LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
______________________
QUESTIONS PRIORITAIRES
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________
Audience publique du 4 octobre 2024
NON-LIEU A RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 630 F-D
Pourvoi n° U 24-12.533
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [C] [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 28 juin 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 OCTOBRE 2024
Par mémoire spécial présenté le 8 juillet 2024, Mme [K] [B], domiciliée [Adresse 3], a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° U 24-12.533 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2024 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans une instance l'opposant :
1°/ à Mme [D] [N], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [C] [H], domicilié [Adresse 1], pris en qualité d'administrateur ad hoc de l'enfant mineure [J] [N],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son [Adresse 4],
4°/ à [J] [N], mineure, représentée par son administrateur ad hoc, M. [C] [H],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [B], les observations écrites de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [N], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Le 14 décembre 2012, Mme [N] et M. [U] ont fait une déclaration de vie commune depuis mars 2010 et, le 25 janvier 2013, ils ont expressément consenti à une assistance médicale à la procréation par insémination artificielle avec sperme du conjoint.
2. Le 4 novembre 2013, l'enfant [J] [N], issue de ce processus, a été inscrite sur les registres de l'état civil comme étant née le 30 octobre 2013 de Mme [N].
3. Par requête du 21 juillet 2020, invoquant l'existence d'un projet parental commun, Mme [B], qui s'était mariée avec Mme [N] le 17 octobre 2013, a demandé que le refus de celle-ci de donner son consentement à l'adoption de l'enfant [J] par son épouse soit déclaré abusif et de prononcer cette adoption.
4. Le 29 septembre 2021, un tribunal judiciaire a prononcé l'adoption plénière.
5. Devant la cour d'appel, M. [H] a été désigné en qualité d'administrateur ad hoc de l'enfant.
6. Un arrêt du 16 janvier 2024, a rejeté la demande de Mme [B].
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
7. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2024, Mme [B] a, par mémoires distincts et motivés, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ Les dispositions combinées des articles 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, en ce qu'elles excluent la possibilité pour la femme qui n'a pas accouché de demander à adopter l'enfant sans que ne puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun, si l'assistance médicale à la procréation n'a pas été réalisée à l'étranger avant la publication de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, dans les conditions prévues par la loi étrangère, méconnaissent-elles l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, le droit à une vie familiale normale de l'enfant et de son parent d'intention, garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit au respect de la vie privée de l'enfant et de son parent d'intention garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, la liberté de mettre fin aux liens du mariage garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ainsi que le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ? ;
2°/ L'article 348-6 du code civil, dans sa version en vigueur du 1er juillet 2006 au 1er janvier 2023, en ce qu'il impose, même en présence d'un projet parental commun au sein d'un couple de femmes, dans les cas non prévus par l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, de démontrer que la mère biologique s'est désintéressée de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité, pour que le refus de cette dernière de consentir à l'adoption par la mère d'intention soit considéré comme abusif, et en ce qu'il a donc pour conséquence, sauf cas exceptionnels de désintérêt effectif de la mère biologique, d'interdire la reconnaissance juridique d'un lien de filiation entre l'enfant et sa mère d'intention, méconnaît-il l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, le droit à une vie familiale normale de l'enfant et de son parent d'intention, garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que le droit au respect de la vie privée de l'enfant et de son parent d'intention garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 ? ».
Examen de la première question prioritaire de constitutionnalité
8. Les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige.
9. En effet, selon l'article 6, IV, alinéa premier, de la loi nº 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, « Lorsqu'un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à la procréation à l'étranger avant la publication de la présente loi, il peut faire, devant le notaire, une reconnaissance conjointe de l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché. Cette reconnaissance établit la filiation à l'égard de l'autre femme ».
10. L'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption dispose :
« A titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil. Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L'adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin ».
11. Il en résulte que ces textes ne s'appliquent pas à des hypothèses où l'assistance médicale à la procréation a été pratiquée en France dans un cadre légal.
12. Tel est le cas en l'espèce, où l'enfant est né d'une assistance médicale à la procréation au sein d'un couple hétérosexuel, en vertu des dispositions légales alors en vigueur et avec toutes les conséquences qui en découlent en matière de filiation.
13. En outre, ils n'ont pas été invoqués par Mme [B] au soutien de sa demande aux fins d'adoption.
14. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la première question au Conseil constitutionnel.
Examen de la seconde question prioritaire de constitutionnalité
15. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne une demande d'adoption formulée malgré le refus opposé par sa mère, sur le fondement de l'article 348-6 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 prise en application de l'article 18 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, entrée en vigueur le 1er janvier 2023.
16. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
17. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
18. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
19. En effet, l'exigence du consentement des parents d'origine à l'adoption de leurs enfants mineurs, édictée par l'article 348 du code civil, constitue un principe essentiel du droit de l'adoption.
20. Il ne peut y être dérogé, dans l'intérêt de l'enfant, que si les parents d'origine ont failli à leur responsabilité de parents.
21. L'article 348-6 du code civil, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2023, dispose ainsi que le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l'un d'eux seulement lorsqu'ils se sont désintéressés de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité.
22. Ce texte, qui a une portée générale, n'est pas, en lui-même, contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la vie privée de l'enfant et du parent candidat à l'adoption, ni à leur droit de mener une vie familiale normale, pas plus qu'il ne déroge au primat de l'intérêt supérieur de l'enfant qu'il vise à préserver dès lors qu'il garantit le droit de l'enfant au respect de ses liens avec sa famille d'origine et qu'il suppose une appréciation au cas par cas de la situation des différentes personnes concernées.
23. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la seconde question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-quatre.