N° E 22-85.767 F-D
N° 00910
RB5
4 SEPTEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 SEPTEMBRE 2024
Mme [R] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 26 septembre 2022, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [R] [M], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société anonyme d'[1], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Grenoble Alpes métropole, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [R] [M], directrice générale de la [1] ([1]) a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.
3. Il lui est notamment reproché d'avoir perçu une rémunération indexée sur le chiffre d'affaire de la société qui avait été fixée alors qu'elle était salariée, mais qui n'avait plus aucune légalité dès lors qu'elle était mandataire social sans aucun lien de subordination, en l'absence d'autorisation préalable du conseil d'administration.
4. Il lui est par ailleurs reproché d'avoir fait bénéficier à des salariés de la société ou à des membres de son conseil d'administration de la gratuité des frais funéraires, en ce qui concerne plusieurs funérailles.
5. Par jugement du 4 février 2021, Mme [M] a été renvoyée des fins de la poursuite.
6. Le ministère public, la [1] et son actionnaire majoritaire, [Localité 2] Alpes métropole, ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et neuvième moyens
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que l'action publique n'est pas prescrite et a déclarée Mme [M] coupable du délit d'abus de biens sociaux pour avoir perçu une rémunération indexée sur le chiffre d'affaires de la société, qui avait été fixée alors qu'elle était salariée, qui n'avait plus de légalité dès lors qu'elle était mandataire social, en l'absence d'autorisation du conseil d'administration, faits commis du 8 juillet 2010, date de sa désignation comme directrice générale, au 8 octobre 2015, alors :
« 2°/ que la mention, dans le dossier financier de chaque exercice présenté par le commissaire aux comptes au conseil d'administration et aux actionnaires, du montant global de la rémunération annuelle de Mme [M], de manière individualisée, est exclusive de toute dissimulation de ladite rémunération comme de son évolution, même sans indication du « détail des majorations de salaires et de primes » appliqués (arrêt p. 21 dernier §) ; que la cour d'appel, qui affirme néanmoins que le conseil d'administration ou le commissaire aux comptes ne disposaient pas des informations suffisantes pour déceler l'existence de faits constitutifs d'abus de biens sociaux, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et méconnu les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'arrêt attaqué constate que l'accord du 24 mars 2000, constituant avenant au contrat de travail de Mme [M], devait entrainer, après blocage de sa rémunération pendant 3 ans, des majorations substantielles résultant de l'évolution de sa rémunération et de sa prime annuelle de bilan basées sur un pourcentage sur le chiffre d'affaires HT, que le dossier financier de chaque exercice faisait mention, de manière individualisée, du montant global de la rémunération de Mme [M] au titre des personnes les mieux rémunérées de la société, que le conseil d'administration connaissait le montant global de son salaire et que selon le rapport de la chambre régionale des comptes, la rémunération brute annuelle de Mme [M] s'était élevée à 196 196 euros en 2008-2009, à 212 314 euros en 2009-2010, à 229 944 euros en 2010-2011 et à 249 259 euros en 2011-2012 ; que l'augmentation de sa rémunération et son indexation sur le chiffre d'affaires étaient dès lors nécessairement constatables d'année en année, même sans connaître « le détail des majorations de salaires et de primes » ; que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et méconnu les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 242-6 du code de commerce, 8, 9-1 et 593 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit des trois premiers de ces textes que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société.
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer non prescrits les faits d'abus de biens sociaux relatifs à la rémunération de Mme [M], l'arrêt retient que la prescription ne peut en tout état de cause être acquise pour la période ayant couru à compter du 24 février 2012, le soit-transmis du ministère public aux fins d'enquête portant la date du 24 février 2015
12. Les juges ajoutent, s'agissant de la période antérieure, soit du 8 juillet 2010 au 23 février 2012, que la demanderesse a bénéficié, le 24 mars 2000, d'un accord salarial ayant produit ses effets jusqu'au départ à la retraite de l'intéressée, alors qu'il relevait des dispositions du code de commerce relatives aux conventions réglementées, de sorte que l'accord devait être soumis à l'autorisation du conseil d'administration à compter du début du premier mandat de l'intéressée, peu important que l'accord ait été conclu antérieurement.
13. Ils précisent que la demanderesse aurait dû rappeler les termes de cet accord au conseil d'administration, même postérieurement à sa conclusion, peu important que les administrateurs et actionnaires aient pu en avoir connaissance autrement, ce qui n'est au demeurant pas établi, puisque le dossier financier de chaque exercice ne fait mention que du montant global de la rémunération des personnes les mieux rémunérées, sans le détail des majorations de salaires et primes, de sorte que les actionnaires ou le commissaire aux comptes ne disposaient pas des informations suffisantes pour déceler, eu égard aux résultats de la société, l'existence de faits constitutifs d'abus de biens sociaux, outre le fait que rien n'indique que les contrôles de [Localité 2] Alpes Métropole aient porté sur les rémunérations de la prévenue.
14. Ils énoncent encore que la prévenue n'ayant ainsi, consciemment, pas mis le conseil d'administration en mesure d'exercer ses pouvoirs, en sachant que les propres décisions de celui-ci, relatives au maintien de son salaire, globalement considéré, l'empêchaient de les exercer lui-même, la dissimulation est caractérisée.
15. Ils en concluent que la prescription n'a pas commencé à courir avant la communication, en mars et avril 2015, au président de la métropole de [Localité 2] et au représentant des collectivités actionnaires de la [1], des observations définitives de la chambre régionale des comptes, délibérées le 14 octobre 2014, ce dont il se déduit que la prescription de l'action publique n'était pas acquise au 24 septembre 2015, pour toute la période de la prévention.
16. En se déterminant ainsi, alors que, d'une part, elle a relevé que la rémunération globale de la demanderesse était connue du conseil d'administration, peu important que le dossier financier de chaque exercice ne mentionne pas le détail des majorations de salaires et primes, d'autre part, elle a par ailleurs constaté que, lors de la prise de fonction de l'intéressée, le conseil d'administration avait décidé que ses fonctions ne seraient pas rémunérées, mais que son contrat de travail se poursuivrait sans aucune modification, de sorte que le conseil d'administration connaissait la nature, le niveau de la rémunération de la demanderesse, et la progression annuelle de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ni caractérisé la dissimulation des opérations litigieuses, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
17. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamnée Mme [M] à payer à la [1] la somme de 10 647,60 euros au titre de son préjudicie résultant de l'abus de biens sociaux portant sur la gratuité des frais funéraires, alors « qu'en ne répondant pas aux conclusions de Mme [M] qui faisait valoir que le montant des factures en cause correspondait à leur total TTC, que les remises se limitaient aux prestations des PFI et qu'il fallait déduire la TVA pour évaluer la perte subie par la [1], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
19. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. Pour condamner la demanderesse à payer à la [1] la somme de 10 647,60 euros en réparation des remises accordées par l'intéressée sur deux factures de frais d'obsèques, l'arrêt retient que les remises se sont élevées à la somme de 5 085,70 euros pour l'une des factures et 5 561,90 euros pour l'autre.
21. En se déterminant ainsi, sans répondre au moyen pris de ce que le montant des factures en cause correspondait à leur total TTC, que les remises se limitaient aux prestations de la [1] et qu'il fallait donc déduire la TVA pour évaluer la perte subie par cette société, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
22. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 26 septembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la prescription du délit d'abus de biens sociaux portant sur la rémunération de la demanderesse pour la période du 8 juillet 2010 au 23 février 2012, la déclaration de culpabilité pour ces faits, les peines et les intérêts civils afférents à ces faits ainsi qu'aux faits d'abus de biens sociaux portant sur les remises effectuées sur les factures de frais d'obsèques, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.