COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 554 F
Pourvoi n° E 22-11.201
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 OCTOBRE 2024
Mme [X] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 22-11.201 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié [Adresse 2], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de Mme [V], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2021, RG n° 20/09451), afin de bénéficier d'une réduction d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en application de l'article 885-0 V bis du code général des impôts, Mme [V] a joint à ses déclarations d'ISF des années 2009 et 2010 une attestation de la société Finaréa Oméga certifiant qu'elle avait investi une certaine somme dans le capital de cette société, se présentant comme une société holding animatrice de groupe.
2. Considérant que la société Finaréa Oméga n'avait pas cette qualité, de sorte que Mme [V] ne pouvait prétendre à l'avantage en cause, l'administration fiscale lui a adressé une proposition de rectification.
3. Après rejet de sa réclamation contentieuse, Mme [V] a assigné l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge des impositions réclamées.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa septième branche
4. En application de l'article 1014 alinéa 2 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.
Sur le moyen, pris en ses sept autres branches
Enoncé du moyen
5. Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter toutes ses demandes, alors :
« 1°/ que l'administration est tenue d'identifier avec précision, dans sa proposition de rectification, les documents sur lesquels elle se fonde ; que n'est pas régulière la procédure dont la justification repose sur des bases fluctuantes ; qu'au cas présent, la contribuable avait souligné dans ses conclusions d'appel qu'à s'en tenir aux seuls éléments ayant fondé le redressement, leur identification exacte avait varié au fil des discussions avec l'administration fiscale, empêchant la tenue d'un débat contradictoire qui fût lui-même fiable et reposant sur des bases solides ; qu'en ne procédant à aucune recherche à cet égard, la cour d'appel, qui a négligé la circonstance que la liste eût été de bonne méthode et qu'il était en tout cas indispensable d'identifier avec précision les bases factuelles du redressement, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 76 du Livre des procédures fiscales, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 6-1 de la CEDH, ensemble les principes de loyauté, du contradictoire, du respect des droits de la défense et du procès équitable ;
2°/ que toute décision de justice doit être motivée, à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'au cas présent, la contribuable avait souligné dans ses conclusions d'appel qu'à s'en tenir aux seuls éléments ayant fondé le redressement, leur identification exacte avait varié au fil des discussions avec l'administration fiscale, empêchant la tenue d'un débat contradictoire qui fût lui-même fiable et reposant sur des bases solides ; que, pourtant, la cour d'appel a considéré que la procédure de redressement était régulière, sans faire référence à cette question ; qu'en statuant ainsi, sans se demander si l'établissement d'une liste eût été de bonne méthode et si les bases factuelles du redressement avaient été identifiées avec précision, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que l'administration doit, si la demande lui en est faite et avant la mise en recouvrement, communiquer au contribuable l'ensemble des éléments considérés par elle pour émettre la proposition de rectification : les éléments à charge comme les éléments à décharge, ceux ayant fondé les motifs de la proposition de rectification comme ceux ayant été considérés par l'administration mais n'ayant pas été retenus par elle dans sa motivation ; qu'au cas présent, la contribuable avait demandé à l'administration fiscale, avant la mise en recouvrement, la communication de son entier dossier, en ce compris les éléments recueillis par l'administration lors du contrôle des sociétés holdings Finaréa, contrôle qui avait conduit à délivrer des avis de non-redressement auxdites sociétés holdings ainsi qu'à les inviter à demander remboursement de crédits de TVA ; que les conclusions d'appel de la contribuable rappelaient qu'il n'avait jamais été déféré à cette demande par l'administration ; qu'en réponse, la cour d'appel s'est contentée d'énoncer que la procédure de redressement est régulière. La proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable n'ont pas contrevenu aux dispositions précitées contenues dans le livre des procédures fiscales" ; qu'en statuant ainsi, cependant que les principes de loyauté et du procès équitable imposent la communication par l'administration au contribuable qui en fait la demande y compris des éléments en sa possession qu'elle a choisi de ne pas viser mais qui sont susceptibles de jeter un jour nouveau ou simplement différent sur les faits de la cause, la cour d'appel a violé l'article L. 76 du Livre des procédures fiscales, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 6-1 de la CEDH, ensemble les principes de loyauté, du contradictoire, du respect des droits de la défense et du procès équitable ;
4°/ que toute décision de justice doit être motivée, à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'au cas présent, la contribuable avait demandé à l'administration fiscale, avant la mise en recouvrement, la communication de son entier dossier, en ce compris les éléments recueillis par l'administration lors du contrôle des sociétés holdings Finaréa, contrôle qui avait conduit à délivrer des avis de non-redressement auxdites sociétés holdings ainsi qu'à les inviter à demander remboursement de crédits de TVA ; que les conclusions d'appel de la contribuable rappelaient qu'il n'avait jamais été déféré à cette demande par l'administration ; qu'en réponse, la cour d'appel s'est contentée d'énoncer que la procédure de redressement était régulière, sans faire référence à cette question ; qu'en statuant ainsi, sans se demander si les principes de loyauté et du procès équitable imposent la communication par l'administration au contribuable qui en fait la demande y compris des éléments en sa possession qu'elle a choisi de ne pas viser mais qui sont susceptibles de jeter un jour nouveau ou simplement différent sur les faits de la cause, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que l'administration doit s'expliquer sur l'origine des pièces prétendument accessibles au public visées à l'appui de son redressement ; qu'au cas présent, la contribuable soulignait dans ses conclusions d'appel n'avoir jamais obtenu d'explication de ce chef de la part de l'administration fiscale ; qu'en retenant que l'administration fiscale rappelle le recours à des informations légales et financières accessibles au public (bilan, rapports de gestion)" la cour d'appel a exonéré l'administration fiscale de son obligation en la matière, en violation des articles L. 76 et L. 76B du Livre des procédures fiscales, de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 6-1 de la CEDH, ensemble les principes des droits de la défense, du procès équitable et de loyauté ;
6°/ que la communication des documents fondant la proposition de rectification, quand elle est demandée par le contribuable, s'impose à l'administration fiscale, quand bien même ledit contribuable pourrait y avoir accès par ailleurs ; qu'en relevant, à l'appui de sa décision de dire satisfaites les obligations de communication pesant sur l'administration fiscale, la circonstance que M. [E] [Y] président de Finaréa Sas agissant en qualité de mandataire de Mme [X] [V], signataire de la réponse, ne fait aucunement valoir le 08 février 2013 un manque d'information et étaye sa position par des éléments de preuve tirés de la vérification de comptabilité de la société Finaréa Omega", donc, si l'on suit la cour, que ce mandataire était susceptible de transmettre à la contribuable des éléments complémentaires d'information également utilisés par l'administration dans son dossier, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article L. 76 du Livre des procédures fiscales, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 6-1 de la CEDH, ensemble les principes de loyauté, du contradictoire et du procès équitable ;
8°/ que toute décision de justice doit être motivée, à peine de nullité ; que, dans ses conclusions d'appel, la contribuable avait fait valoir que l'administration, en répondant à ses observations, n'avait pas exécuté l'obligation de motivation qui lui incombait; qu'en se bornant à affirmer que l'administration réplique point par point et de manière motivée aux contestations soulevées", sans prendre la peine d'expliciter la motivation litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 57 du Livre des procédures fiscales, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 6-1 de la CEDH, ensemble les principes des droits de la défense, du procès équitable et de loyauté. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'est pas applicable au présent litige, dès lors que l'ISF n'entre pas dans le champ d'application du droit de l'Union. Il en va de même de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est pas applicable au contentieux fiscal lorsque le contribuable se borne, comme en l'espèce, à contester le bien-fondé des suppléments d'impôt mis à sa charge sans présenter de contestation propre aux pénalités.
7. En second lieu, selon l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition de rectification et communique, avant la mise en recouvrement, une copie de ces documents au contribuable qui en fait la demande.
8. L'obligation qui résulte de ce texte ne s'impose à l'administration que pour les seuls renseignements et documents effectivement utilisés pour fonder les rectifications, qu'elle a obtenus de tiers, dont le contribuable doit être informé avec une précision suffisante pour lui permettre de discuter utilement leur origine ou de demander qu'ils soient mis à sa disposition.
9. Ni ce texte ni l'obligation de loyauté dans l'établissement des impositions à laquelle l'administration fiscale est tenue ne lui imposent de mettre à la disposition du contribuable les documents qu'elle n'a pas retenus pour fonder les rectifications, afin de permettre à ce dernier d'apprécier si, parmi ces documents, figurent des éléments de nature à démontrer que l'imposition réclamée n'est pas due.
10. Ce texte n'impose pas non plus à l'administration fiscale d'adresser au contribuable une liste spécifique des documents qu'elle invoque dès lors qu'ils sont identifiés dans le contenu de la proposition de rectification.
11. Par ailleurs, l'obligation qui résulte de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne porte pas sur les documents rendus accessibles au public en vertu d'une obligation légale, lesquels ne doivent être mis à la disposition du contribuable que si celui-ci indique n'avoir pu y avoir accès
10. L'arrêt retient que l'obligation qui résulte de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne porte pas sur les documents rendus accessibles au public en vertu d'une obligation légale, lesquels ne doivent être mis à la disposition du contribuable que si celui-ci indique n'avoir pu y avoir accès. Il relève que M. [Y], agissant en qualité de mandataire de Mme [V], ne fait aucunement valoir un manque d'information et étaye sa position par des « éléments de preuve » tirés de la vérification de comptabilité de la société Finarea Oméga. Il ajoute que l'administration fiscale a communiqué à Mme [V] les modalités de contrôle de la société Finarea Oméga et l'identité du tiers auprès duquel la procédure a été diligentée, et que cette administration rappelle qu'elle a eu recours à des informations légales et financières accessibles au public (bilan, rapports de gestion) en adressant les pièces référencées dans la proposition de rectification.
12. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la procédure était régulière.
13. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [V] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.