N° R 24-81.047 F-D
N° 01186
GM
8 OCTOBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 OCTOBRE 2024
M. [S] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Amiens, en date du 9 janvier 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vols aggravés en bande organisée, blanchiment, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, association de malfaiteurs, infractions à la législation sur les armes, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 28 mars 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [S] [M], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés le 2 décembre 2022, M. [S] [M] a présenté, le 11 avril 2023, une requête en nullité d'actes et de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le second moyen
3. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la nullité des deux réquisitions téléphoniques des 18 février et 1er mars 2022 portant sur les données de connexion de M. [M], alors :
« 1°/ qu'en matière de données de connexion, l'autorisation donnée par le procureur de la République à un officier ou agent de police judiciaire de requérir aux opérateurs de télécommunication l'accès à de telles données, doit être spéciale et viser expressément cet acte d'investigation ; en effet, s'agissant d'une mesure d'investigation par nature intrusive et attentatoire aux libertés, l'absence de contrôle par une autorité indépendante et le risque d'abus de pouvoir impliquent à tout le moins qu'un magistrat l'autorise expressément et spécialement ; en se fondant en l'espèce, pour rejeter la nullité des deux réquisitions téléphoniques des 18 février et 1er mars 2022 tirée de l'absence d'autorisation expresse par le magistrat compétent, sur le visa extrêmement général du substitut du procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens, en date du 3 février 2022, par lequel celui-ci a délivré « l'autorisation permanente [
] d'établir des réquisitions sans solliciter à chaque émission d'un tel acte son autorisation et ce dans une limite de montant engagé à 1 000 euros », ce qui revenait à laisser de facto les officiers de police seuls juges de l'opportunité et de la légalité de l'accès aux données de connexion de M. [M], la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, outre l'article 15 § 1 de la directive 2002/58/CE, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, §1, de la Charte des droits fondamentaux ;
2°/ qu'en l'état de cette irrégularité, il entrait dans l'office de la chambre de l'instruction de rechercher si celle-ci causait un grief au requérant ; un tel grief est établi lorsque l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, qu'il n'a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou qu'il a excédé les limites du strict nécessaire ; en l'espèce, la chambre de l'instruction n'a recherché pour aucune des deux réquisitions litigieuses si l'accès avait porté sur des données régulièrement conservées et pour une finalité au moins aussi grave que celle ayant justifié leur conservation ; s'agissant spécialement de la seconde réquisition du 1er mars, elle n'a pas non plus vérifié si la durée de l'accès ayant duré dix mois et le champ des données collectées étaient strictement limités aux nécessités de l'enquête ; en ne procédant pas à ces recherches, la chambre de l'instruction a de nouveau violé les textes sus-énoncés ;
3°/ qu'en outre, lorsqu'un mis en examen soutient que ses données, initialement conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, ont fait l'objet d'une injonction de conservation rapide en répression de la criminalité grave, il appartient à la juridiction de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire ; en l'espèce, M. [M] soutenait dans sa requête qu'il résultait des deux réquisitions litigieuses et des procès-verbaux d'exploitation que, bien qu'étant uniquement mis en cause dans une affaire de « vol et séquestration », les enquêteurs avaient obtenu communication de ses données de trafic et de localisation conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, de sorte que l'accès aux données avait été permis « pour des motifs moins graves que ceux ayant justifié leur conservation » ; en ne recherchant pas, s'agissant de la seconde réquisition du 1er mars 2022, si la conservation rapide des données était strictement limitée au regard de la durée de l'accès, du périmètre des données consultées et des nécessités de l'enquête, la chambre de l'instruction a violé les articles 77-1-1 du code de procédure pénale, L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et 15, §1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, lu à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter le moyen de nullité des réquisitions téléphoniques relatives à la ligne utilisée par le requérant, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques a été modifié à effet du 31 juillet 2021, et que les réquisitions litigieuses ont été émises les 18 février et 1er mars 2022, sous l'empire des nouvelles dispositions, qui ne sont plus inconventionnelles.
6. Les juges constatent que, au vu du procès-verbal du 3 février 2022 faisant état de l'autorisation permanente du substitut du procureur de la République d'établir des réquisitions dans la limite de 1 000 euros, ces réquisitions ont été prises sur instructions et sous le contrôle du ministère public, pour les besoins d'une procédure relevant de la délinquance grave, conformément aux nouvelles dispositions de l'article L. 34-1 du code précité, s'agissant d'un vol avec violence dans un domicile commis par plusieurs auteurs qui ont séquestré les victimes sous la menace d'une arme blanche.
7. Ils considèrent que la première réquisition a été limitée à une durée d'un mois et demi englobant la date des faits du 13 janvier 2022 afin d'identifier, le cas échéant, des repérages, des rencontres en vue de la constitution d'une équipe, le trajet de fuite des auteurs, leur résidence et leurs contacts avec des complices ou receleurs après les faits.
8. Ils estiment que, compte tenu des résultats fructueux de cette première réquisition, qui ont permis d'établir des déplacements vers la Belgique juste après la commission des faits et des liens avec de probables receleurs dans ce pays, ainsi que de constater une coupure de la ligne au moment des faits, les enquêteurs ont légitimement, par la seconde réquisition, étendu leurs recherches pour déterminer les déplacements et les contacts habituels de la personne soupçonnée afin d'identifier ses complices.
9. Ils en concluent que ces investigations ont été proportionnées aux faits et qu'il ne peut en résulter aucun grief particulier pour le requérant.
10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
11. En premier lieu, en l'absence de contrôle préalable, par une juridiction ou une entité administrative indépendante, de l'accès aux données de connexion, un tel contrôle n'étant pas prévu lors de l'enquête préliminaire qui se déroule sous l'autorité du procureur de la République, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher si une telle irrégularité a causé un grief au requérant. L'existence de ce grief n'est établie que lorsque l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.
12. Il en résulte d'abord que, le procureur de la République n'ayant pas compétence pour autoriser l'accès à ces données, le grief pris de ce que son autorisation devait être spéciale et motivée est inopérant.
13. Ensuite, si la chambre de l'instruction, recherchant le grief susceptible d'avoir été causé au requérant par l'absence de contrôle préalable, n'a pas formellement énoncé que l'accès avait porté sur des données régulièrement conservées, elle a, en se référant aux nouvelles dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques applicables à l'espèce, et en constatant leur conformité au droit de l'Union européenne, nécessairement considéré que les données litigieuses avaient fait l'objet d'une conservation régulière en application de ces nouvelles dispositions.
14. En effet, celles-ci permettent au Premier ministre, pour des motifs tenant à la sauvegarde de la sécurité nationale, lorsqu'est constatée une menace grave, actuelle ou prévisible contre cette dernière, d'enjoindre aux opérateurs de communications électroniques de conserver, pour une durée d'un an, les données de trafic et de localisation mentionnées à l'article R. 10-13 dudit code, et les données ainsi conservées peuvent faire l'objet d'une injonction de conservation rapide par les autorités disposant, en application de la loi, d'un accès aux données relatives aux communications électroniques à des fins de prévention et de répression de la criminalité, de la délinquance grave et des autres manquements graves aux règles dont elles ont la charge d'assurer le respect, afin d'accéder à ces données.
15. Or, d'une part, par décret n° 2021-1363 du 20 octobre 2021, le Premier ministre a émis, pour une durée d'un an, une telle injonction de conservation, d'autre part, les réquisitions litigieuses effectuées sur autorisation du procureur de la République sur le fondement de
l'article 77-1-2, alinéa 1, du code de procédure pénale valaient injonction de conservation rapide des données en cause.
16. En deuxième lieu, la chambre de l'instruction a exactement caractérisé que les faits relevaient de la délinquance grave, de sorte que l'injonction de conservation rapide était régulière.
17. En troisième lieu, elle a encore exactement jugé que l'accès aux données avait été limité à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête, y compris pour la seconde réquisition, en ce que celle-ci visait au démantèlement de toute l'équipe de malfaiteurs susceptible d'agir avec le requérant grâce à l'identification de ses contacts habituels, ce qui ne pouvait se faire que sur une durée significative.
18. Ainsi, la chambre de l'instruction a recherché, comme elle le devait, si l'accès aux données de connexion avait constitué une ingérence injustifiée dans la vie privée du requérant, pour conclure que tel n'était pas le cas.
19. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille vingt-quatre.