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 549 F
Pourvoi n° U 23-13.173
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 OCTOBRE 2024
La société Jeric, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 23-13.173 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2023 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [E],
2°/ à Mme [U] [O], épouse [E],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
3°/ à M. [I] [Y], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Jeric, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 janvier 2023), par un acte du 3 décembre 2004, la société Jeric a consenti à la société Formage et repoussage des métaux - Forme (la société) un bail commercial pour une durée de neuf années à compter du 1er décembre 2004.
2. M. [E] et Mme [O], épouse [E], (M. et Mme [E]) se sont rendus cautions de l'exécution du bail dans la limite de la somme de 150 000 euros TTC.
3. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société Jeric a assigné en paiement les cautions, qui lui ont opposé la nullité de leurs engagements, pour non-respect du formalisme légal relatif aux mentions manuscrites.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Jeric fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de l'engagement de caution souscrit par M. et Mme [E] et, en conséquence, de rejeter sa demande de paiement, alors :
« 1°/ qu'il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi du 1er août 2003, que le cautionnement à durée indéterminée est licite ; que la cour d'appel, pour annuler l'engagement de caution litigieux, s'est fondée sur le renvoi opéré par la mention relative à la durée du cautionnement, à la durée d'application" du bail commercial, telle qu'elle ressort des clauses du contrat", étant ajouté que, le bail étant renouvelable par tacite reconduction, la mention d'un engagement pour toute la durée d'application de celui-ci" ne permet pas à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'était licite le cautionnement à durée indéterminée, ce qui était le cas du cautionnement des obligations souscrites par le preneur à bail commercial, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°/ que l'imperfection qui entache la mention manuscrite exigée par l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2003, n'entraîne la nullité du cautionnement que s'il est établi qu'elle a modifié le sens et la portée de l'engagement pris par la caution ; que la cour d'appel, pour annuler l'engagement de caution litigieux, s'est fondée sur le renvoi opéré par la mention relative à la durée du cautionnement, à la 'durée d'application' du bail commercial, telle qu'elle ressort des clauses du contrat", étant ajouté que, le bail étant renouvelable par tacite reconduction, la mention d'un engagement pour toute 'la durée d'application de celui-ci' ne permet pas à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement" ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant relevé que M. [E], caution, était le dirigeant de la société dont il a garanti les engagements au titre du bail commercial consenti par la société Jeric, ce dont il se déduisait qu'il avait nécessairement une représentation exacte du sens et de la portée de son engagement de caution, la cour d'appel a encore violé la disposition susvisée ;
3°/ que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 3413 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant ; que, pour refuser d'admettre que les cautions avaient renoncé à la nullité de leur engagement de caution, la cour d'appel, après avoir énoncé que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance d'un vice l'affectant et l'intention de le réparer, et la réalisation de ces conditions ne peut résulter de l'absence de contestation de la validité de l'acte avant l'instance en cause ou même de l'invocation de sa validité dans une autre instance", a estimé que le seul fait que les époux [E] n'aient pas soulevé la nullité de leur engagement de caution lors des instances de référé engagées en 2009 ne permet pas de considérer qu'ils avaient effectivement connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la confirmation par les époux [E] de leur engagement de caution, eu égard aux deux condamnations prononcées à leur encontre par le juge des référés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que, pour annuler l'engagement de caution litigieux, la cour d'appel s'est contentée d'énoncer que les époux [E] soutiennent à juste titre que l'acte de cautionnement ne respecte pas les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation (
) en ce qui concerne la solidarité de la caution" ; qu'en statuant ainsi, sans autrement s'expliquer sur le non-respect par la mention manuscrite des prévisions de l'article L. 341-3 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, la cour d'appel, qui s'est déterminée par voie d'affirmation générale, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, il résulte de l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, que la mention manuscrite de la durée du cautionnement doit être exprimée de manière précise et sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l'acte.
6. Après avoir énoncé à bon droit que la durée de l'engagement de la caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l'acte puis relevé que, sur l'acte de cautionnement, M. et Mme [E] ont, chacun, écrit la mention manuscrite suivante : "lu et approuvé, bon pour caution personnelle et solidaire avec renonciation au bénéfice de discussion et de division, au profit de la société Jeric, de toutes sommes dues à cette dernière par la société formage et repoussage des métaux - forme en principal, intérêts de toutes natures, frais et accessoires en exécution du présent bail commercial et pour la durée d'application de celui-ci, dans la limite d'une somme de cent cinquante mille euros (150 000 €) TTC que je m'engage à payer tant sur mes biens propres que sur les biens communs avec mon époux(se) autre caution soussigné(e)", l'arrêt retient que cette mention ne précise pas la durée de l'engagement des cautions, puisqu'elle renvoie à "la durée d'application" du bail commercial, telle qu'elle ressort des clauses du contrat cautionné. L'arrêt ajoute qu'au surplus, le bail étant renouvelable par tacite reconduction, la mention d'un engagement pour toute "la durée d'application de celui-ci" ne permet pas à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement.
7. En second lieu, après avoir exactement énoncé que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance d'un vice l'affectant et l'intention de le réparer, et que la réalisation de ces conditions ne peut résulter de l'absence de contestation de la validité de l'acte avant l'instance en cause ou même de l'invocation de sa validité dans une autre instance, l'arrêt retient que le seul fait que M. et Mme [E] n'aient pas soulevé la nullité de leur engagement de caution lors des instances de référé engagées à leur encontre en 2009 par la société Jeric ne permet pas de considérer qu'ils avaient effectivement connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, la cour d'appel a retenu à bon droit qu'à défaut de précision de la durée du bail dans la mention manuscrite, celle-ci ne permettait pas aux cautions d'avoir une pleine connaissance de la portée de leur engagement et que, ces dernières ne l'ayant pas confirmé par un acte non équivoque, cet engagement devait être annulé.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Jeric aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.