LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 octobre 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 518 F-D
Pourvoi n° W 22-15.701
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 OCTOBRE 2024
Mme [T] [H], veuve [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 22-15.701 contre l'arrêt rendu le 2 mars 2022 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [X] [N], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [U] [N], domicilié [Adresse 3] (Suisse),
défendeurs à la cassation.
M. [U] [N] et Mme [X] [N] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daniel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de Mme [H], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [U] [N] et Mme [X] [N], après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Daniel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 2 mars 2022), [E] [N] est décédé le 5 août 2000, en laissant pour lui succéder Mme [X] [N] et M. [U] [N] (les consorts [N]), ses enfants nés d'une première union, et Mme [H], son épouse commune en biens, usufruitière, en vertu d'une donation notariée, de l'universalité des biens composant la succession, comprenant notamment un bien immeuble situé à Villequier.
2. Un arrêt du 7 septembre 2005 a dit que Mme [H] avait commis un recel successoral et de communauté sur la somme de 87 658 euros et sur un véhicule, ainsi qu'un recel successoral sur un autre véhicule, et a sursis à statuer sur les modalités de mise en oeuvre des sanctions du recel.
3. Un arrêt du 7 juin 2006 a constaté que Mme [H] ne pouvait prétendre à aucune part sur la somme de 87 658 euros et sur les véhicules recelés, a évalué ces véhicules, et a dit que le notaire devrait intégrer ces sommes avec intérêt au taux légal à compter du 5 août 2000 à la part des consorts [N] dans la succession de leur père.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le dernier pris en sa première branche, du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Mme [H] fait grief à l'arrêt de fixer la valeur de l'immeuble situé à [Localité 4] à la somme de 133 000 euros et de prononcer l'extinction de son usufruit sur cet immeuble en application de l'article 618 du code civil, alors « que Mme [H] faisait valoir que les photographies versées aux débats laissaient apparaître que "la maison est tout à fait habitable et comporte notamment beaucoup de mobilier" ; qu'en décidant cependant l'extinction absolue de l'usufruit de Mme [H] sur cet immeuble, en l'état de "la perte de valeur de l'immeuble très dégradé et l'importance des travaux à réaliser", sans mieux s'expliquer sur l'état de l'immeuble tel qu'il ressortait des photographies versées aux débats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 618 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. L'article 618 du code civil dispose :
« L'usufruit peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien.
(...)
Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l'extinction absolue de l'usufruit, ou n'ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l'objet qui en est grevé, que sous la charge de payer annuellement à l'usufruitier, ou à ses ayants cause, une somme déterminée, jusqu'à l'instant où l'usufruit aurait dû cesser. »
7. C'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu que la carence totale et ancienne de Mme [H] dans l'exercice de son usufruit était à l'origine de la dégradation manifeste de l'immeuble imposant la réalisation de travaux lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux. Elle en a déduit que la gravité de la faute commise devait être sanctionnée par l'extinction absolue de l'usufruit. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
9. Les consorts [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de paiement par Mme [H] de la somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1° / que le juge ne peut refuser d'évaluer un préjudice dont il constate l'existence en son principe ; qu'en rejetant la demande indemnitaire des consorts [N] en se fondant sur l'absence de production d'éléments précis sur la nature, l'ampleur et l'évaluation du préjudice, cependant qu'elle constatait non seulement que l'immeuble, initialement estimé à 290 000 euros, était désormais évalué à la somme de 130 000 euros, et que cette dévalorisation de l'ordre de 157 000 euros était née directement de la carence totale de Mme [H] dans l'exercice de son usufruit, et encore qu'il était en l'état inhabitable sans travaux préalables, qu'elle a elle-même qualifiés de "lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux", la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
2°/ que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en affirmant que M. et Mme [N] se bornaient à viser leur demande de dommages et intérêts de 130 000 euros pour la perte du fonds sans la développer, tout en s'abstenant d'examiner le devis de remise en état de l'immeuble établi par la société RCE BTP, d'un montant de 133 771 euros, soit d'un montant supérieur à la valeur vénale de la propriété qu'elle évaluait elle-même à 133 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen.
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 616 du code de procédure civile.
11. Aux termes de ce texte, lorsque le jugement peut être rectifié en vertu de l'article 463, le pourvoi en cassation n'est ouvert, dans le cas prévu par cet article, qu'à l'encontre du jugement statuant sur la rectification.
12. La cour d'appel a, dans les motifs de sa décision, rejeté la demande des consorts [N] de condamnation de Mme [H] à leur payer une somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts, mais n'a pas repris le rejet de cette prétention dans son dispositif.
13. Sous le couvert d'un grief pris d'une violation de la loi, le moyen dénonce en réalité une omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile.
14. Le moyen n'est dès lors pas recevable.
Sur le second moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
15. Les consorts [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de majoration du taux d'intérêt en l'absence de condamnation pécuniaire telle que visée par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier, à charge pour le notaire d'établir les comptes conformément aux différentes décisions judiciaires prononcées jusqu'à la date du partage, alors « qu'en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision ; que constitue une condamnation pécuniaire par décision de justice la privation du conjoint ayant commis un recel successoral ou un recel de communauté de ses droits sur les effets de la succession ou de la communauté objet du recel, dès lors que la valeur de ces droits a été liquidée par le juge ; qu'en l'espèce, l'arrêt du 7 juin 2006 avait privé Mme [H] de tout droit sur les biens objets des recels qu'elle avait commis, et liquidé le montant correspondant à cette privation à la somme de 87 658 euros ; qu'en jugeant néanmoins que cet arrêt n'avait pas prononcé de condamnation à paiement et qu'il n'y avait dès lors pas lieu de faire droit à la demande de majoration de l'intérêt au taux légal de cinq points, la cour d'appel a violé l'article L. 313-3 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
16. Aux termes de l'article L. 313-3, alinéa 1er, du code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
17. Ayant constaté que l'arrêt du 7 juin 2006 statuant sur les conséquences des recels commis par Mme [H] n'avait pas prononcé de condamnation en paiement à son encontre, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la demande de majoration du taux d'intérêt légal formée par les consorts [N] sur le fondement de ce texte.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.